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309815 février 2013 – Ceux qui sont intéressés par la parution régulière de La grâce de l’Histoire, ceux-là ont droit à l'expression de notre gêne extrême et à la demande de nous excuser qui va avec, devant l’irrégularité de cette parution soi-disant “régulière“. Peut-être imaginent-ils des causes épouvantables, et nous serions les premiers à les comprendre ; qu’ils n’en fassent rien pour autant ; il n’y a que la marche parfois épuisée d’un pauvre sapiens qui s’est fixé, pour son travail, des ambitions qui, parfois, lui semblent bien excessives.
Nous l’avons déjà écrit : La grâce est un monstre qui ne cesse de prendre des aises, de se développer, de s’affirmer, de contraindre l’auteur à des aménagements inattendus et à des ajouts fort imprévus. Le texte du 14 janvier 2012 le disait explicitement, directement de la plume de l’auteur, sans même la précaution salvatrice de la première personne du pluriel :
«L’enfant est devenu un monstre, disais-je… C’est-à-dire qu’il est né adulte, considérable, immensément ambitieux, sorte de Pantagruel à qui l’on n’a plus rien à apprendre dès qu’il paraît mais qui, au contraire, prétend vous prendre la main et vous emporter sur des chemins connus de lui seul, là où vous n’auriez jamais imaginé aller…»
Le plus récent exemple de ces façons fort buissonnières de La grâce-Pantagruel concerne la parution du jour. Dans les dispositions prudentissimes de l’auteur concernant ces publications “en feuilleton”, il est entendu qu’une parution doit se faire alors que la suivante est largement prête à enchaîner… C’était le cas il y a quelques temps de cela (quelques mois, quelque part en 2012, après la parution le 2 mars 2012 de la Première Partie, comme une sorte d'introduction, de ce “Deuxième Livre”), – lorsque s’est imposée, toujours au même auteur, une obligation inattendue de glisser entre ces deux parutions une nouvelle partie destinée à éclairer et à approfondir à la fois le propos. Entre la partie consacrée à la Renaissance (celle qu’on met en ligne aujourd’hui, ce même 15 février 2013) et celle qui examine la problématique du “‘siècle du persiflage”, alias Siècle des Lumières, s’est glissée une partie inédite, jugée brusquement nécessaire ; il s’agissait d’intercaler le survol d’une histoire du Christianisme, selon notre interprétation, pour mieux faire comprendre les mécanismes et le comportement psychologique se développant de la Renaissance à la rupture fameuse (1776-1825) du “déchaînement de la Matière”, et établir d’autre part l’hypothèse d’une “passerelle eschatologique” entre le XVIIème siècle, et notamment le Nouveau-Monde, et les temps métahistoriques présents où le “Nouveau-Monde” reste au centre de nos préoccupations. Du coup, il apparut nécessaire et prudent de garder en réserve la publication de la Partie mise en ligne aujourd’hui, jusqu’à l’achèvement de cette nouvelle Partie, qui sera la troisième du Deuxième Livre, après la mise en ligne de la première, le 2 mars 2012.
Tout cela est extrêmement compliqué, nous en avons la plus complète conscience, et ressort essentiellement de la démarche elle-même nécessairement confuse du besoin de s'expliquer pour tenter d'atténuer la gêne de la culpabilité des promesses non tenues. Nous promettons à nos lecteurs de tenter d’éviter à l’avenir cette sorte d’explications, notamment en tentant (?) de retrouver un rythme de parution, disons un peu plus civilisé, de la civilisation d’avant le déchaînement de la Matière, avant d’aborder une partie plus générale, libérée de la chronologie historique et métahistorique, de nos réflexions…
Nous mettons donc en ligne les deux versions (directement en ligne et en version pdf) de cette Première Partie du (deuxième après l'Introduction) du deuxième Tome de La grâce de l'Histoire, intitulée “Renaissance et perspective du désastre”. Nous avions précédemment (le 2 mars 2012) présenté succinctement cette partie, de la façon suivante :
«…Effectivement, il s’agit de remonter jusqu’à la Renaissance pour rechercher les racines du mal, c’est-à-dire de la modernité. Comme l’indique l’extrait ci-dessous, il s’agit de la recherche de notre “Barbare fondamental”, celui qui porte tous les ingrédients de notre “contre-civilisation” jusqu’à notre crise terminale, qui en est l’instigateur et l’inspirateur, qui est sans doute le relais humain de l’inspiration générale de l’entreprise qui, elle, dépasse notablement les seules affaires humaines.
»“…Nous parlons donc de la Renaissance comme matrice de cette nouvelle civilisation, la Renaissance avec sa dynamique libératrice, la puissance de ses idées lumineuses. Le constat n’en reste pas moins qu’il y a foule dans cette “base arrière” et que l’on y fait des rencontres ; je devine, sans trop m’attarder aux charmes incertains du doute, qu’on y croise évidemment, sinon principalement, notre propre Barbare… Lorsqu’une civilisation s’effondre, il faut des barbares pour donner l’impulsion décisive à l’événement, et pour danser la Carmagnole autour du brasier grondant. Je cherche les barbares qui firent s’effondrer la civilisation qui précéda la “deuxième civilisation occidentale”, la nôtre, les barbares qui dansent autour de nos restes, autour de cette puanteur sans équivalent en prétendant qu’elle sent la rose. Il ne nous surprendrait pas que nous ayons quelques surprises ; aussitôt dit, aussitôt fait ; la plus intéressante s’avère sans aucun doute la surprise, ou plutôt demi surprise, de trouver, à la place “des barbares” habituels des civilisations effondrées, “notre Barbare”, le Barbare fondamental.”»
L’énorme délai de publication de ces nouveaux textes de La grâce de l’Histoire a permis, – un bien pour un mal, – de les revoir périodiquement, de les faire évoluer, et d’en mieux saisir le sens. Désormais, dans la problématique métahistorique exposée dans le projet de La grâce de l’Histoire, la Renaissance occupe une place beaucoup plus importante qu’initialement prévue. Avec les divers ajouts, et surtout le dernier (Agrippa), cette partie sur la Renaissance finit par se présenter comme une description de l’évolution du jugement, de la vision assez conventionnelle de la Renaissance jusqu’à une vision très différente de la conformité académique et idéologique. Effectivement et dans ce sens, le texte dans son évolution a été finalement très fortement renforcé par une nouvelle “dernière partie” consacrée à un érudit, fameux en son temps du début du XVIème siècle, “Agrippa de Nettesheim” comme l’appelle un de ses biographes sur lequel nous nous appuyons, Charles Nauert.
Ce complément renforce et éclaire toute cette Deuxième Partie du Deuxième Livre en éclairant soudain la Renaissance d’une lumière ambiguë, pleine de clairs-obscurs où l’on serait conduit à distinguer que l’ombre l’emporte bien plus souvent que la lumière. Il s’agit moins de condamner la Renaissance, contre le courant général qui l’exalte sans la moindre possibilité d’appel, que d’observer plutôt que cette «époque» est une immense et terrible interrogation à laquelle aucune réponse satisfaisante n’a été donnée dans les siècles qui ont suivi, – à laquelle, peut-être, notre crise de civilisation actuelle pourrait bien constituer la réponse décisive, à six siècles de distance… Ainsi pouvons-nous compléter la sensation générale que nous tirons de cette réappréciation d’une période si glorieuse mais à propos de laquelle on a épousé un peu vite, ou bien d’une façon intéressée bien entendu, l’habitude intellectuelle de la fixer dans sa définition comme l’aube triomphante et incontestable de la modernité, et rien que cela.
Agrippa est si célèbre et si influent en son temps, il est si pleinement dans son temps et nous semble si complètement accordé aux tensions de son temps, qu’il nous conduit au constat qu’il définit et symbolise à la fois bien mieux la Renaissance, – qui englobe nécessairement tout le reste, la Réforme et les guerres de religion, – qu’un Erasme, qu’un Luther ou qu’un “Borgia pape !” (cri de Nietzsche). Son destin intellectuel, si contrasté, si complexe, si angoissé, nous offre d’une façon complètement originale l’appréciation de cette Renaissance comme le temps de la plus terrible des incertitudes. La Renaissance à la lumière du destin d’Agrippa fut un nœud métahistorique de notre propre destin, entre la tentation bientôt irrésistible et singulièrement instrumentée de basculer dans la modernité, et l’obscur et puissant pressentiment que ce basculement était peut-être une voie terrifiante, un piège horrible…
Voici quelques extraits du passage sur Agrippa, sur le personnage d’Agrippa justement, qui permettent de mieux comprendre ce que nous voulons dire, et combien la Renaissance s’inscrit également, à côté de l’appréciation, conventionnellement triomphante qu’on en a, comme l’annonciatrice des catastrophes qui nous conduiront, en un enchaînement inéluctable, jusqu’à notre grande crise du début du XXIème siècle.
«“Ceux qui vivaient effectivement au début du XVIème siècle avaient une toute autre vision de leur époque. Leurs élans d’optimisme étaient égalés, peut-être même surpassés, par de sombres crises de pessimisme. Ils assistaient à la dégénérescence des systèmes intellectuels dominants de la scolastique médiévale qui se transformait en causeries purement futiles ou empreintes du désespoir intellectuel et de l’appel à la foi aveugle. […] La rencontre avec la littérature antique nouvellement redécouverte était souvent porteuse de déséquilibre tout autant que de stimulation intellectuelle. Le ferment de la réforme religieuse, pour ceux qui avaient dû en faire réellement l’expérience, se traduisait par une exaspération grandissante face aux conditions existantes, ainsi que par une angoisse mentale des plus vives chez ceux qui ne pouvaient accepter l’Eglise telle quelle était et qui ne parvenaient pas à s’arracher à l’institution religieuse traditionnelle…” […]
»“Si le sentiment d’un potentiel encore inexploré par l’homme moderne faisait partie de l’esprit de la Renaissance, il convient de mentionner également la sensation d’avoir perdu la sécurité de la foi et des actes, la sensation d’être parti à la dérive, accompagné d’une vision du monde qui rejetait violemment l’héritage culturel traditionnel du Moyen Âge (le rejetait amèrement, tout en le plagiant de temps à autre sans vergogne et sans mentionner sa source) mais qui, en même temps, offrait peu de certitudes rassurantes de son propre cru…” […]
»…Agrippa représente ce côté sombre de la Renaissance, qui n’est pas loin de lever le drapeau de la ‘Contre-Renaissance’ comme on lève une résistance, mais d’abord et de façon infiniment plus fondamentale, infiniment plus significative dans le cadre de notre propos, en identifiant et en accusant une sorte de ‘Renaissance faussaire’. Nulle part, on ne trouve en lui l’apaisement, l’amnistie de lui-même pour lui-même, ni de lui-même avec son temps. “Agrippa de Nettesheim personnifiait les multiples doutes et incertitudes de son temps”, écrit Nauert ; en même temps, comme on l’a dit, avec dans sa postérité le terrible Faust…»
Finalement, ce qui est dit de la Renaissance dans cette Deuxième Partie rejoint dans une sorte de similitude crisique paroxystique ce que nous pourrions ressentir dans notre propre temps, – avec au milieu de cette chaîne de cinq siècles, le “déchaînement de la Matière“ de la fin du XVIIIème siècle, cette agression d’une brutalité telle qu’elle ne laisse, elle, aucun loisir pour la réflexion et l’hésitation. Ce qui rapproche également notre crise actuelle de celle de la Renaissance, c’est bien la sensation à la fois de ne plus pouvoir revenir en arrière, à la fois de percevoir (pour ceux qui sont éclairés à cet égard) combien la fuite en avant est peut-être, sans doute, sûrement même, un piège terrible où les âmes se perdront si l’esprit, placé devant le terrible dilemme de résister ou d’abdiquer, ne fait pas le choix héroïque.
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