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1276Le président russe Poutine a signé le document détaillant une nouvelle doctrine militaire de la Russie. Cette doctrine reprend la plupart des éléments de la doctrine en cours mais y ajoute des éléments nouveaux, des conditions inédites, etc., qui rendent compte de ce qu’est devenue la guerre dans notre époque. La circonstance inédite qui accompagne la publication de ce document est que les conditions de la guerre du point de vue russe qui y sont décrites caractérisent une action d’ores et déjà en cours. Il apparaît évident, à mesure que les événements se déroulent, et considérant l’essentiel de l’année 2014 qui se trouve dans la crise ukrainienne et dans ses conséquences, que cette guerre est effectivement déjà en cours, qu’il s’agit bien d’une “guerre totale”, – bien entendu, entre les USA/le bloc BAO d’une part, la Russie appuyée sur certains de ses alliés d’autre part. (Nous la nommons plus loin “la Grande Guerre Postmoderne”.)
Russia Today, qui décrit le document ce 26 décembre 2014, note que la principale nouveauté est l’inclusion, dans la liste des menaces contre la sécurité de la Fédération de Russie, de l’expansion et du renforcement militaire de l’OTAN d’une part, de la doctrine de la Prompt Global Strike des USA d’autre part.
«The new sections of the doctrine outline the threat Russia sees in NATO’s expansion and military buildup and the fact that the alliance is taking upon itself “global functions realized with violation of international law.” The doctrine lists among major foreign military threats “the creation and deployment of global strategic antiballistic missile systems that undermines the established global stability and balance of power in nuclear missile capabilities, the implementation of the ‘prompt strike’ concept, intent to deploy weapons in space and deployment of strategic conventional precision weapons.”»
Les armes nucléaires sont décrites, comme à l’habitude, comme des armes défensives de dernier recours dont le but est de dissuader un ennemi potentiel de toute attaque contre la Russie. Ces armes sont utilisables contre toute attaque militaire menaçant l’existence de la Russie, que cette attaque soit nucléaire ou conventionnelle. Bien qu’il s’agisse de conditions d’emploi déjà existantes dans les doctrines précédentes, elles prennent évidemment une signification très particulière et très importante à la lumière des événements actuels.
Pour autant, le document observe que les conditions des “menaces modernes”, – de la guerre elle-même, si l’on veut, – sont en train de changer, passant de plus en plus du domaine militaire au domaine de l’information et de la communication. Il s’agit de la prise en compte du passage de l’ère géopolitique à l’ère psychopolitique (voir le 12 octobre 2013). Dans ce contexte, les menaces plus spécifiques sont détaillées au niveau des actions subversives d’influence, de déstabilisation, de la recherche stratégique du regime change au travers d’actions d’influence, etc., – c’est-à-dire tout ce qui caractérise de plus en plus les actions subversives offensives dans ces dernières années, particulièrement autour de la Russie et contre la Russie (“révolution de couleur” et le reste). Une action de communication et d’influence en vient par conséquent de plus en plus à être considérée comme un acte d’agression, voire une guerre dans son acception la plus large, – à la limite, une “guerre totale”.
«The document also points to the threat of destabilization countries bordering Russia or its allies and deployment of foreign troops such nations as a threat to national security. Domestically, Russia faces threats of “actions aimed at violent change of the Russian constitutional order, destabilization of the political and social environment, disorganization of the functioning of governmental bodies, crucial civilian and military facilities and informational infrastructure of Russia,” the doctrine says...»
• Il ne fait aucun doute désormais que les remous dont l’économie russe, ses structures financières et sa monnaie ont été l’objet ces dernières semaines sont perçus globalement comme “un acte de guerre totale”, quelles que soient les conditions avancées de ces diverses actions. C’est désormais, dans tous les cas, l’interprétation qui prévaut. (Pour le gouvernement russe, l’essentiel de cette “attaque” a eu lieu et le rouble a tenu, ainsi que l’économie russe elle-même, signifiant par là que l’attaque dans ce stade de la “guerre totale” a échoué. Le 24 décembre 2014 sur Inside Russia, Pépé Escobar compare l’attaque contre la Russie à la doctrine nucléaire US du First Strike ; il observe d’une part que cette “première frappe” qui devrait être normalement décisive a échoué, et d’autre part que la Russie dispose de capacités de Counter-Strike qui peuvent être aussi dévastatrices, sinon plus, que la First Strike US.)
Dans une note du 22 décembre 2014, sur son site RussiePolitics, Karine Bechet-Golovko observe divers événements et affrontements récents qu’elle situe effectivement dans le contexte de cette “guerre totale” si spécifique à notre époque, désormais engagée. Elle rappelle les mesures développées par le gouvernement US, à la demande du Congrès, d’éliminer les personnes non-US et de nationalité russe du personnel de l’ambassade US en Russie, et éventuellement d’autres ambassades (pour d’autres nationalités suspectes). Cela conduit effectivement à une interprétation de temps de “guerre totale” dans toute l’ambiguïté des nouvelles conditions de la guerre. On garde les conditions formelles de paix qui pourraient être plutôt caractérisées comme étant “de non-guerre”, notamment les représentations diplomatiques, mais on élimine tout rapport avec l'“ennemi” chez qui l’on se trouve, notamment pour pouvoir mieux organiser des réseaux d’influence et d’action subversive chez cet “ennemi”. (A noter que ces mesures sont prises du côté US, mais pas du côté russe par rapport à leur(s) ambassade(s) aux USA et dans certains pays du bloc BAO. La question est de savoir si les Russes vont en venir ou pas à de telles mesures.)
«...Autrement dit, la présence russe doit être diminuée au maximum dans les structures américaines en Russie, ce qui démontre une méfiance chronique, même envers ces pauvres naïfs qui cherchent leur salut dans la reconnaissance américaine. Toutefois, la “5e colonne” n'y trouvera certainement rien à redire, elle n'est pas formée à critiquer son employeur. Par ailleurs, dans tous les établissements diplomatiques et consulaires en Russie, dans les pays limitrophes et dans l'espace post-soviétique, il est impératif de mettre en place un système spécial de protection des données. La peur de la fuite d'information semble atteindre le niveau de la paranoïa, ou bien ce qui est à cacher renverrait le rapport de la CIA sur les tortures à une lecture pour les enfants le soir.
» [...] [T]oujours dans la suite de ce qui vient d'être précisé, une coopération renforcée se met en place avec l'Ukraine dans le domaine de la lutte contre la cybercriminalité. Il est vrai que l'Ukraine en a besoin aujourd'hui, où l'on compte plusieurs structures comme Cyberberkut, qui luttent contre le régime. Ils ont, par exemple, pu entrer dans le système de l'OTAN, et justement dans leur centre de défense informatique. Ce sont également eux qui ont pris les documents concernant l'aide militaire américaine à l'Ukraine, ou encore ont forcé 37 sites polonais, dont celui de la Bourse ou de la Présidence.
»Ainsi, pour ceux qui avaient encore des doutes, la guerre est déclarée, même si la bataille des tanks n'est pas encore décidée. Si l'on y ajoute l'aide militaire officielle que les Etats Unis vont apporter à l'Ukraine sous forme d'armes létales et le renforcement des sanctions contre la Russie, on complète le tableau. Et pour l'illustrer, tout autant que pour en comprendre la profondeur, il est intéressant de rappeler les paroles du député André Makarov lors de l'émission hier soir de Soloviev. La panique du début de semaine concernant le rouble a été parfaitement organisée. Les gens recevaient des SMS leur disant de retirer tout de suite leur argent de la banque, que la Sberbank (la plus grosse banque de Russie) était à cours de liquidation, etc. Evidemment cela a contribué à provoquer une certaine panique. Pour A. Makarov, ce n'est pas une simple chute du rouble liée aux sanctions, à l'insuffisance du tissus économique ou à la baisse du prix du baril de pétrole. Tous ces éléments existent et jouent leur rôle, [mais] ils ne peuvent expliquer à eux seuls ce qui se passe avec la monnaie nationale quand les indicateurs économiques du pays ne sont pas dans le rouge. Il s'agit d'une véritable guerre financière, d'une attaque ciblée et profonde sur le système financier russe.
»Le combat entre les Etats Unis et la Russie se précise et les armes se diversifient tout autant. Nous ne sommes, hélas plus à l'époque de la bataille de Koursk. Il est peu vraisemblable que la Russie fasse entrer ses armées en Ukraine, il est peu vraisemblable qu'elle soit directement attaquée militairement. Ce qui ne signifie pas que la guerre n'a pas déjà commencé. Elle est simplement plus complexe et plus totale.»
... Ainsi se dévoile la scène qui sera celle de l’année 2015. Comme une réplique de 1914, l’année 2014 a bien été celle du déclenchement de la ”guerre totale”, ou disons plus précisément en conservant l’“effet-miroir” et l'effet symbolique écrasant du centenaire, de la “Grande Guerre Postmoderne”. L’année 2015 verra donc le développement des opérations avec, dans les esprits, désormais installée, la certitude qu’il s’agit bien d’un affrontement total, voire d’un “conflit de civilisation” dans des conditions extrêmement différentes de celles que le professeur Huntington prévoyait pour le “choc des civilisations”.
Le “conflit de civilisation” auquel on assiste désormais est, si l’on veut, un conflit à l’intérieur de la civilisation globale (telle ou telle partie pouvant être présentée comme “contre-civilisation”), ou bien encore, plus précisément et plus justement, la guerre de l’antiSystème contre le Système suivant l’attaque frontale du second. Une des caractéristiques essentielles de cette Grande Guerre Postmoderne est que les citoyens nationaux ne suivent pas nécessairement l’action du pays auquel ils appartiennent, et même peuvent s’y opposer frontalement, sans que l’on puisse parler en aucun cas de trahison car les partis choisis concernent effectivement le Système et l’antiSystème. Cela implique comme caractéristique essentiel qu’un citoyen d’un pays du bloc BAO peut parfaitement concevoir, – nous dirions même que la grande histoire, la métahistoire, jugera complètement dans ce sens, – que c’est son devoir de citoyen et sa fidélité à la véritable tradition de son pays que de se situer en antiSystème, contre le Système qui emporte le bloc BAO dans sa folie ... La Grande Guerre Postmoderne est aussi et d’abord le combat de la structure et de la tradition (les antiSystème) contre la folie de la déstructuration.
Mis en ligne le 26 décembre 2014 à 16H32
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