La guerre à $6.000 milliards (au moins) et la dévastation psychologique

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La guerre à $6.000 milliards (au moins) et la dévastation psychologique

C’est un véritable cataclysme social et psychologique, avec toutes les conséquences économiques, que décrivent les économistes Joseph Stiglitz (Prix Nobel 2000) et Linda Bilmes, professeur à Harvard, dans une conférence de presse avant une audition au Congrès (voir Stars & Stripes du 29 septembre 2010). Leur estimation du coût de la guerre, où peu à peu l’Afghanistan s’intègre à l’Irak, passe, pour l’Irak, de $3.000 milliards à $4.000 à $6.000 milliards, notamment à cause du coût pharamineux des suites humaines et médicales de l’énorme traumatisme infligé aux participants à cette guerre (ces guerres). Dans un récent (6 septembre) article pour le Washington Post, Stiglitz-Bilmes avaient annoncé qu’il fallait aller au-delà de leur estimation de $3.000 milliards. Nous écrivions, le 6 septembre 2010 :

«Les deux compères ont en effet choisi ce moment clef, selon la marche officielle des événements, avec l’annonce claironnante du président Obama de la fin de l’engagement US en Irak, pour rafraîchir leur bilan de cette guerre et le renforcer. Cela fait en effet quelques années que Stiglitz-Bilmes suivent l’affaire, avec leur évaluation du coût total de la guerre en Irak à $2.000 milliards en janvier 2006, puis à $3.000 milliards en février 2008, tout cela ponctué d’un livre sur le sujet. Aujourd’hui, s’ils ne fixent pas précisément leur nouvelle estimation (dans leur article commun du Washington Post du 5 septembre 2010), il est évident qu’en fonction des nouveaux éléments et des méthodologies affinées qu’ils proposent, l’estimation doit dépasser $3.500 milliards, en route résolument vers les $4.000 milliards.»

Effectivement, Stiglitz-Bilmes tendent de plus en plus à assimiler Irak et Afghanistan, parce que le coût en conséquences psychologiques et sociales affecte effectivement la population spécifique grandissante des vétérans US, soldats touchés par les deux guerres au niveau psychologique principalement (1.1 million de personnes, selon leur dernière estimation), avec la conséquence qu’on distingue de moins en moins entre les effets des deux conflits pour ne plus voir que les effets de cette sorte de conflit. L’estimation de $4.000-$6.000 milliards va donc certainement encore augmenter vertigineusement avec les coûts déjà enregistrés et la poursuite de la guerre en Afghanistan. Ce que sont en train de déterminer les deux économistes, par le biais de leurs observations économiques, c’est effectivement une nouvelle conception des destructions humaines occasionnées par le biais de la psychologie, par la nouvelle sorte de guerre qui est conduite depuis le 11 septembre 2001, et nouvelle conception dont l’effet “boomerang” prend de plus en plus d’importance. L’article cité observe notamment :

«Joseph Stiglitz, who received the 2000 Nobel Prize for Economics, and Linda Bilmes, a public policy professor at Harvard University, said the number of veterans seeking post-combat medical care and the cost of treating those individuals is about 30 percent higher than they initially estimated. That, combined with increases in the cost of military medical care and the lagging economy, will likely push the true long-term cost of the war over the $4 trillion mark.

»“This may be more of a crisis than the Medicare and Social Security problems we have looming,” said House Veterans Affairs Chairman Bob Filner, D-Calif. “It rivals both in the potential impact. This is another entitlement we've committed ourselves to, and it could break the bank.”

»In a conference call with reporters, Bilmes said about 600,000 Iraq and Afghanistan veterans have already sought medical treatment from the Department of Veterans Affairs, and 500,000 have applied for disability benefits. That's about 30 percent higher than initial estimates for care, and could cost the department nearly $1 trillion in costs for the current wars alone.»

Notre commentaire

@PAYANT Effectivement, il ne faut plus penser en termes de guerres spécifiques (Irak, Afghanistan) mais en termes d’une nouvelle sorte de guerre. A côté des immenses dévastations causées aux pays et aux populations agressés, il s’agit là, comme d’une conséquence qui serait une punition terrible appliquée aux agresseurs, des dévastations causées à une population entière, – celle des vétérans rentrés au pays, mais aussi de leurs environnements familiaux et sociaux, dans les pays qui ont commis les agressions. (Mais le cas vaut essentiellement pour les USA, qui sont les créateurs de ces conditions, qui les appliquent d’une façon systématique et presque folle, qui ont une population d’une extrême fragilité psychologique à cause de l’absence d’une dimension régalienne de ce pays.) Comme le dit le parlementaire cité (Bob Filner), le problème prend économiquement les allures d’un nouveau Medicare (le déficit énorme de la sécurité sociale US), imposant une nouvelle et terrible pression sur des finances publiques déjà à la dérive dans un océan de déficit.

Mais nous voulons insister ici sur l’aspect humain, – psychologique et social, – et tout ce qu’il nous dit sur la nouvelle forme de guerre que le système américaniste et occidentaliste a institué depuis le 11 septembre 2001, avec une intense préparation auparavant. En effet, l’on peut résolument employer le terme “nouveau”, et même celui de différent en substance, et en essence si l’on peut employer ce terme pour le désordre réel derrière l’ordre apparent qu’est cette forme de guerre. L’on voit que l’on dépasse d’une façon monstrueuse les conditions opérationnelles et techniques propres, et les conceptions doctrinales. Cette nouvelle sorte de guerre est devenue une monstruosité psychologique et sociale et constitue sans le moindre doute un aspect important du malaise métaphysique qui caractérise la crise finale de notre civilisation.

Il existe à notre sens des conditions objectives qui font que ces constats dépassent le seul domaine de la guerre, pour caractériser une civilisation en cours d’effondrement et qui montrent ainsi, jusqu’à l’excès, ses vices fondamentaux, son inhumanité si grande et si achevée qu’on doit effectivement caractériser ces événements de métaphysiques. On doit par conséquent juger les critères techniques inférieurs (opérationnels, tactiques, technologiques, etc.), non pas selon les références de leurs propres domaines, méthode qui constituerait une démarche réductrice faussaire, mais selon une interprétation métaphysique de ces critères. Il s’agit effectivement de déterminer l’ampleur du mal, – terme pris d’un point de vue métaphysique, en plus des dimensions psychologique, sociale, clinique et économique évidentes.

Les conditions de ces guerres comme le système les mène impliquent moins une “déshumanisation” de la guerre de toutes les façons évidente (mais ce n’est pas nouveau, c’est au contraire la coutume des guerres américanistes que de déshumaniser la guerre pour mieux écraser, – c’est-à-dire sans remord, – l’adversaire devenu non-humain). Elles impliquent une “bi-humanisation” (c’est-à-dire l’instauration d’une double humanité), avec tous les artifices pour cela, allant des simples accessoires qui empêchent le soldat américaniste-occidentaliste d’entrer dans l’univers où il fait la guerre (port des lunettes noires, gilets pare-balles, non connaissance de la langue locale évidemment, emploi systématique de tous les artifices de protection et d’anonymat qui tendent à extraire le soldat des conditions de combat sous le prétexte de sa protection) ; aux diverses méthodes de grande ampleur utilisées, de l’emploi de la technologie anonyme, des massacres “collatéraux” d’innocents, de la corruption systématique touchant tous les acteurs, ennemis, “collaborateurs”, neutres ou civils, etc. L’emploi monstrueusement massif de matériels, avec les gaspillages et les erreurs qui vont avec, achèvent de définir une autre “humanité” face à celle de l'agressé, qui est celle des envahisseurs mais aussi d’une civilisation de l’excès du technologisme en crise terminale, aussi bien pour ceux qui sont envahis que pour ceux qui sont les envahisseurs. Les artifices du système de la communication qui accompagnent ces développements dus au système du technologisme instituent évidemment des différenciations soi-disant “morales” qui renvoient à la narrative postmodernistes en général du niveau du “parti des salonards” (droits de l’homme, de la femme et du reste, antiracisme, etc.), c’est-à-dire des différenciations grotesques, qui sont évidemment complètement contredites, battues en brèche, à la fois caricaturées et systématiquement trahies par la guerre elle-même. C’est-à-dire que l'on tend ainsi à faire des soldats des robots-tueurs mais en exigeant d’eux qu’ils aient également une conscience morale hyper-développée et complètement contradictoire de la vérité de la guerre, parce que la narrative de notre civilisation ne saurait accepter la réduction de l’homme au niveau du robot, bien au contraire, ni nos aventures civilisatrices à des massacres grossiers et d’une stupidité sans équivalent possible. La tension psychologique contradictoire imposée aux combattants du système, par ailleurs souvent transformés en tueurs invétérés, mais sans l’assise psychologique pour cela, est d’une prodigieuse puissance. Elle affecte en profondeur des dizaines, des centaines de milliers de soldats devenus vétérans, qui ramènent dans leurs pays, aux USA surtout, des pathologies de la psychologie à mesure.

Notre appréciation est que ces pathologies, dont la dimension métaphysique inconsciente est d’une puissance considérable à cause du sentiment de culpabilité et de la transformation en bouillie pour les chats des notions de bien et de mal, ne peuvent plus être isolées du reste de la population comme c’est la coutume lorsque des combattants affectés par le conflit rentrent dans leurs pays. Le nombre est trop important, les manifestations de la pathologie trop éclatantes. Le phénomène social, par essence exceptionnel et antagoniste de la société, est en train de devenir un trait de la société américaniste-occidentaliste par diffusion de cette réalité pathologique massive et il devrait ainsi infecter cette société, et il l’infecte d’ores et déjà. Cela ne signifie pas nécessairement (ou seulement) des conséquences politiques vis-à-vis de ces guerres, qui sont de toutes les façons d’ores et déjà impopulaires, mais plus profondément des conséquences psychologiques à composante métaphysique conduisant à une confusion terrifiante sur les notions de bien et de mal, avec le sentiment de culpabilité diffus et extrêmement désordonné mais très puissant qui va avec. Une telle évolution est un facteur fondamental de plus qui attaque la psychologie d’une civilisation qui, d’ores et déjà, du point de sa justification métahistorique, de sa justification d’être, est en complète déroute.

Les conséquences de ces guerres sont, bien évidemment, d’introduire, ou plutôt d’ajouter un facteur insidieux mais d’une profondeur inouïe, dans la psychologie de cette civilisation, alimentant une incapacité grandissante et schizophrénique de se supporter elle-même. Cela ne constitue nullement une réalisation consciente, mais bien un poids inconscient supplémentaire, avec comme réactions la déraison des attitudes sociales, l'anarchie des attitudes politiques à l'intérieur du système, et le désordre des esprits dans le jugement qu’on a sur soi-même, sur l’action de la civilisation et, bien entendu, sur la civilisation elle-même.


Mis en ligne le 1er octobre 2010 à 07H05