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2099Il est vraiment très nécessaire de lire ce livre, y compris et surtout en Europe où l'on sait si peu de chose de la politique intérieure et de l'histoire des États-Unis. Les Européens prétendent très bien connaître l'Amérique et ils font leur politique américaine en fonction de cette connaissance, qui est un tissu de lieux communs et d'idées toutes faites, construites à partir d'une vision complètement idéalisée de l'Amérique ; voilà pourquoi ils devraient, toutes affaires cessantes, se mettre à la lecture de ce livre. Comme on le note de façon plus explicite à la fin de ce texte, on doit d'autant plus lire The New Dealers' War que ce livre nous restitue une époque à laquelle l'Amérique dans la crise d'après le 11 septembre 2001 voudrait ressembler, — ou, dans tous les cas, aurait voulu ressembler dans les quelques mois qui suivirent.
Quel est le thème du livre? La Deuxième Guerre mondiale américaine (c'est-à-dire 1941-45) à l'intérieur de l'Amérique, vue de l'Amérique, appréciée à partir d'une Amérique d'abord préoccupée de ses problèmes intérieurs qui étaient extrêmement nombreux (d'où le sous-titre, qui en dit long : «FDR and the War Within World War II»). On appréciera, d'une façon générale, l'étonnante impression qu'on retire de la lecture de ce livre: loin des chromos habituels sur la grande mobilisation patriotique, sur l'unité nationale, sur l'unité fervente derrière Roosevelt, l'impression est celle du désordre intérieur, d'affrontements politiciens féroces, de troubles sociaux, de troubles raciaux avec des émeutes, de batailles électorales sans pitié, de conflits impitoyables entre forces industrielles.
Il est très nécessaire de lire ce livre, précisément, parce qu'on ne peut décidément s'en tenir à des insignifiances hollywoodiennes comme le film Pearl Harbor pour comprendre pourquoi la Deuxième Guerre mondiale a pris l'orientation qu'elle a prise, pourquoi les États-Unis sont entrés sur la scène mondiale en 1941, pourquoi depuis ils ont dominé le monde, pourquoi ils le font encore aujourd'hui mais connaissent des tourments considérables dont ils ne sont pas prêts de sortir. Peut-être, également, ce livre éclairera-t-il la situation actuelle des États-Unis, après l'attaque du 11 septembre, par exemple en montrant assez précisément ce qu'il faut retenir exactement des explications officielles que nous donnent les dirigeants politiques et ceux qui sont chargés de commenter leurs actions.
Les New Dealers, ce sont les partisans radicaux de Roosevelt (FDR), ceux qui le suivirent, l'aidèrent, le portèrent durant les rudes batailles de la Grande Dépression où l'Amérique manqua s'effondrer, se volatiliser, disparaître de la surface du globe en tant que nation organisée et pays soi-disant inspirateur du monde. (André Maurois rapportait dans ses Chantiers américains, en septembre 1933, retour d'un voyage aux USA : «Si vous aviez fait le voyage vers la fin de l'hiver (1932-33), vous auriez trouvé un peuple complètement désespéré. Pendant quelques semaines, l'Amérique a cru que la fin d'un système, d'une civilisation, était tout proche». Le professeur américain Albert Guérard, en 1945: «Je doute [que] beaucoup d'Européens [aient] pleinement réalisé l'étendue du désastre, et à quel point le pays était proche de sa ruine absolue, au moment où Roosevelt prit le pouvoir.»)
FDR sauva le pays de la dislocation par la mobilisation qu'il lui insuffla, par la magie de son verbe, entre 1933 (première année de son premier mandat) et 1935. C'est certainement, à cette échelle d'un continent et pour une cause aussi essentielle, et pour un résultat aussi radical, la première campagne de communication aussi parfaitement réussie, jusqu'à paraître magie pure. Le New Deal, lui, donna un répit à l'Amérique avant que le système ne replongeât, à partir de 1936-37. (Les chiffres du chômage font l'affaire pour résumer cette terrible décennie de l'effondrement américain avec le mieux temporaire du New Deal et la chute à nouveau : 1,8 million de chômeurs en 1929, 4,7 millions en 1930, 8,5 millions en 1931, 12,8 millions en 1932, 13,2 millions en 1933, 11,4 millions en 1934, 10,6 millions en 1935, 9,3 millions en 1936, 8,3 millions en 1937, 11 millions en 1938, 10,4 millions en 1939 ...) A partir de cet arrière-plan de misère et de bouleversement, comment l'Amérique de FDR en vint-elle à la guerre, jusqu'à la domination du monde, et que se passa-t-il en Amérique même pour accompagner et expliquer cette évolution? New Dealers' War nous donne de solides indications pour répondre de manière satisfaisante à ces questions.
Le livre montre bien, hors des bandes caricaturales de la propagande hollywoodiennes, l'histoire complexe, délicate, incroyablement compliquée de ces années-là; l'enchaînement des circonstances, revers et victoires intérieurs à l'arrachée. Surtout, Fleming nous montre combien, imperturbablement, tout, absolument tout dans l'histoire de l'Amérique, est d'abord une affaire de politique intérieure, y compris l'internationalisme et l'hégémonisme rooseveltiens. (C'est-à-dire que lorsque les Américains vous disent qu'ils ont une politique internationaliste, on peut être sûr que celle-ci est déterminée d'une manière isolationniste, hors de réelles références extérieures.) Bref, si nous ne nous savons rien des méandres de la politique intérieure américaine, si nous n'y comprenons rien, et si nous ne décidons pas à nous en instruire, nous mourrons dans un grand désarroi intellectuel vue l'importance de l'Amérique aujourd'hui et toutes nos politiques américaines seront inéluctablement vouées à l'échec.
Nous allons détailler certains faits et grandes tendances qu'éclaire ou révèle le livre de Thomas Fleming.
L'attaque de Pearl Harbor a-t-elle été secrètement “permise” par FDR, qui aurait disposé de toutes les informations à ce sujet et qui aurait laissé faire, parce qu'il voulait précipiter l'Amérique dans une guerre dont elle ne voulait pas? Seule la dernière proposition (précipiter l'Amérique dans une guerre dont elle ne voulait pas) est assurée. Sur les autres, Fleming ne dit rien de décisif. Au reste, il apparaît qu'il est inutile de savoir quelque chose de “décisif” à cet égard, après avoir lu ce que Fleming nous dit. En d'autres termes, il n'est nul besoin de révélations sur son éventuelle tromperie à Pearl Harbor pour être assuré que FDR fut un manoeuvrier, un roué, et qu'il trompa complètement le peuple américain. Cela est une évidence aveuglante à la lecture du livre de Fleming, et cela laisse à penser, profondément, sur la personnalité de FDR et sur la réalité du personnage par rapport à cette dimension d'icône que l'histoire lui a accordé. (Certes, comme l'ont relevé certains, c'est la personnalité, disons la réputation de FDR qui est la première et incontestable victime du livre de Fleming, indirectement mais de façon très profonde.)
Il n'est nul besoin de manigances autour de l'attaque elle-même (sans doute y en eut-il tout de même, d'une façon ou l'autre) pour comprendre que le Japon fut, par rapport à ses ambitions et à sa puissance, et quoiqu'il en soit de ses responsabilités par ailleurs, acculé à la guerre par la politique de FDR. Il y eut une volonté évidente de refus d'arrangement des USA avec le Japon avant Pearl Harbor. Cela n'absout en aucune façon le Japon de ce qu'il fit avant ou après. Cela fixe les réalités et l'esprit qu'il faut avoir pour les appréhender. (La proposition implicite du livre de Fleming est qu'il faut arrêter de penser moralement, en pensée binaire, selon quoi si l'un s'avère noir brusquement, l'autre qui était noir jusqu'alors devient blanc. On ne peut qu'encourager le lecteur à sortir du jugement binaire sur les événements du XXe siècle, et précisément sur FDR. Le lecteur constatera que cela soulage et que cela éclaire, et que cela donne du coeur au ventre.)
Mais il y a un sujet, autour de Pearl Harbor, où le livre de Fleming est incontestablement une révélation: la question de l'entrée en guerre de l'Allemagne. Ce mystère-là est complet: pourquoi l'Allemagne commet-elle, le 11 décembre 1941, la faute stratégique incroyable de déclarer la guerre aux USA? Son alliance avec le Japon ne l'y obligeait en rien; au reste, Hitler nous a montré qu'il ne faisait pas de sentiment et qu'en fait de parole non tenue et de violation des promesses, il s'y entendait. Sur un autre plan, Fleming l'explique en détails, l'attaque japonaise n'impliquait nullement, du côté américain, la guerre contre l'Allemagne. Si FDR avait voulu déclarer la guerre à l'Allemagne, même après Pearl Harbor, il aurait presque à coup sûr connu la formidable humiliation de voir le Congrès le censurer, le mettant dans une position de faiblesse sans précédent et donnant une quasi-impunité à l'Allemagne.
Fleming analyse en détails l'affaire de la “fuite” du 4 décembre 1941, dont le souvenir a été obscurci dans la comptabilité des événements importants par l'attaque du 7 décembre (et, certes, la proximité des deux dates est un de ces points qui font quelque peu douter du comportement de FDR à l'égard de ces deux événements). Le 4 décembre, deux grands journaux de tendance isolationniste, dont le fameux Chicago Tribune du non moins fameux colonel McCormack, publient les détails du plan Rainbow Five. Ce plan, réalisé au Pentagone, étudie une entrée en guerre des USA et une intervention en Europe contre l'Allemagne, avec une armée de 12-13 millions d'hommes constituée et déployée en 1943-44. Fleming montre que les Allemands perçurent aussitôt le danger (tout en montrant une parfaite méconnaissance de l'Amérique, car ce plan restait théorique si l'Amérique restait isolationniste, et elle avait toutes les chances de le rester vis-à-vis de l'Europe sans la déclaration de guerre du 11 décembre). Les Allemands estimèrent qu'il leur fallait à tout prix prévenir ce déploiement américain et ses conséquences, pendant que les USA étaient encore faibles, de deux façons: en lançant une guerre sous-marine totale dans l'Atlantique pour couper les voies de communication navales avec l'Europe; en lançant une offensive décisive sur la façade Sud de la Méditerranée pour interdire une invasion de l'Europe par le Sud. Pour lancer la bataille de l'Atlantique, il fallait un état de guerre avec les USA et l'alliance avec le Japon devenait un bon prétexte. (Les Allemands faillirent réussir: l'année 1942 fut un désastre total pour les communications navales USA-UK et Rommel faillit prendre Le Caire. L'échec de Rommel tint sans doute au refus d'Hitler de dégager quelques divisions du front russe en décembre 1941 et de les affecter à l'Afrika Korps.)
Dans son livre, Fleming nous montre de façon de façon extrêmement convaincante que la “fuite” de Rainbow Five vers la presse le 4 décembre ne pouvait venir que de FDR lui-même, par l'intermédiaire d'un de ses officiers d'ordonnance. Fleming en conclut que cette manoeuvre ne pouvait avoir pour but que de provoquer la déclaration de guerre allemande, et elle réussit. C'est plus que convaincant. (D'autre part, cela nourrit encore plus les doutes sur la connaissance de quelque chose qu'avait FDR à propos de l'attaque de Pearl Harbor; car la fuite du 4 décembre n'avait vraiment de sens, et tout son poids, que si elle se faisait parallèlement à une attaque japonaise qui donnait à l'Allemagne un argument de façade pour déclarer la guerre aux États-Unis.)
Fleming remonte aux sources également, après avoir décrit l'affaire de la “fuite” de Rainbow Five : pourquoi FDR voulait-il la guerre? Pour cela, nous remontons en novembre 1936 et à la première réélection de FDR. Ce fut un triomphe, un véritable plébiscite (11 millions de voix d'avance). La situation intérieure du président était pourtant catastrophique: la crise économique repartait de plus belle et, surtout, la Cour Suprême déclarait inconstitutionnelles les diverses mesures du New Deal, les unes après les autres. Fort de son appui populaire mais acculé par l'attaque de la Cour, FDR tenta un coup de force, un véritable “coup d'état constitutionnel”. En mars 1937, il proposa au Congrès une loi qui transférait nombre des pouvoirs de la Cour à la présidence. L'instant est capital, et FDR croit l'emporter en s'appuyant sur un Congrès à forte majorité démocrate. Mais il s'agit d'une affaire d'équilibre de pouvoir, pas de politique partisane. Une partie importante des démocrates vote contre le président. Sa loi est repoussée. Le président est humilié, réduit à sa position défensive par une défaite qui le prive de tout soutien politique sérieux. Politiquement, sur la scène politique intérieure, FDR est un homme fini.
C'est à ce moment, entre mars et septembre 1937 (son premier grand discours de politique extérieure “interventionniste”, à Chicago) qu'il effectue un tournant complet en orientant une part essentielle de son intérêt politique vers la politique extérieure et lance sa croisade anti-fasciste qui culminera avec l'entrée en guerre de 1941. Le président fini, estime Fleming, a choisi la seule voie de survie: s'affirmer dans le seul domaine où aucun autre pouvoir américain ne peut contester le sien, – la politique extérieure. (Cette attitude est universelle dans la République américaine. Clinton fit de même en 1994-95: les démocrates mis en minorité au Congrès par les élections de novembre 1994, dans l'impossibilité d'imposer son programme intérieur, il se tourna à partir du printemps 1995 vers la politique extérieure d'hégémonie. Cela commença par l'intervention US/OTAN en Bosnie en août-septembre 1995.)
Les New Dealers acceptèrent aussitôt ce tournant politique de FDR. L'orientation vers l'interventionnisme leur offrait une échappatoire, une fuite en avant pour résoudre la question du blocage intérieur. Ils feraient de l'activisme extérieur nouveau de FDR un tremplin pour faire la promotion des valeurs du New Deal. Une politique interventionniste et expansionniste devrait faire des USA la grande puissance dominatrice du monde, et les USA imposeraient, à leurs alliés d'abord, aux ennemis vaincus ensuite, les idées du New Deal. Henry Wallace, ministre de l'agriculture puis vice-président (de 1940 à 1944), fut le commis-voyageur de ces idées, qu'il synthétisait sous l'expression de Common Man, le citoyen démocratique mondial. FDR reçut aussi l'appui du Royaume-Uni, dont toute la politique tendait à faire entrer les USA dans la guerre; des milieux financiers de Wall Street, très proches des Britanniques et intéressés par une politique d'expansion; finalement, d'une bonne partie des républicains et du Big Business séduit par l'expansion industrielle de l'industrie de guerre.
C'est pourquoi la politique interventionniste de FDR s'accompagna rapidement d'une forte poussée d'américanisation, à cause de cette dimension idéologique des New Dealers. Les idées du Common Man furent rapidement marginalisées mais celles de l'américanisation demeurèrent. L'alliance britannique se concrétisa en une alliance de dupes dont les Britanniques (sauf quelques rares personnalités comme Anthony Eden ou l'historien John Charmley) ne se sont pas encore aperçus, et où ils perdirent conjointement leur Empire, la prépondérance de la livre sterling et leur supériorité technologique en matière aéronautique.
En 1945, la politique d'expansion et d'américanisation triomphait alors que FDR agonisait. Nous n'en sommes plus sortis, mais au moins serait-il temps de bien apprécier d'où elle nous vient précisément.
Un autre thème important du livre, peut-être le plus important dans le domaine des événements internationaux et stratégiques de la guerre, c'est la politique de Roosevelt de reddition sans conditions. Le président américain l'annonça lors d'une conférence de presse le 24 janvier 1943, à l'issue de la conférence de Casablanca. Plus tard, rapporte Fleming, FDR expliqua que l'idée de lancer publiquement l'affirmation de l'exigence de la reddition sans conditions de l'Allemagne «“popped into my mind” at the press conference – an explanation accepted by a dismaying number of historians.» Fleming relève l'absence totale de fondement de cette explication, pourtant si souvent citée. Les notes dictées par FDR pour préparer sa conférence de presse comportent les phrases quasiment mot pour mot qui furent ensuite prononcées par le président, pour présenter la reddition sans conditions. Dans tous les cas, certaines déclarations de Roosevelt, dès janvier 1942 où il estimait impossible «un compromis réussi entre le bien et le diable», montrent que cette idée était déjà fortement dans son esprit.
D'une façon générale, les réactions furent le plus souvent négatives, chez les chefs militaires anglo-saxons (et notamment américains, comme Marshall et Eisenhower), chez Churchill, et même chez Staline à qui l'initiative de Roosevelt était censée apporter tous les apaisements concernant la volonté américaine d'aller jusqu'au bout dans la guerre entamée contre l'Allemagne. L'argument venu à tous ces opposants à cette idée de reddition sans conditions, une conception sans précédent dans l'Histoire depuis la campagne menée par Rome pour l'anéantissement de Carthage, était qu'elle renvoyait tous les Allemands dans la position la plus radicale, du côté de Hitler et de ses idées de conduire la guerre jusqu'aux plus sauvages extrémités, – ce qui signifiait, pour le cas d'une victoire des Alliés, d'avoir à lutter jusqu'à l'anéantissement total de l'Allemagne. Mais encore plus, l'exigence de la capitulation sans conditions était rendue publique au moment où des négociations très sérieuses étaient conduites entre les Alliés et l'opposition allemande (notamment avec l'amiral Canaris), qui avait les plus grandes chances de conduire à un renversement de Hitler et à l'installation d'un régime démocratique avec arrêt immédiat des hostilités. Lorsque l'exigence de capitulation sans condition fut connue, bien entendu, ces pourparlers furent rompus, de nombreux soutiens (allemands) à l'opposition clandestine se dérobèrent, l'opposition elle-même fut démantelée (cela aboutissant, deux ans plus tard, à l'arrestation et à l'exécution sommaire de l'amiral Canaris par Hitler).
Fleming a fait les comptes: il estime que l'exigence de la capitulation sans conditions a prolongé la guerre de deux ans et est par conséquent la cause indirecte mais réelle de la mort d'au moins 8 millions de personnes. Notamment, une partie importante des 6 millions de juifs exterminés par Hitler aurait pu être sauvés sans cette exigence.
(Roosevelt se montrait par ailleurs, à cette époque comme à d'autres, fort leste avec les associations juives qui lui demandaient de prendre position pour dénoncer et/ou tenter de freiner l'Holocauste. Il interdit à ces associations toute intervention publique aux USA sur ce sujet. Son obsession était toute électorale. FDR jugeait les Américains antisémites et il craignait de perdre leur soutien si la guerre prenait l'allure, d'une façon ou d'une autre, d'une “guerre pour sauver les juifs”.)
Le plus intéressant, finalement, est bien de savoir pourquoi FDR imposa cette condition de reddition sans conditions. On l'a vu, Fleming s'interroge là-dessus, dans une matière où aucune appréciation précise n'a pu être donnée. Finalement, il privilégie l'idée que la reddition sans condition a été choisie comme le symbole d'une cause dont FDR espérait, avec raison, qu'elle mobiliserait le peuple américain. Lorsqu'il lance l'idée, début 1943, le peuple américain n'est pas moralement mobilisé. La situation intérieure est incertaine. Les premiers résultats de la guerre américaine ont été catastrophiques, notamment dans la bataille de l'Atlantique. Le parti démocrate a été battu, écrasé aux élections de novembre 1942. Fleming observe :
«Unconditional surrender was anything but accidental and its meaning and intent were profoundly serious. It represented FDR's attempt to assuage his liberal critics in America and give the war a moral purpose, a rallying cry it has thus far lacked.»
Il y a une certaine proximité entre cette décision de Roosevelt et celle de Lincoln, fin 1862, décidant de donner à la Guerre Civile le but de l'émancipation des esclaves (l'Acte d'émancipation de 1863), ce qui donnera effectivement un sens moral au combat du Nord, sens dont il manquait jusqu'alors, au point de risquer de voir s'effriter sa cohésion, et qui conduira le Nord à une politique d'anéantissement des structures économiques et culturelles du Sud. Comme dans tous les cas importants de politique étrangère américaine, on retrouve la prépondérance de la politique intérieure dans les décisions de politique étrangère. Au début de 1945, le but de l'unconditional surrender était soutenu par plus de 90% des Américains. Roosevelt avait réussi. Pour le reste, il y a là un cas important à débattre, encore aujourd'hui, pour les historiens.
Aux États-Unis, New Dealer's War connaît un gros succès. Le livre a été accueilli, non seulement comme l'apport historique qu'il est incontestablement après des décennies surtout marquées par une orientation éditoriale pro-rooseveltienne, mais également comme un événement politique qui s'inscrit dans l'actualité. Certains commentaires et recensions du livre au moment de sa sortie sont apparus comme des textes de politique qui font directement référence à la situation présente, comme par exemple ce commentaire du libertarien et rédacteur en chef du site Antiwar.com, Justin Raimundo. Les Américains sont eux aussi privés d'une connaissance acceptable de leur histoire récente, de ce tournant essentiel de leur histoire de 1929-1941, le moment le plus important pour leur nation avec la Guerre de Sécession.
Enfin, on terminera par une référence encore plus pressante à l'actualité, depuis le 11 septembre et tout ce qui s'ensuit. Il faut lire ce livre, par conséquent, pour comprendre ce que fut la guerre 1941-45 aux USA, pour faire la comparaison avec l'image qu'on en a et pour apprécier tout cela en fonction de ce qu'on veut faire aujourd'hui aux USA dans le cadre de la “guerre contre le terrorisme”, cette façon qu'on a de vouloir recommencer 1941, mais bien sûr l'image de 1941 alors que le livre de Fleming nous en restitue la réalité.
The New Dealers' War, FDR and the War Within World War II, 628 pages, Basic Books, New York 2001 – Nous avions publié la recension de ce livre de Fleming en 2001. Un accident informatique (en mars 2002) nous en avait privé. Nous avons retrouvé ce texte et nous le remettons en ligne.