La guerre du Sud est notre guerre, – et comment!

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La guerre du Sud est notre guerre, – et comment!

Il apparaît de plus en plus manifeste, c'est-à-dire de plus en plus écrasant, que la bureaucratie du Pentagone est en marche pour intégrer dans sa planification bienheureuse la “guerre de la drogue”, au Mexique et sur la frontière Sud des USA. Une réponse du général Cartwright, un solide officier général du Corps des Marines et l’adjoint du président du JCS, l’amiral Mullen, lors d'une conférence de presse du 6 avril 2009 au Pentagone, nous apparaît effectivement significative. Cette conférence de presse est celle où le secrétaire à la défense Gates a présente sa proposition de budget FY2010,.

Voici l’extrait:

Question: «I understand there's going to be… Mexico, by the first time in the history, is going to take part in some military exercises in Florida, as I understand.

Gen. Cartwright: «Right. I just hosted my counterparts in the Mexican military last week up here. We worked through several areas where we're going to start to cooperate in ways that we have not done in the past, both at the service level, for training, and then at the operational level, with the Commander of NORTHCOM, for support in the drug conflicts that they're working their way through, but also for general support in their ability to defend their country. I think that that will be more robust than it has been in the past, by a significant amount.

»The work that the service chiefs are doing – service to service – is very significant, both in helping their government – the Mexican government – grow their forces, but also make this transition towards what we have talked about here as being irregular warfare and in the training and the equipping that goes with that, which they need some help with.»

La réponse est d’une densité remarquable. Elle mérite que nous nous y attardions avec plusieurs points de commentaire.

• Voici donc l’armée mexicaine impliquée dans un exercice avec l’armée US. Comme l’observe le journaliste, c’est une très grande première fois historique. Il est remarquable en effet que, jusqu’ici, les liens publics ont toujours été ténus, c'est-à-dire discrets, entre les deux armées de pays pourtant si proches jusqu'à être intimes; et ces liens ont toujours été soigneusement noués hors de la sphère opérationnelle. Par ailleurs, l’influence US a toujours été très forte, mais elle était dissimulée pour éviter les susceptibilités mexicaines. Soudain, tout cela change! Que cette précaution soit désormais écartée indique combien la situation est perçue comme pressante, du côté du Pentagone, et cela nous donne une mesure de l'importance que va prendre ce conflit pour la bureaucratie de Moby Dick. Bien entendu, c’est le Pentagone qui a pris l’initiative de ces décisions de coopération opérationnelle et qui a fait pression pour que les militaires mexicains acceptent. Il est possible, sinon probable que cette initiative ait des effets secondaires, en alimentant l’hostilité mexicaine contre les USA, avec cette perception désormais confirmée d’une interférence US dans les activités militaires mexicaines, – car c’est ainsi, évidemment, que la chose sera perçue.

• L’implication des militaires US est structurellement massive, notamment parce qu’elle s’effectue selon deux chaînes opérationnelles. D’une part Southern Command (commandement pour l’Amérique Latine), dont dépendent les installations et les forces US qui participeront aux manœuvres conjointes, sans doute à Tampa, en Floride, et qui sera chargé de la coopération sur le territoire mexicain. D’autre part, Northern Command, qui est le nouveau (et complètement inédit) commandement militaire du territoire national, qui sera impliqué dans les opérations sur le territoire US, sur la frontière. L’ampleur de la démarche est considérable puisqu’on parle de soutien par l’entraînement conjoint, mais aussi “à un niveau opérationnel”. Le programme est dévastateur! Il est question d’aider le Mexique dans “la guerre de la drogue” mais aussi dans la tâche plus vaste et incontrôlable puisque extrêmement vague, de “défense du territoire national” (mexicain). (Voir cette phrase significative: «…for support in the drug conflicts that they're working their way through, but also for general support in their ability to defend their country.») Dans tous les cas, on peut à l'avance savourer les interférences, concurrences, etc., qui se manifesteront entre Southern Command et Northern Command sur quelque chose d'aussi ténue pour déterminer les zones de responsabilité qu'une frontière.

• D’une façon générale, la réponse du solide général du Corps des Marines est faite dans le cadre de la présentation du budget FY2010, qui présente également un tournant de la stratégie du Pentagone, avec l’accent mis sur les “guerres irrégulières” (disons, la G4G, ou “guerre de la quatrième génération”). C’est ce qu’explique Cartwright: «…helping their government – the Mexican government – grow their forces, but also make this transition towards what we have talked about here as being irregular warfare». Ainsi cela revient-il à nous dire que le gouvernement mexicain est invité, engagé d’office si l’on veut, à suivre, dans le chef de ses propres forces armées avec lesquelles on va coopérer, la même “révolution stratégique” que vont suivre les USA sous la conduite hautement éclairée des stratèges du Pentagone. Il y a, de facto comme toujours avec la démarche américaniste, et sans discussion bien sûr, une présentation absolument en forme d’annexion. Les forces armées mexicaines sont placées dans une logique de planification du Pentagone, elles devront suivre les nouvelles doctrines US qui vont être développées, – évidemment sans discussion.

L’extraordinaire continuité de la pensée et des réflexes d’annexion du Pentagone, au nom d’une réforme qui doit tout changer de la pensée et des réflexes du Pentagone, – voilà qui est remarquablement présenté ici. Le général Cartwright, du Corps des Marines, nous a fait sa leçon de chose. Désormais, la “chose” est dans le pipe-line: le conflit sur la frontière est en voie d’annexion par le Pentagone, donc sur la voie de l’aggravation accélérée, pour devenir une crise majeure qui sera également un banc d’essai grandiose de la “nouvelle doctrine” (sic and resic). Jusqu’ici, les généraux ont assuré Obama que le conflit était “sous contrôle” et le président et commandant en chef en a accepté l’augure; il n’est pas au bout de ses surprises car il va apprendre que, pour le Pentagone, ce qui est toujours sous contrôle c'est la prolifération du désordre incontrôlé..

 

Mis en ligne le 9 avril 2009 à 11H37