La guerre privatisée, donc hors de contrôle

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On sait que la privatisation des forces militaires est une des grandes caractéristiques des forces armées US depuis 9/11. Un texte du 19 décembre 2009 de Jeremy Scahill sur Antiwar.com nous indique que l’arrivée de l’administration Obama n’a rien changé au mouvement et que l’Afghanistan est aujourd’hui son centre d’attraction principal. Les chiffres proviennent d’un document officiel de la sous-commision du Sénat sur le contrôle des contrats gérés par l’administration.

• Pour le Pentagone en totalité, 69% du personnel est administré sous contrats extérieurs privés, évidemment le chiffre le plus élevé de l’histoire («the highest ratio of contractors to military personnel in US history»).

• Il y a actuellement 104.000 personnes privées sous contrats du Pentagone en Afghanistan. Le renforcement de 30.000 hommes amènera 56.000 contractants privés de plus. Il faut ajouter 3.600 contractants privés du département d’Etat et 14.000 de USAID. «That means that the current total US force in Afghanistan is approximately 189,000 personnel (68,000 US troops and 121,000 contractors). And remember, that’s right now. And that, according to [the commission] McCaskill, is a conservative estimate. A year from now, we will likely see more than 220,000 US-funded personnel on the ground in Afghanistan.» Effectivement une estimation très basse si l’on prend en compte les contractants privés annoncés ci-dessus, qui conduiraient le total plus proche de 300.000 que de 220.000.

• Avec Obama, la tendance se poursuit et même s’accélère : «In Afghanistan, the Obama administration blows the Bush administration out of the privatized water. According to a memo released by McCaskill’s staff, “From June 2009 to September 2009, there was a 40% increase in Defense Department contractors in Afghanistan. During the same period, the number of armed private security contractors working for the Defense Department in Afghanistan doubled, increasing from approximately 5,000 to more than 10,000.”»

• Le contrôle de ces contractants privés est très mauvais, parfois inexistant. La sous-commission McCaskill du Sénat citée par Scahill rapporte: «In May 2009, DCMA [Defense Contract Management Agency] Director Charlie Williams told the Commission on Wartime Contracting that as many as 362 positions for Contracting Officer’s Representatives (CORs) in Afghanistan were currently vacant.» La situation est partout à peu près semblable à celle que décrit un officiel de USAID: «[T]he agency “is sending too much money, too fast with too few people looking over how it is spent.” As a result, the agency does not “know … where the money is going.”»

Notre commentaire

@PAYANT Les chiffres sont considérables et, pourtant, n’étonnent plus personne. Le fait que 69% du personnel du Pentagone ne dépendent pas de la fonction publique, dans les conditions où on les voit, c’est-à-dire hors de tout contrôle, explique aisément toutes les caractéristiques de la machinerie habituelle du système en cas d’absence totale de contrôle: escroquerie, gaspillage, corruption, non application des consignes générales, actes illégaux de guerre, etc. Ces conditions sont exacerbées sur les théâtres de guerre, surtout les guerres actuelles qui répondent à des schémas peu conventionnels avec l’absence de front, l’identification extrêmement aléatoire des partis en présence, les situations illégales qui interfèrent (trafic de drogue), etc.

En février 1994, un article retentissant de Robert D. Kaplan dans Atlantic Monthly, «The Coming Anarchy», annonçait une nouvelle époque où les situations de désordre se multiplieraient de par le monde, dans les pays sous-développés ou en développement, du fait de l'absence d'autorités locales. Le 2 septembre 2005, nous nous interrogions de savoir si cette “coming anarchy” n’était pas plutôt présente au cœur des USA, dans les réactions erratiques de la puissance publique devant la dévastation de la Nouvelle Orléans par l’ouragan Katrina. Poser la question, c’était certes y répondre. Le constat se vérifie chaque jour et s’amplifie. L’anarchie annoncée en 1994 est d’abord celle qui est présente au cœur de la plus puissante organisation de l’américanisme, le Pentagone, avec cet appel massif au secteur privé et l’absence complète de contrôle qui l’accompagne.

Au vu de la situation en Afghanistan des forces US telle qu’elle est décrite et de ce qui se prépare avec le renforcement, on peut avancer sans crainte de forcer l’hypothèse que l’anarchie est beaucoup plus grande dans les forces US et leurs contractants civils qui pullulent que chez les talibans et dans les autres centres de résistance. C’est l’un des effets pas si paradoxaux d’un système qui s’appuie sur l’idée, implicite ou explicite, que, pour sauver les autres de l’anarchie, il faut provoquer l’anarchie chez eux et faire place nette (tabula rasa) pour permettre à ce système de s’installer. Mais le système n’abandonne pas pour autant ses autres travers et la désorganisation chez les autres – ou, disons, “l’organisation de l’anarchie” – demande une telle planification et une telle logistique à la bureaucratie en place, en même temps que la nécessité de se montrer soi-même comme l’exemple de ce qu’on veut imposer aux autres (être désordre soi-même), que l’addition conduit à une situation de désordre exemplaire chez nous, avant tous les autres – comme référence pour eux après tout…

La “coming anarchy” est déjà parmi nous depuis longtemps, et le terme “parmi nous” pris au sens précis. Elle est dans le système lui-même beaucoup plus que dans les situations de désordre que le système prétend combattre. Elle est générée, créée par le système, à la fois volontairement (selon les thèses du “désordre créateur” appliquées depuis 2001 d’une façon systématique dans les actions guerrières en plus de l’économie), à la fois par sa mécanique elle-même qui est fondamentalement créatrice de désordre. Tout cela rejoint parfaitement le schéma de la déstructuration que nous offrons pour caractériser le système et, par conséquent, donne paradoxalement à ses adversaires, notamment les talibans et le reste dans ce cas, une fonction, sinon une vertu structurante. Les observateurs vigilants de l’orthodoxie postmoderniste, attentifs au port du voile par les femmes selon les règles religieuses strictes qui sont dénoncées, en seraient certainement fort émus s’ils savaient. Nous compatissons sans la moindre réserve.


Mis en ligne le 21 décembre 2009 à 07H25