La leçon de l'éruption du volcan au nom imprononçable

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Hamish McRae, commentateur de The Independent, est bloqué en Finlande. Il fait des plans pour rentrer en Angleterre. Ce ne ne sera pas simple.

«This column is being written at the home of some friends in Helsinki because the most promising way of getting back from a conference in Tallinn on Friday seemed to be to take a ferry over the Gulf of Finland and set off back to Britain from here. The plan is, if things don't clear today, to take an overnight ferry to Stockholm, drive a rented car down through Sweden, Denmark and Germany and get on to the Harwich ferry in Holland. So it should be perfectly possible get from near the Russian border to London by land and sea, even given the present pressures and even without the services of the Royal Navy. It is just going to take a while.»

Cela est écrit et mis en ligne, après transmission électronique, sur le site de The Independent, ce 20 avril 2010. McRae nous donne diverses réflexions, dont nous donnons nous-mêmes quelques aspects montrant qu’il ne se contente pas d’en rester aux seuls constats immédiats, voire aux seules statistiques économiques de cette énorme paralysie d’une dimension essentielle de cette société postmoderniste plongée dans le tourbillon d’une crise d’un système poussé à l’extrême de sa puissance, de sa rapidité fébrile, de sa neurasthénie et de son absence de sens.

«…If this experience has taught us that Europe is huge and such a huge area needs better co-ordinated transport infrastructure, that is a start. But it ought only to be a start. The immediate issue is how to use the physical infrastructure we have already got more effectively. Is there, for example, unnecessary bureaucracy at EU border points? Then there should be the identification of physical bottlenecks in road and rail networks, places where quite small investments can speed up the whole system. The air network will be back, maybe quite soon, but it would be a dreadful lost opportunity not to use this experience to make radical improvements to the surface alternative.

»Finally there is the human dimension. This I suspect will be the most lasting impact of this crisis on all of us. We have all, directly or indirectly, experienced a world where we cannot travel swiftly. We are having a glimpse of a world long past, a world more akin to that of our grandparents and great-grandparents than our own. Yes, we have mobile phones, the internet and Skype. But one of the things we have learnt absolutely over the past few days is that being able to communicate is not the same as being able to travel.

[..]

»…If we are able to go to China and India we will see at first hand the astounding new Asia bursting out before our eyes. But amidst all this we will value home more too, as anyone stuck abroad surely will acknowledge. We should not turn our backs on travelling, for it would be a tragedy were Europeans to visit each other's countries less often. But we should try to view each other's societies more as the pre-jet age generations did: with interest and with respect.

»That is not to paint the Victorians as particularly sensitive observers of foreign peoples. Like Britons today, they took their home culture with them, the gin-and-tonic at sundown. But if they were staying in a place they did at least try and learn the local language, not something that every retiree in Spain has troubled to do. We are still as a people inveterate travellers – how else would there be a million of us stuck abroad? – but maybe we could be more open not just to foreign food and, um, drink but also to foreign culture and ideas.

»It is commonplace to acknowledge that people so often only grasp the full value of something when they lose it ... but the events of the past few days remind us how it is true. Well, some of us have for a while at least lost the ability to get home. And all of us right across Europe have lost air travel for the time being. So when that comes back, let's try and use that wonderful freedom more thoughtfully, sensibly and wisely.»

Notre commentaire

@PAYANT Le commentaire de McRae est très long et l’on trouvera diverses autres réflexions, qui vont un peu dans tous les sens, parfois très pessimistes et inquiètes, souvent reprises par l’optimisme qu’il reste de bon ton de conserver dans les supposées vertus cachées d’un système devenu fou. Ce qui domine est un sentiment que nous ressentons tous d’une façon générale, quoique diffuse, complexe à exprimer, à condenser. Cet incident du volcan islandais au nom imprononçable qui paralyse une dimension essentielle de la civilisation pour un continent entier, avec ses effets sur tout le reste du monde parce que la globalisation est un phénomène si prompt à diffuser les catastrophes et ses effets avant de songer à ses promesses de bien-être que nous considérons à juste titre avec une ironie de plus en plus amère et furieuse, peut et doit avoir un effet psychologique profond sur chaque homme et sur la communauté des hommes. Nous sommes bien en peine d’en deviner les conséquences mais nous sommes assurés que toutes les réflexions profondes qui nourrissent et vont nourrir cet effet porte directement sur le sens de cette civilisation qui a perdu dans son ivresse de puissance la notion du sens.

Peu nous importe les conséquences économiques qui, pour l’instant, agitent les élites qui nous dirigent. Peu nous importe les conférences retardées, annulées, les rencontres remises, les accords retardés et ainsi de suit. Cela, c’est la bouillie pour les chats que nous restitue la crise sans précédent que nous vivons, les effets apparents, immédiats et inévitables, les choses vraiment sans importance tant les agitations de nos élites sont devenues vaines et les statistiques économiques de toutes les façons faussées dans le sens qu’on imagine aisément. Peu nous importe même ces évidences dites et gravement méditées sur la fragilité d’une civilisation soudain bouleversée par ce volcan, dont l’éruption est la chose la plus naturelle du monde, – et que l’un ou l’autre prêcheur, déjà sur les ondes de tel ou tel canal télévisé aux USA, interprète d’ores et déjà comme une “punition de Dieu” parce que la politique du président Obama heurte telle ou telle valeur que ce prêcheur chérie.

Tout cela, les statistiques économiques, l’organisation d’urgence du rapatriement des touristes et des hommes d'affaire perdus, à pied, à cheval, en bus et en ferry, les observations schizophréniques des veilleurs de l’Apocalypse, ne sont pas l’essentiel de cette “crise”, – puisqu’aujourd’hui, une éruption volcanique est devenue une “crise”. Mais non, ce sont plutôt quelques-uns des multiples aspects dérisoires au regard de l’essentiel qu’est cette crise générale qui touche toute une civilisation, et alors tous ces faits que nous considérons sans importance en acquièrent soudain, dans ce qu’ils sont l’expression indirecte même si parfois dérisoires de cette crise générale de ce système terrible qui conduit en aveugle notre civilisation vers sa perte. Il y a des lieux communs dans le texte de McRae, comme on en trouvera dans d’autres, dans les nôtres également, sur la fragilité des choses, sur la différence entre la communication et la connaissance profonde et compréhensive des autres, sur la futilité de notre activité folle comparativement aux besoins que nous avons de mieux comprendre et de mieux connaître les choses, pour mieux réaliser, non pas l’universalité du monde, mais l’universalité du malaise tragique de la crise du monde.

On verra ce qu’il restera de tout cela lorsque les choses reviendront à la normale, et d’abord si vraiment les choses reviendront à la normale. Chaque crise de cette sorte, qui n’est une “crise” que parce que toute notre civilisation est une crise, une structure crisique, et que chaque écart de normes de plus en plus contraignants et totalitaires provoque des effets innombrables de désordre, fait avancer dans notre psychologie profonde le sentiment terrible de la catastrophe dans laquelle nous nous enfonçons. Notre civilisation devenue un système de puissance, de développement aveugle de toute la puissance de notre technologisme, de l’exacerbation de l’“idéal de puissance” qui dévaste notre monde depuis deux siècles, ne cesse de provoquer des heurts toujours plus grave avec ce qu’il reste de sagesse et d’instinct naturel inscrits encore dans nos psychologies et nos mémoires profondes, pour une orientation plus sage, plus naturelle, plus mesurée et plus en accord avec cette ambition perdue de l’harmonie du monde. Le volcan islandais au nom imprononçable participe à la puissante réaction des forces souterraines et grondantes, – et nous parlons de forces historiques, et non sismiques, – qui se renforcent chaque jour pour nous crier notre folie, pour nous donner une mesure plus précise de l’abysse où notre folie de puissance nous précipite. Le volcan islandais au nom imprononçable est donc un événement historique de plus (c’est bien cela : “historique”) dans la longue marche, faite si rapidement pourtant, selon notre rythme, de notre prise de conscience de la folie générale.

La question n’est donc pas de savoir si, après les conséquences catastrophiques de cet incident naturel du monde aux effets d’une puissance si colossale, à la mesure inverse de nos propres ambitions d’une puissance débridée que nous imaginons contrôler, nous allons soudain décider de réviser toutes nos conceptions. Nous ne le ferons pas. Le système, – le mégasystème anthropotechnique, comme dit Baquiast, – ne le permet pas, dont nous sommes tous plus ou moins les créatures. Mais nous avons aussi nos tréfonds psychologiques, et il y aura sans aucun doute un effet collectif de cet événement qui s’inscrira collectivement dans ces psychologies. Nous saurons un peu plus, nous le savons déjà, que notre organisation du monde, que nos ambitions, que les instruments de cette organisation et de cette ambition, sont notre prison universelle bien plus que notre libération générale, et que cette prison nous conduit vers l’abîme. Cela ne signifie en rien que la crise est ainsi plus proche de sa résolution, qui est une spéculation qui nous dépasse, mais certainement cela signifie que nous savons un peu plus au fond de nous-mêmes que cette crise-là n’est pas un délire d’illuminé ou une amertume de passéiste rétrograde. Chaque jour qui passe, chaque “crise” que devient l’un ou l’autre événement naturel, nous montrent un peu plus le sort funeste de notre civilisation et la réalité de cette crise générale.

Voilà au moins un effet acceptable et utile de l’éruption de ce volcan au nom imprononçable. (Mais les Islandais, eux, qu’aucun avion ne peut amener chez nous pour nous faire une conférence, le prononcent avec facilité.)


Mis en ligne le 20 avril 2010 à 07H21