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1188On sent une immense amertume et un dégoût sarcastique à mesure dans la bouche de Daniel Ellsberg, l’homme des Pentagon Paper de 1971, lorsqu’il parle de l’administration Obama et des libertés publiques US dans le domaine de la sécurité nationale étendu à la narrative de la “guerre contre la Terreur”. Ellsberg a eu beaucoup à souffrir de l’attitude de Richard Nixon et de son administration, lorsqu’il rendit publiques en 1971 les Pentagon Papers. Aujourd’hui, il dit que l’administration Obama est “meilleure”, c’est-à-dire infiniment pire, dans la pratique de la destruction des libertés publiques, que ne le fut l’administration Nixon.
Au cours de cette interview à CNN, le 7 juin 2011, reprise pour ses extraits essentiels dans RAW Story le 9 juin 2011, Ellsberg développe l’idée fondamentale que ce qui fut accompli d’illégal contre lui du temps de Nixon est aujourd’hui devenu la nouvelle “légalité” des USA. S’il était vivant, remarque Ellsberg, Nixon «admirerait l’efficacité avec laquelle Obama» a accru la capacité “légale” du gouvernement d’imposer le silence aux “whistleblowers” (terme anglo-saxon approximativement traduit par “lanceur d’alerte” et désignant les personnes disposant d’un accès à des informations secrètes dommageables pour la légalité publique, et dont ils font la publicité à leurs risques et périls). A la question de savoir s’il considérait ce qu’a fait Bradley Manning comme “nécessaire et héroïque”, Ellsberg a répondu par l’affirmative sans aucune hésitation. (Actuellement emprisonné dans des conditions d’une légalité contrainte, à-la-Obama, Manning est le soldat qui a livré à WikiLeaks des centaines de milliers de documents officiels “secrets” des USA.)
«“Richard Nixon, if he were alive today, might take bittersweet satisfaction to know that he was not the last smart president to prolong unjustifiably a senseless, unwinnable war, at great cost in human life,” Ellsberg told CNN. “And his aide Henry Kissinger was not the last American official to win an undeserved Nobel Peace Prize.”
»“He would probably also feel vindicated (and envious) that ALL the crimes he committed against me — which forced his resignation facing impeachment – are now legal,” he continued. “That includes burglarizing my former psychoanalyst's office (for material to blackmail me into silence), warrantless wiretapping, using the CIA against an American citizen in the US, and authorizing a White House hit squad to ‘incapacitate me totally’ (on the steps of the Capitol on May 3, 1971)... But under George W. Bush and Barack Obama, with the PATRIOT Act, the FISA Amendment Act, and (for the hit squad) President Obama's executive orders. [T]hey have all become legal.” “There is no further need for present or future presidents to commit obstructions of justice (like Nixon's bribes to potential witnesses) to conceal such acts. Under the new laws, Nixon would have stayed in office, and the Vietnam War would have continued at least several more years,” Ellsberg added.
»The former military analyst noted that Obama, like Nixon before him, has tried to use the Espionage Act to silence whistleblowers. Nixon “would be impressed to see that President Obama has now brought five such indictments against leaks, almost twice as many as all previous presidents put together,” he said. “He could only admire Obama's boldness in using the same Espionage Act provisions used against me – almost surely unconstitutional used against disclosures to the American press and public in my day, less surely under the current Supreme Court – to indict Thomas Drake, a classic whistleblower who exposed illegality and waste in the NSA.”»
Il ne faut pas utiliser les jugements de Ellsberg pour en juger des hommes mais pour apprécier l’évolution du Système, – et, en l’occurrence, des USA et de la notion de Droit. Que Nixon ait eu un côté sombre, d’ailleurs proche d’une pathologie plus que d’une volonté de machination politique, ne fait guère de doute. Son action contre Ellsberg et le reste (le Watergate et la nébuleuse d’actions illégales autour du cas) fait clairement partie d’une politique personnelle, totalement illégale certes mais qui ne peut en aucun cas être assimilée à un projet construit et conduit à terme de subversion d’une structure de gouvernement et de destruction d’un fondement d’une communauté humaine (le Droit en l’occurrence). La preuve se trouve évidemment dans sa chute, qui vit sa défaite du fait de la structure légale du régime, par ailleurs dans des conditions elles-mêmes extrêmement suspectes pour les modalités d’origine. Nixon fut abattu par une conception de la légalité qu’il avait tenté de tourner, à partir d’une attaque de ce même “parti de la légalité” appuyée sur des pratiques secrètes également illégales. (Le Watergate fut d’abord un complot bureaucratique de la part des chefs militaires, dont l’amiral Moorer, président du Joint Chiefs of Staff, contre Nixon à cause de sa politique d’ouverture vis-à-vis de l’URSS.) Il résulte de tout cela que Nixon fut absolument fautif sur le cas lui-même, qu’il fut lui-même victime de pratiques illégales contre une politique extérieure qui avait l’ambition exceptionnelle de desserrer le carcan du complexe militaro-industrielle. (A côté du côté sombre de ce président, la politique extérieure de Nixon représente sans aucun doute l’une des très rares tentatives d’un président US, – sans doute la seule avec la politique des deux dernières années, 1962-1963, de Kennedy, pourtant son ennemi politique, – à tenter de faire reculer décisivement l’influence du Complexe et la militarisation belliciste de la politique US.) Nixon abattu, l’édifice de légalité des USA, quelles que soient les myriades de pratiques illégales aux USA, dans tous les sens et plus qu’en n’importe quel aucun autre pays, subsistait comme une structure importante pour faire tenir d’une pièce et dans une pratique commune ce pays et son système de gouvernement.
(Les USA n’ont aucune structure historique ou régalienne, aucune légitimité historique qui puissent suppléer à l’édifice légaliste. Cet édifice légaliste, de Droit, n’est donc en rien une vertu, d’ailleurs avec de multiples accommodements, une corruption endémique, des injustices sociales et structurelles flagrantes, etc. ; ce n’est en rien une vertu mais c’est une nécessité structurelle, sans laquelle les USA ne tiendraient pas très longtemps dans une situation d’union, – ne tiendront plus très longtemps, si l’on observe la situation actuelle…)
Ce qu’a fait la fameuse et infâme “politique de l’idéologie et de l’instinct” pratiquée depuis 9/11, dans la “réforme légale” qu’elle a nécessairement engendrée, c’est la destruction de cet édifice légal. C’est ce que constate Ellsberg, avec une certitude incontestable. La surprise, c’est que ce qu’on pouvait attendre de normal de la part de GW et de sa bande, a été poursuivi, voire accentué par BHO et la sienne. Faut-il mettre Obama en accusation pour cela ? Certainement pas au niveau du projet, de la poursuite consciente de l’entreprise ; certainement au niveau de l’absence de caractère, de la capitulation devant les pressions du Système, sans la moindre conscience de la catastrophe ainsi poursuivie et accentuée par rapport à l’époque Bush. De ce point de vue, Obama est, objectivement, un peut moins coupable stricto sensu qu’on ne pourrait croire, et certainement beaucoup plus condamnable pour sa complète inexistence dans sa fonction d’appréciation de la situation et des nécessités qui en découlent. La faiblesse de caractère et de jugement de ce président est d’autant plus condamnable que l’homme est certainement beaucoup plus intelligent que Bush. Il a donc laissé son intelligence être complètement subvertie par les pressions du Système, faisant montre d’une irresponsabilité bien plus grande que son prédécesseur. Il aurait été plus digne, finalement, qu’il ait été conscient de ce qu’il faisait, ou laissait faire. Obama est un parfait produit de son époque postmoderniste, sans conscience, sans capacité d’apprécier la réelle situation du monde, avec son intelligence complètement subvertie par une croyance vaniteuse, et dans sa propre raison, et dans le système qu’il croit dominer, alors qu’il est le valet (pour ne pas dire l’esclave) du Système lorsque le mot est orné d’une majuscule comme il se doit.
Le résultat n’est nullement une évolution des USA vers un “Etat policier”, comme on le croit et le craint généralement ; d’abord, parce qu’il n’y a pas d’Etat aux USA, pays sans être une nation ; ensuite parce que cette entreprise de “légalisation de l’illégalité” affecte profondément certains aspects du tissu légal, tout en laissant subsister dans d’autres aspects des domaines entiers de liberté formelle. Il s’est ainsi créé, non pas un “Etat policier”, mais un magma de contradictions légales, entre des pans entiers où l’arbitraire pratiquement dictatorial et policier est légalisé, et des pans entiers où subsiste une liberté formelle caparaçonnée par un formidable tissu de protection juridique. Le résultat est une déstabilisation profonde du “modèle américain”, ou, plutôt, de la “structure américaniste”, c’est-à-dire une évolution absolument déstructurante. Tout cela résulte des pressions aveugles d’un Système devenu fou, donc devenu déstructurant de sa propre structure (tant la structure américaniste est le cœur de la structure du Système). Aujourd’hui, du point de vue du Droit, les USA sont un géant avec une jambe amputée, déséquilibré, déstructuré, effectivement entraînés dans la Chute du Système dont ils sont la plus parfaite représentation. Tout cela est logique et, de Nixon à Obama, on suit donc la trace qui conduit à l’effondrement des USA.
Mis en ligne le 11 juin 2011 à 08H52