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52729 janvier 2010 — Leon T. Hadar, journaliste et auteur, spécialisé dans les questions de politique extérieure, notamment sur le Moyen-Orient, publie un article intéressant le 25 janvier 2010, sur HuffingtonPost. Cet article pose la question: pourquoi le mouvement populiste, indiscutablement impressionnant avec en son cœur le mouvement Tea Party, n’inclue-t-il pas dans ses revendications une composante anti-guerre, une critique de l’expansionnisme belliciste qui pèse d’un poids formidable sur les USA, et empêche littéralement un mouvement sérieux de restructuration de ce pays ravagé? (Alors que, souligne justement Hadar, le public US est majoritairement hostile à ces aventures.)
Hadar tente de répondre à cette question en conclusion de son article.
»It is possible that one of the main reasons why foreign policy issues, including the wars in Iraq and Afghanistan have not dominated the tea Party events has to do with the fact that new populists may have strong disagreements over the role that the United States should play in the world as well as over immigration and trade and social-cultural issues. Hence, my sense (which is based more on anecdotal evidence than on the results of any major opinion poll) is that while most of the new insurgents project a Lou Dobbs-kind of attitude on immigration, the Perot-type populists among them have been supportive of a more economist nationalist approach on global trade issues – like many progressive populists on the political left – and of a less interventionist foreign policy, not unlike the followers of Ron Paul among the Tea Party members (On social-cultural issues, “Peroites” and “Paulites"” very much like left-wing progressives tend to embrace a more liberal/libertarian perspective in contrast to the Sara Palin wing of the Tea Party that includes members of the religious right).
»If we apply the foreign policy typology proposed by diplomatic scholar Walter Russell Mead it would be safe to argue that there are very few Wilsonians aka neoconservatives fantasizing about the democratization of the Middle East or Hamiltonians seeking to promote U.S. business interests abroad among the Tea Partiers. Instead, one could suggest that most of the new populists are either nationalist Jacksonians – who have no problem using force in defense of the country but are opposed to launching ideological global crusades – or the more isolationist Jeffersonians – who are worried about the negative effects that foreign interventions would have on America's political and economic freedoms.
»While the non-interventionist/ Jeffersonian approach represented by Paul and other libertarian figures and outlets and the populist/Jacksonian position advocated by the Peroites and Pat Buchanan may be popular among the new populists, the main reason that they have failed to have more of an impact on the right-wing populist insurgents has to do with the strong influence of the elites controlling the Republican Party and the official conservative movement – as opposed to, say, the views represented in The American Conservative magazine (I write for it) – which continue to promote the interventionist foreign policy principles advocated by the neocons and the religious right with their emphasis on the need to escalate the war against “Islamofascism,” That explains why the majority of the Republicans and conservatives are still in favor of an interventionist U.S. foreign policy, a reality that is not going to change until the Jacksonians and the Jeffersonians start using their intellectual and political resources to advance their agenda.
»Unfortunately for President Obama and the Democrats, the White House's decision to escalate the war in Afghanistan and to pursue a Bush/neoconservative-Lite foreign policy makes it difficult for them to try to exploit the populist sentiments by trying to project a less interventionist foreign policy.»
@PAYANT Observons d’abord, à la lecture de cet extrait de son article, que Hadar fait une rapide analyse des forces en présence aux USA par rapport et au sein du mouvement populiste, selon leurs orientations originelles – entre wilsoniens et hamiltoniens (expansionnistes), et jacksoniens et jeffersoniens (non-expansionnistes, voire isolationnistes). L’analyse est sans aucun doute beaucoup plus enrichissante que les sornettes éculées des classements idéologiques qui ont été jusqu’ici présentées. Elle mérite la réflexion car elle rend compte de la complexité d’un pays qui n’est pas une nation mais un rassemblement extrêmement divers de forces qui le sont tout autant; un pays qui, par l’action du centre fédéral qui lui a été imposé, a constitué un équilibre fragile entre des courants puissants et antagonistes, et dont les antagonismes multiples éclatent aujourd'hui au grand jour, à l'occasion d'une crise qui affecte un système devenu incontrôlable. L’intérêt dans ce cas est bien d’identifier justement ces antagonismes et non de les habiller de concepts idéologiques qui renvoient aux obsessions qui caractérisent la crise de la modernité. Cette habillage a constitué jusqu'ici un facteur fondamental d'interdiction de toute pensée féconde.
L'approche proposée par Hadar nous soulage de l’emprisonnement des schémas idéologiques qui ont le seul avantage de conforter la cause de ceux qui les proposent. Elle a l’avantage de fixer le mouvement populiste US dans des normes plus conformes à la situation aux USA, donc à mieux en apprécier ses possibles prolongements. Elle nous permet d’apprécier également combien ce mouvement est précisément et justement d’une substance interne aux USA, par rapport à ses références qui concernent l’histoire des USA (références à Jackson, à Jefferson, à Hamilton et à Wilson). Ce dernier point constitue un début d’explication qui dépasse peut-être les interprétations conjoncturelles que nous propose Hadar. Par la forme même des pensées qui soutiennent l’affrontement entre populistes (essentiellement des jeffersoniens et des jacksoniens) et adversaires du populisme (essentiellement les hamiltoniens et les wilsoniens), les problématiques envisagés sont internes aux USA et ne s’attachent guère aux conséquences au niveau de la politique extérieure, même si cette politique extérieure joue évidemment un rôle. Il y aurait au fond une perception, certes assez diffuse, que cet affrontement de courants divers de l'américanisme est et doit rester interne, et que les effets dans la politique expansionniste en découleront d’eux-mêmes, selon l’identité des vainqueurs.
Il nous semble parfois, à lire certains commentaires, ou plutôt nombre de commentaires, parfois ceux qui, en marge de nos analyses, affirment que l’on passe à côté de la réalité, voire qu’on la dissimule en ne dénonçant pas assez vivement l’expansionnisme US, notamment par l’affirmation dénonciatrice des divers complots machiavéliques dans ce sens – il nous semble parfois nous trouver devant un disque rayé répétant la même affirmation depuis des lustres, devant la permanente réinvention du fil à couper le beurre, chaque fois comme une révélation.
Que les USA soient une puissance expansionniste et belliciste, avec les complots qui vont évidemment avec, nous le savons et l’écrivons depuis bien longtemps, sans doute depuis bien longtemps que ces commentateurs critiques et avisés qui redécouvrent à intervalles réguliers que le roi est nu. Cette affirmation, aujourd’hui, ne résout ni n’explique rien du tout, même si elle permet de beaux effets de plume, même si elle s’appuie avec sincérité sur une conviction – malheureusement, la conviction qui s’appuie également sur le zèle du néophyte, qui a essentiellement pour effet de brouiller les cartes et de rester dans le domaine de l'effet immédiate qui effleure à peine le problème central, sinon en déforme les termes. Il est temps, depuis longtemps, d’aller au-delà car, dans cette sorte de commentaire, qui n’avance pas recule.
Le constat est différent et doit être martelé: les USA ont orginellement une nature expansionniste. Dans les faits politiques eux-mêmes, les USA sont une puissance expansionniste établie, affirmée, proclamée depuis largement plus d’un demi-siècle, sinon plus d’un siècle (1898, avec les aventures cubaines et philippines ferait bien l’affaire) – voire au-delà. Depuis ce “plus-d’un-siècle” et au-delà, la politique US n’est qu’une vaste et puissante dynamique constituée peu à peu en une sorte de structure machiniste qui s’est toujours affichée, qui n’a jamais rien dissimulé, qui a expliqué dans mille discours et mille doctes ouvrages qu’elle existe pour satisfaire cet expansionnisme dont l’impulsion désormais la dépasse. Ce dernier point fait que le constat est complètement différent aujourd’hui; le constat est devenu ceci que les USA sont une puissance expansionniste prisonnière de son expansionnisme, et cet expansionnisme devenu une forme de suicide – conscient ou inconscient, c’est selon, notamment selon la lucidité des observateurs. Même les militaires s’en aperçoivent épisodiquement, comme par exemple aujourd’hui où ils conçoivent, ou, dans tous les, soutiennent le projet absolument surprenant pour ces forces si imbues de leur puissance d’“acheter” les talibans pour que la guerre cesse, et qu’on puisse quitter l’Afghanistan. (Mais les talibans, pas si bêtes, ne marchent pas. Eux, contrairement à nos divers commentateurs, savent bien qu’ils tiennent la machine américaniste à la gorge, sinon par autre chose.)
Le constat s’impose alors, d’ailleurs largement documenté par toutes les catastrophes qui s’accumulent depuis 2002-2003, de l’Irak à l’Afghanistan, de l’écroulement des banques à la crise sociale, de la montée du populisme à la crise du Pentagone. Cette puissance expansionniste, qu’on avait pris l’habitude de juger irrésistible, à laquelle personne ne semblait vouloir ni pouvoir résister, est en train de suivre une pente catastrophique sans réellement de cause spécifique extérieure à elle. Aucune des catastrophes que nous avons mentionnées n’est directement la cause d’un ennemi dont on puisse juger qu’il a la capacité de détruire la puissance US, mais plutôt la conséquence des réactions de cette machine expansionniste face aux obstacles qu’elle rencontre – les plus graves étant les propres obstacles qu’elle-même met sur son chemin. Il n’est un secret pour personne, aujourd’hui, que l’avenir de la guerre en Afghanistan pourrait être compromis décisivement par la seule question des approvisionnements massifs dont les forces US, surchargées d’obligations à cet égard, dépendent d’une manière décisive – pire encore, depuis qu’il s’avère que l’artère logistique nouvellement vitale, par la Russie, est menacée par les Russes eux-mêmes.
Nous nous trouvons devant bien autre chose qu’une entreprise expansionniste qui rencontre des difficultés. Nous nous trouvons devant une puissance qui s’inflige à elle-même des coups terribles et qui se trouve prisonnière d’une machinerie expansionniste que rien ne peut faire céder et que plus personne ne contrôle. On comprend que, dans ce jugement, le fait d’être “prisonnier” est bien plus important que le fait d’être “expansionniste”, parce qu’il est peut-être, sans doute, la voie vers le suicide. Le poids du coût, d’investissements, d’énergie déployés pour l’entretien et l’alimentation de cette machinerie, les pertes humaines et matérielles infligées, la dégradation des structures de sécurité nationale, constituent une charge au moins budgétaire – sans parler d’autres domaines – qui participe objectivement d’une façon massive et décisive à l’affaiblissement dramatique de la puissance US en général, et surtout dans les domaines intérieurs, sociaux, psychologiques et humains. (La guerre en Irak, comme l’a montré Joseph Stiglitz, a participé massivement à la crise financière qui a abouti à 9/15.)
L’analyse de Hadar est très intéressante, sauf pour les conclusions, qui nous conduisent à la fameuse remarque: “tout ça pour ça”… Ce sont des explications parcellaires, incomplètes, dont aucune ne rencontre une complète adhésion. Cette remarque est d’autant plus fondée qu’il nous apparaît que face au populisme et à une éventuelle critique de la politique extérieure et de sécurité nationale qui pourrait s’y exprimer (mais ne s’y exprime pas), il n’y a pas nécessairement un establishment uni dans la défense inflexible de la politique expansionniste. Début 2006, l’establishment a commencé à se mobiliser dans sa majorité (constitution de l’Irak Study Group dirigé par James Baker) pour tenter de freiner tel ou tel aspect de cet expansionnisme dont il mesurait le coût exorbitant pour le pays (l’Irak en l’occurrence pour cette période) et échouant malgré les élections de mid-term qui balayèrent les républicains (et Rumsfeld) sur le thème de l’arrêt de la guerre. Plus récemment (voir notre F&C du 26 juin 2009), on est passé à deux doigts du refus par la Chambre des crédits pour l’Afghanistan. Il y a donc des tentatives erratiques, comme des réactions spasmodiques pour s’échapper de l’emprisonnement d’une situation expansionniste plus figée que dynamique, pour briser le cadre d’une situation expansionniste qui est comme paralysée – tout cela, sans succès, bien sûr.
Ainsi en venons-nous à un constat plus général, qui s’appuie sur cette description d’une machinerie qui fonctionne d’elle-même et débite continuellement ses exigences dont elle présente l’alternative comme la perspective d’une défaite humiliante pour les USA en général, d’un départ catastrophique, etc. La machine expansionniste n’est pas lancée dans une dynamique sur laquelle on pourrait influer mais est plutôt fixée dans un immobilisme quasi-paralysée, sur lequel l’action d’influence est bien faible. Cette réalité, qui n’est pas exposée ni décrite pour ce qu’elle est, est fortement ressentie, y compris par les mouvements populistes, comme quelque chose qui est quasiment hors d’atteinte par la pression et la décision politiques habituelles. Cela pourrait être l’explication générale de l’absence de ces thèmes de politique extérieur et expansionniste dans les mouvements populistes, avec une perception diffuse et parfois exprimée qu’il est inutile (pour l’instant?) de s’attaquer à ce domaine, moins par l’absence de cohésion entre les différents constituants du mouvement populiste (qui existe tout de même) pour aboutir à une position commune, que par la certitude que des efforts dans ce sens n’ont aujourd’hui aucune chance d’aboutir. Cela implique la perception que la situation expansionniste – décidément ce terme convient mieux que “politique expansionniste” – est perçue comme quelque chose de différent, une sorte de phénomène en soi, qui vit de sa propre vie, détaché des actes et des décisions du pouvoir politique, ou de ce qu’il en reste. Mais, pour revenir à ce que nous observions plus haut, le problème fondamental de cette situation générale est que la situation expansionniste, qui se nourrit des ressources nationales, doit être également définie comme un véritable cancer qui ronge le reste (la politique et la situation intérieures US) et interdit toute réforme et tout changement notable venus du centre. Là est évidemment l'hypothèse du suicide.
Si la vague actuelle de populisme parvient effectivement à produire les effets d’une pression telle qu’elle devra être prise en compte par le centre washingtonien, ses exigences internes fondamentales déboucheront dans l’agenda politique général. C’est alors que serait mise en pleine lumière et que serait activée cette situation d’affrontement, jusqu’alors observée comme potentielle, entre le pouvoir washingtonien et la situation expansionniste général que ce pouvoir ne contrôle plus et qui dévore l’essentiel des ressources disponibles. On voit mal une autre issue qu’un affrontement catastrophique, qui pourrait mettre en danger grave d’éclatement aussi bien le pouvoir washingtonien que les structures du système de l’américanisme.
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