La “marionnette” qui rugissait

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La “marionnette” qui rugissait

Tout le monde le sait, tout le monde devrait le savoir: la “marionnette” Karzaï remet au goût du jour le dicton, – “avec des valets comme ça, pas besoin de talibans”. La bataille entre Karzaï et la coalition USA-OTAN est en train de largement supplanter les offensives éminemment victorieuses, et servant notamment à financer les talibans, du général McChrystal. L’Afghanistan est en train de supplanter tout le théâtre de l’absurde, de Samuel Beckett à Eugène Ionesco.

Point intéressant sur lequel nous fixons un instant notre attention, les effets de la querelle avec Karzaï sur la situation de politique intérieure des USA. Ce 6 avril 2010, Reuters en fait une analyse de circonstance. C’est une nouvelle épine dans le pied du président Obama.

«With congressional elections looming in November, many from President Barack Obama's Democratic Party see a fight at the polls not only on economic issues but also on whether the war in Afghanistan is worth it. Karzai's tone may weigh on that.

»Karzai accused embassies of perpetrating election fraud in Afghanistan last year and of seeking to weaken him, claims the White House said were “just not true” and “disturbing.” “These public comments have a certain constituency in Afghanistan but it could have a ripple effect on Capitol Hill,” said a senior U.S. official, who asked not to be named. “We are seeking funds for Afghanistan as it is in our interest but obviously we will need to sustain political support on Capitol Hill and these comments will not be well received.” […]

»David Obey, who chairs the powerful House of Representatives committee that appropriates money for the war, echoed some of the doubts in Congress. “Mr. Karzai's performance demonstrates why I have raised the question of whether or not, in the government of Afghanistan, we have a tool that is in any way reliable in implementing our policies in that region,” Obey said. […]

»The White House, fighting to keep public opinion on its side, has acknowledged frustration with Karzai. “I think that families all over this country have watched their loved ones go off a long way away to serve bravely in our armed forces and to help a country establish peace and security,” said White House spokesman Robert Gibbs.

»But experts agree that for the U.S. counter-insurgency strategy to work, Washington needs the support of Karzai and his government and that U.S. criticism can go only so far. “You can't have a population-centric strategy without the support of an Afghan government and the problem at this point is that both sides are playing hardball and doing it from different perspectives,” said Anthony Cordesman of the Center for Strategic and International Studies.

»Analyst Brian Katulis of the Center for American Progress said the Obama team was trying its best to work with Karzai and to play down the latest conflict. “Karzai will be with us for the next five years and I think it is a more difficult road to embark on if they try to undermine Karzai,” said Katulis. “Many see the comments for what they are worth – trying to shore up his domestic political base.”»

Ces diverses remarques et l’angle d’analyse choisi par Reuters pour mesurer les conséquences des récents événements venus de la part de Karzaï sont très caractéristiques de l’évolution de l’effet des conflits post-9/11 avec l’Afghanistan. L’analyse de Reuters montre en effet combien la perception, d’une part de l’attitude de Karzaï comme l’affaiblissement du motif de l’intervention US en Afghanistan, d’autre part comme l’affaiblissement de l’influence et donc de la position des USA sur le gouvernement afghan, sont immédiatement intégrés comme des motifs d’une réduction du soutien de la classe washingtonienne à la guerre en Afghanistan dans l’argumentation générale de la campagne électorale.

La différence avec la guerre en Irak, qui avait pesé sur les élections de 2004 (présidentielles) et surtout de 2006 (mid-term), est frappante. Cette fois, ce ne sont ni la forme de la guerre, ni directement les difficultés rencontrées face aux adversaires qu’on affronte qui sont en cause, mais les difficultés avec le gouvernement mis en place par les USA dès l’origine, soutenu constamment par les USA, soutien renouvelé avec les élections présidentielles de septembre malgré les conditions de ces élections. Par conséquent, le véritable problème c’est l’“allié”…

Il n’est pas question ici de porter un jugement sur Karzaï. Sa corruption est connue, comme il devrait être connu que les remontrances qui lui sont faites à cet égard par le système américaniste et occidentaliste (USA et OTAN) sont le fait d’un système dont la corruption, au travers de ses systèmes financiers et politiques, sont sans équivalent dans le monde et font paraître le même Karzaï comme un amateur un peu grossier dans ce domaine. Donc, laissons de côté cet aspect de la querelle, où personne n’échappe à la condamnation, pour n’en rester qu’à l’aspect politique.

Soudain, tout le fondement de la stratégie d’Obama est pris à revers. Ce n’est plus la bataille contre “les talibans” (terme vague pour désigner un adversaire insaisissable et bien mal identifiable) qui est au centre du débat, bataille pour laquelle Obama s’est engagé en montant une stratégie nouvelle annoncée par un puissant effort de communication et qui a obtenu un soutien politique aux USA, – malgré ses résultats opérationnels déjà largement mis en question, – mais bien l’alliance fondamentale qui soutient cette bataille. La stratégie d’Obama n’a de sens que si elle s’appuie sur une alliance solide avec le gouvernement afghan en place, quel que soit ce gouvernement et ce qu’on en pense. Toute la logique de la guerre, toute sa justification, se trouve dans ce fait, et cette logique tient absolument l’argument du soutien que lui apporte la classe politique washingtonienne. Aujourd’hui, cette logique commence à être réduite en charpie, avec un Karzaï qui ne parle ni plus ni moins que de rallier les talibans, dans ses hypothèses les plus extrêmes pourtant dites publiquement. Du coup, cette guerre, qui pêchait par son absence de sens et pour laquelle le système de communication avait laborieusement construit un sens, perd brusquement toute cette belle charpente laborieusement fabriquée pour elle. L’événement intervient directement dans le débat politique intérieur US, à l’heure des élections mid-term, comme si les divers protagonistes et les événements s’étaient rassemblés pour conjuguer leurs effets les plus dévastateurs.

La situation se renverse complètement par rapport à la critique habituelle. Jusqu’alors, le “maillon faible” de la “coalition” était l’Europe, par le biais de l’OTAN, où les participants montraient leur manque de résolution, sinon leur manque d’intérêt, dans la bataille contre les “talibans”, alors que les USA se targuaient de montrer une telle résolution dans ce domaine. Aujourd’hui, c’est le sens même de la guerre (même si c'est un sens fabriqué pour l'occasion) qui est mis en cause et, par conséquent, la signification de cette guerre pour les Américains eux-mêmes (la classe politique, les électeurs, etc.). La question n’est pas tant que la guerre est cruelle et difficile du point de vue militaire, – cette sorte de réserve est aisément réduite par l’argument de la sécurité nationale; la question est en train de devenir que cette guerre est faite en faveur de personne, qu’elle n’a donc aucun sens, vue du point de vue des politiciens et du public aux USA. Ce sont les USA qui, à leur tour, sont menacés de devenir un “maillon faible”. Bientôt, il n’y aura plus que cela dans cette étrange chaine de la guerre d’Afghanistan.

Le doute touche tous les partis, aussi bien les républicains que les démocrates, sans parler des anti-guerres dont l’opposition est systématique. Il les touche en pleine campagne électorale et, soudain, le débat électoral qui ne portait pour l’essentiel que sur des questions intérieures commence à changer de forme avec l’introduction de la question des expéditions extérieures et de la politique expansionnistes. D’une façon indirecte, les événements actuels, grâce à l’attitude de Karzaï qui, volens nolens, commence à ressembler à un rejet afghan général de l’intervention US, rejoint la logique du discours de Ron Paul à la convention du CPAC, sur l’absurdité de la politique interventionniste (voir notre F&C du 23 février 2010). En ce sens, le corrompu Karzaï est devenu un acteur central de la politique intérieure US et un facteur important de l’équilibre de l’administration Obama dans le débat actuel; le politicien véreux mis où il est pour faire exécuter la politique de ses maîtres américanistes est en train de secouer l’architecture politique intérieure des maîtres en question. Comme “marionnette”, on a déjà vu mieux…

 

Mis en ligne le 6 avril 2010 à 15H05