Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
1395On trouve sur Youtube.com, à la date du 11 septembre 2010, une interview de Winslow Wheeler, et le même 11 septembre 2010, une interview de son compère Pierre Sprey. (Durée, 14 minutes et 10 minutes approximativement.)
Un aspect de la déclaration de Wheeler nous a intéressé particulièrement. Nous en donnons une adaptation en français, qui ne suit pas la déclaration au mot à mot mais restitue fidèlement l’esprit de la chose : “Il est très probable que la Navy reviendra sur son intention [d’acheter le JSF], comme on a pu souvent en deviner la possibilité depuis longtemps, et comme elle a déjà fait [dans d’autres cas] précédemment. Il y a actuellement une grande bataille bureaucratique sur ce point. […] Actuellement, le secrétaire à la défense Gates est extrêmement engagé dans ces affaires d’acquisition, et la Navy ne veut pas l’affronter directement. Gates cherche à verrouiller ce programme… Mais quand le temps sera venu, notamment qu’il faudra commencer à payer, il est tout à fait possible que la Navy commence à se retirer du programme…”
@PAYANT Il s’agit, dans ce passage, d’un commentaire prudent, à cause des circonstances que Wheeler expose lui-même. Si l’on prend en compte les contacts de Wheeler au Pentagone et au Congrès (il vent du Congrès où il était analyste des problèmes budgétaires de défense), on peut sans le moindre doute accorder un crédit réel à ses affirmations. On ajoutera effectivement que Wheeler a certainement parlé prudemment, du fait que Gates est toujours en fonction et, comme on le voit, attentif à contenir toute velléité de la Navy de quitter le programme.
Il y a d’abord ce mot caractéristique de Wheeler : “…et comme elle [la Navy] a déjà fait [dans d’autres cas] précédemment.” L’allusion concerne, à notre avis, le programme TFX/F-111. La Navy, invitée en 1961 par le nouveau secrétaire à la défense McNamara à participer à ce programme d’un avion de combat interarmes, le fit effectivement, consciente de se trouver devant une force sérieuse ; la résolution du secrétaire à la défense McNamara, qui avait un soutien massif du président Kennedy (cas similaire avec Obama-Gates), tenait le programme TFX pour fondamental, le concevant comme l’initiative qui allait forcer la bureaucratie du Pentagone à suivre des voies d’équipement et de gestion budgétaire plus économiques. La Navy joua tant bien que mal le jeu, soulignant quand cela était possible les nombreuses limitations du F-111 (version F-111B) pour sa mission embarquée sur porte-avions. Il fut évident que, dès l’origine, le parti anti-TFX/F-111 était puissant chez les amiraux. Lorsque McNamara fut en perte de vitesse, accaparé par le Vietnam, puis démissionnaire à l’automne 1967 (départ début 1968), la Navy abattit son jeu : elle ne voulait pas du F-111 et, qui plus est, elle avait développé secrètement, sans consultation d’OSD (Office of Secretary of Defense, – cabinet du ministre), le programme Grumman F-14 TomCat qu’elle lança officiellement et avec le soutien massif du Congrès, en 1969, à la place du F-111B, alors que le F-14 était déjà fortement avancé. Le successeur de McNamara, Clark Clifford, qui assurait l’intérim avant les élections présidentielles de novembre 1968, ne s’intéressa pas à l’affaire TFX, non plus que son successeur (1969) Melvin Laird, et on laissa faire la Navy sans la moindre intervention…
La similitude entre les deux cas (TFX et JSF) est révélatrice. Si l’on extrapole à partir de cette similitude, comme Wheeler le laisse lui-même entendre, on suggérera que la Navy attend le départ de Gates, annoncé pour courant 2011, pour abattre ses cartes et planter son couteau habituel dans le dos du programme JSF. Il va sans dire qu’une telle décision aurait de très sérieuses répercussions…
• Elle priverait le JSF de la participation d’un service d’une immense importance et de plus de 500 exemplaires que la Navy veut officiellement acheter. Elle ferait augmenter substantiellement le prix d'acquisition de l'avion, par effet de la réduction de la production.
• Pour le domaine étranger, elle mettrait le Royaume-Uni dans un bien cruel embarras. Le Royaume-Uni a en principe choisi la version F-35B à décollage vertical (ADAC/V) développé pour le Marie Corps ; le F-35B a de si gros problèmes techniques que le Marine Corps songe à acheter ses premiers exemplaires dans la version USAF (F-35A), tandis qu’il apparaît que le F-35B, s’il est finalement développé, sera beaucoup plus coûteux que les deux autres versions, alorts que le prix est déjà remarquable (les Israéliens paient leurs F-35A $137,5 millions l’exemplaire). Les Britanniques envisagent actuellement d’abandonner le F-35B pour le F-35C (version Navy), qui est justement cette version dont Wheeler annonce que l’U.S. Navy finirait finalement par se détourner. Le F-35C abandonné par défection de la Navy, les Britanniques, qui prévoient le JSF pour leur équipement aéronaval, serait dans une situation impossible. (Dans ce cas également, on aurait une situation similaire à celle du F-111. Les Britanniques avaient acheté le F-111 en 1964 et ils avaient dû l’abandonner en 1967, à cause d’un coût beaucoup plus élevé que celui qui leur avait été promis.)
Il semble bien que le départ de Gates constituera un tournant dans la carrière du JSF, alors que cette carrière est loin d’être assurée à cause des lenteurs et des coûts du développement. Gates, dont le poids et l’autorité sont considérables, est effectivement le principal défenseur de ce programme, parce qu’il s’est convaincu qu’il assure ainsi une certaine cohérence structurelle à la programmation budgétaire générale du Pentagone, avec la place unique (programme le plus coûteux du Pentagone) que tient le JSF ; Gates est convaincu qu’ainsi, il contrôle le domaine très volatile et incertain, budgétairement parlant, du domaine des avions de combat et contient à peu près les dépenses dans ce domaine. (On discutera certainement cette conviction du secrétaire à la défense, dont on sait combien elle est contestable, mais elle reste pour l’instant un fait politique de la situation au sein du Pentagone.) Son départ privera le JSF de sa seule protection solide, et le programme se trouvera alors en butte à une hostilité grandissante du Congrès. (La Commission des Forces Armées du Sénat vient de voter, le 15 septembre 2010, une réduction des achats du JSF de 10 exemplaires, – sur 42, – pour l’année fiscale FY2011.) Tout cela est à considérer dans une atmosphère où le mot d’ordre général est la réduction des dépenses publiques et du déficit budgétaire. Pour le JSF, le pire est encore à venir.
Mis en ligne le 18 septembre 2010 à 05H38