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1419On connaît le rôle du député républicain Sensenbrenner (voir le 12 novembre 2013), meneur à la Chambre des Représentants de l’attaque contre la NSA. Sensenbrenner signe un article, le 21 novembre 2013 dans l’inévitable Guardian, où il attaque la NSA d’un point de vue paradoxal pour les positions des uns et des autres ... Une démonstration de plus que les crises internes au Système ne cessent de susciter, dans ce cas comme dans d'autres, des effets secondaires négatifs illustrant l’évidence que la dynamique de la surpuissance du Système (le dispositif et l’action de la NSA) nourrit nécessairement des effets autodestructeurs (ce que nous expose Sensenbrenner). C’est un bon exemple de la situation très particulière où nous nous trouvons, où la puissance du Système n’implique absolument par son efficacité mais nourrit des situations interconnectées à lui et qui lui sont défavorables.
Sensenbrenner, l’un des hommes à la base de l’élaboration du Patriot Act qui a permis d’établir aux USA cette situation d’expansion quasiment sans limites ni réelle régulation de surveillance et de contrôle, est donc aujourd’hui en pointe dans le combat anti-NSA pour limiter décisivement l’un des principaux effets de cette loi (l’expansion de la NSA). Cette situation n’est paradoxale que pour les esprits courts, qui résonnent en termes quantitatifs et selon des arguments de puissance brute, et qui ne voient dans le Système qu’un bloc absolument unifié et coordonné dans sa tâche de conquête et de soumission.
(Le Système comme “bloc absolument unifié et coordonné dans sa tâche de conquête et de soumission”.. La notion est d’autant plus primaire ou absurde c’est selon, que le Système, en tant que structure fondamentale d’une contre-civilisation qui a étendu partout son empire, a d’ores et déjà achevé sa tâche de conquête et de soumission. Le Système en est au stade où il se débat dans les contradictions également fondamentales de cet empire sur le monde, déclenchant des effets directs et indirects catastrophiques pour lui : dynamique de surpuissance se transformant en dynamique d’autodestruction. Le schéma est limpide et se déroule sous nos yeux. De même, nous qualifions l’action de Sensenbrenner d’“anti-NSA” alors que Sensenbrenner ne cherche qu’une réforme de la NSA. Mais notre analyse est qu’on ne réforme pas la NSA, et que si on cherche effectivement à le faire on devient un artisan d’une tentative de destruction de la NSA : là aussi, le schéma est limpide, montrant qu’on devient antiSystème, temporairement ou non, sans pour autant avoir à l’esprit une hostilité complète à l’encontre du Système. Les acteurs du Système sont les jouets des contradictions internes du Système, et deviennent par conséquent antiSystème au gré de ces évolutions, sans le chercher en rien.)
L’intérêt du texte de Sensenbrenner est qu’il introduit un élément nouveau dans sa plaidoirie anti-NSA. Sensenbrenner développe le facteur économique, c’est-à-dire la dynamique destructrice de l’économie US qu’implique l’action de la NSA. Ce faisant, il lance un appel direct au Corporate power pour l’aider dans son attaque contre la NSA, – un signe de plus de la discorde interne du Système, caractère essentiel du processus d’autodestruction.
«The overreach by the National Security Agency (NSA) does more than infringe on American civil liberties. It poses a serious threat to our economic vitality. Reports from the business community are clear: indiscriminate collection of data by the NSA damages American companies' growth, credibility, competitive advantage and bottom line.
»US companies seeking to expand to lucrative markets in Europe and Asia will find regulatory environments much less receptive to mergers and acquisitions because of NSA programs. German regulatory officials have made it clear, for instance, that AT&T, a massive American telecommunications company that provided customer telephone numbers to the NSA as ordered by the Foreign Intelligence Surveillance Court (known as the Fisa court), would undergo intense scrutiny to ensure it complies with German privacy laws before it can acquire a German telecommunications company. This mandate would certainly impede efforts to expand its presence in the region.
»Of course, US tech companies do not exist in a vacuum, free from competition. Companies like Google, which exhibit clear dominance in the United States, compete intensely with foreign competitors around the world. American businesses will lose considerable market share if foreign competitors and regulators paint them as pawns of the US intelligence community. Cisco Systems warned that its revenues could fall by as much as 10% because of the level of uncertainty or concerns engendered by NSA operations. Cisco saw its new orders fall by 12% in the developing world, 25% in Brazil and 30% in Russia. This is in contrast to the 8% growth Cisco saw in the previous quarter.
»The cloud computing industry will also suffer. Since many industries rely heavily on this technology, any disruption would ripple across all segments of the national economy. According to the Information Technology and Innovation Foundation, the US cloud computing industry could lose between $22 and $35bn (pdf) over the next three years because of the NSA's overreach. And smaller cloud service providers that partner with U.S. companies have already cancelled contracts...»
Sensenbrenner n’apporte pas d’éléments nouveaux mais conforte ce qu’on sait depuis un certain temps sur les effets économiques pervers, grandissants et de plus en plus lourds, de la crise Snowden/NSA pour la puissance US (économique dans ce cas). On a souvent abordé le cas d’une façon fragmentaire (voir le 12 juillet 2013, le 23 septembre 2013, le 16 novembre 2013, etc.) ; l’intervention de Sensenbrenner lui donne un aspect officiel marquant, en portant cette préoccupation des effets pervers de la crise au niveau d’un des centres importants du pouvoir américaniste, c’est-à-dire du Système. Mieux encore, dans sa conclusion Sensenbrenner confirme l’élargissement du débat qu’il avait initié officiellement avec son audition devant le Parlement européen (le 12 novembre 2013) en rappelant qu’il conduit une bataille pour un projet de loi “anti-NSA” à la Chambre qu’il juge prometteur, et en lançant un appel aussi bien au Corporate power qu’à des aides extérieures, non-US (d’où la présence de son texte dans le Guardian). On rappelle combien cet appel à l’“aide extérieure” de la part d’un homme du pouvoir washingtonien, pour intervenir dans une crise interne de l’américanisme, est extrêmement inhabituel dans les us et coutumes de la Grande République triomphante, et une bonne mesure du désarroi et de la confusion que crée à Washington la crise Snowden/NSA, et du constat que la Grande République n’est plus triomphante du tout.
«Unfortunately, on 31 October, the Senate Intelligence Committee – created to conduct oversight on these programs – abdicated leadership and responsibility by voting for the first time in our country's history to allow unrestrained spying on innocent Americans. But with over 100 cosponsors covering the political spectrum, my colleagues and I will continue to work pragmatically towards the balanced approach supported by the American people, businesses and our friends abroad. Genuine reform is a Constitutional and economic necessity. If the USA Freedom Act is brought to the floors of Congress for an up or down vote, I am confident it will pass with strong bipartisan support.»
D’une façon plus générale que ce seul aspect d’une péripétie de la crise Snowden/NSA, on observera combien l’intervention de Sensenbrenner met en évidence une contradiction interne fondamentale entre la dynamique de développement du système sécuritaire et de surveillance (la NSA et le reste) au sein du Système, et les conditions sine qua non de bon fonctionnement du système économique au sein du Système. Le second a besoin, pour se développer selon ses lignes fondamentales, d’une “liberté utilitaire” de fonctionnement et de diffusion (cette expression de “liberté utilitaire” pour qu’on ne saute pas aussitôt sur l’interprétation vertueuse, et hautement affective, du terme “liberté” : il ne s’agit pas de vertu, il s’agit de business).
Nous avons toujours plaidé l’idée que le système de l’américanisme, qui développe tous les facteurs opérationnels du Système, n’évoluera certainement pas vers un État policier classique, type fasciste ou autre, simplement parce que son système économique a un besoin vital de cette “liberté utilitaire” dont on parle. Cela signifie la liberté de communication et d'information, et la sécurisation des libertés qui vont avec, donc un certain nombre de libertés habituelles qui sont contenues dans le concept général des “libertés civiques”. Un État policier, avec un système de surveillance et de contrôle type-NSA, est directement antagoniste d’une telle situation. L’intégration de ces deux domaines fondamentaux du Système dans son état actuel est impossible, par nature, et ni la réforme ni le compromis ne sont envisageables, – ce qui est une bonne mesure de sa crise d’autodestruction. C’est ce qu’expose notamment et puissamment la crise Snowden/NSA, qui place effectivement le Système devant une contradiction interne insoluble. C’est une des raisons pour laquelle cette crise, ouverte par Snowden le 6 juin 2013, ne se résout pas et ne pourra pas se résoudre, menant plutôt à une dégradation continue de la situation, notamment pour ce cas dans cet affrontement entre deux forces essentielles du Système. Ainsi en est-il de la puissance du Système et de la “vertu” de l’américanisme : toute la fascination et la vénération que l’un et l’autre exercent sur tant d’esprits, y compris nombre d’esprits qui se disent et se croient antiSystème, n’empêcheront pas cette réalité formidable. Dans la confusion actuelle de cette crise majeure interne du Système, tous les acteurs du Système sont à la fois des défenseurs du Système et des activistes antiSystème, selon la position qu’ils occupent dans une situation en constant mouvement. Ainsi de Sensenbrenner, homme du Système qui a entrepris une tâche parlementaire à vocation antiSystème ; ainsi de la NSA, pilier de la puissance du Système qui, dans ses effets par rapport à l’économie US, se trouve clairement sur un axe antiSystème.
Comme Malraux disait avec lyrisme du gaullisme («Tout le monde a été, est ou sera un jour gaulliste»), nous dirions en le paraphrasant joyeusement : “Tout le monde a été, est ou sera un jour antiSystème”. La différence est que les jours vont si vite qu’on se retrouve antiSystème plus vite que son ombre.
Mis en ligne le 23 novembre 2013 à 06H08
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