La NSA commence à agacer le Congrès

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La NSA commence à agacer Washington

La NSA, projet grandiose de conquête du monde pour l’éternité, ne méritait pas un tel sort... On parle de celui qui l’attend, peu à peu, l’Agence pénétrant dans le marigot putride et immobile de la direction politique du plus grand contributeur du Système. Washington est pourri, paralysé, vitupérant, corrompu jusqu’à la moelle, dispersant les $trillions selon les besoins du Système, – et, à côté de cela, tatillon comme un Harpagon de province si le climat y invite, “micromanager” des budgets pléthoriques qu’il accorde jusque dans les détails les plus absurdes, créateur de lois intrusives et des mesures d’encommisionnement à l’égal des Belges eux-mêmes. Ainsi pourrait-il bien en être du destin de la NSA... Jusqu’alors brandie au pinacle de la sécurité de l’empire du monde (dito, Washington D.C.), intouchable, célébrée contre l’ignoble traître Snowden qui se terre dans l’aéroport des Russes barbares et antidémocratiques, voilà que l'Agence entre dans les zones encalminées, l’espèce de Mer des Sargasses des auditions et des projets de loi du Congrès, avec comme but de restreindre ses pouvoirs. Nous sommes en train de passer, subrepticement, d’une sorte de NSA Chic (la mode pro-NSA) à une sorte de NSA-bashing Chic (la mode de taper sur la NSA).

McClatchy.News (décidément excellent) donne, le 20 juillet 2013, un répertoire impressionnant de toutes les démarches législatives en cours dans les deux chambres au Congrès, pour contraindre d’une façon ou l’autre la NSA. L’état d’esprit “centriste” (le plus répandu) est représenté par l’idée que “oui, la NSA joue un rôle très important, essentiel pour notre sécurité, mais il est temps de surveiller ses activités, la façon dont elle fonctionne, dont elle respecte ses propres lois, etc.” Certains vont même jusqu’à travailler sur des lois contraignantes des budgets de la NSA, soit pour en contrôler la répartition, soit même, – horreur, – pour le restreindre... McClatchy résume ainsi ce tournant :

«Congress is growing increasingly wary of controversial National Security Agency domestic surveillance programs, a concern likely to erupt during legislative debate – and perhaps prod legislative action – as early as next week. Skepticism has been slowly building since last month’s disclosures that the super-secret NSA conducted programs that collected Americans’ telephone data. Dozens of lawmakers are introducing measures to make those programs less secret, and there’s talk of denying funding and refusing to continue authority for the snooping. The anxiety is a sharp contrast to June’s wait-and-see attitude after Edward Snowden, a government contract worker, leaked highly classified data to the media...»

Suivent donc diverses indications précises sur les intentions du Congrès, et ce qui est particulièrement caractéristique de la chose c’est bien le désordre qu’on y trouve. Les intentions législatives, les projets de loi, les regroupements s’opèrent sans ordre, tandis que les dirigeants du Congrès, les directions des partis dans les chambres ne se déterminent guère ni ne prennent position. C’est bien le signe d’une force qui mature, et cette abstention de la direction l’indication qu’aucune attitude préjugée n’est sur la table, que les mouvements venus de la “base” parlementaire compteront beaucoup, jusqu’à déterminer l’orientation du congrès ... Il est intéressant de noter que les premières initiatives législatives pourraient se concrétiser cette semaine et commencer leur long parcours législatif.

«Most in Congress remain reluctant to tinker with any program that could compromise security, but lawmakers are growing frustrated. “I think the administration and the NSA has had six weeks to answer questions and haven’t done a good job at it. They’ve been given their chances, but they have not taken those chances,” said Rep. Rick Larsen, D-Wash. The House of Representatives could debate one of the first major bids for change soon. Rep. Justin Amash, R-Mich., is trying to add a provision to the defense spending bill, due for House consideration next week, that would end the NSA’s mass collection of Americans’ telephone records. It’s unclear whether House leaders will allow the measure to be considered.

»Other legislation could also start moving. Larsen is pushing a measure to require tech companies to publicly disclose the type and volume of data they have to turn over to the federal government. Several tech firms and civil liberties groups are seeking permission to do so. Other bipartisan efforts are in the works. Thirty-two House members, led by Amash and Rep. John Conyers, D-Mich., are backing a plan to restrict Washington’s ability to collect data under the Patriot Act on people not connected to an ongoing investigation. Also active is a push to require the Foreign Intelligence Surveillance Court, which rules on government surveillance requests, to be more transparent.

»Late Friday, the Foreign Intelligence Surveillance Court reauthorized collection of telephone and online data by the federal government, Director of National Intelligence James Clapper revealed. He said the administration was “undertaking a careful and thorough review of whether and to what extent additional information or documents pertaining to this program may be declassified, consistent with the protection of national security.” “It is incredibly difficult, if not impossible, to have a full and frank discussion about this balance when the public is unable to review and analyze what the executive branch and the courts believe the law means,” said Sen. Jeff Merkley, D-Ore., who has asked the administration to make the opinions of the Foreign Intelligence Surveillance Court public.

»Rep. Adam Schiff, D-Calif., is leading an effort along with Rep. Ted Poe, R-Texas, to have the court’s judges nominated by the president and confirmed by the Senate. Currently, the Supreme Court’s chief justice selects judges from those holding other federal district court judgeships. Schiff also is pushing a measure, along with Rep. Todd Rokita, R-Ind., to require the attorney general to declassify significant Foreign Intelligence Surveillance Act opinions, and got a boost Friday from House Minority Leader Nancy Pelosi, D-Calif.

»If there is a prevailing mood, it’s the nuanced approach offered by Rep. Jim Himes, D-Conn., an Intelligence Committee member. “I think as more and more people come to understand the breadth of the authorizations that the NSA and other intelligence agencies have, they start to get a little worried about the encroachment on their privacy, and that’s absolutely fair,” he said. The NSA is not acting rogue, Himes added. “They are acting pursuant to very clear authority under Section 215 of the Patriot Act,” Himes said. But, he said, “that law is too broadly worded and being interpreted a little broadly.” Section 215 provides authority for the surveillance programs...»

• A ce point, l’on doit rappeler notre texte du 21 juin 2013, et notamment l’attitude de nombreux parlementaires découvrant l’étendue des actes de la NSA, de ses pouvoirs, de ses programmes, et, par conséquent, des actions de violation de la loi. On retrouve également cet état d’esprit chez divers parlementaires engagés dans le nouveau mouvement de contestation de la NSA. Certes, cela est exprimé en général dans des termes prudents, mais la durabilité du sentiment et la possibilité désormais que ses effets soient traduits en termes législatifs constituent une incontestable nouveauté  :

«But Rep. James Sensenbrenner, R-Wis., recalled that when he chaired the House Judiciary Committee in 2006, “I was not aware of any dragnet collection of phone records when the Patriot Act was reauthorized.” If he had, he said, “I would have publicly opposed such abuse.” He cautioned the White House that the mood could turn against it. “If the administration continues to turn a deaf ear to the American public’s outcry, Section 215 will not have the necessary support to be reauthorized in 2015,” Sensenbrenner said. “. . . The proper balance between privacy and security has been lost.”

»While the final shape of any legislation, if any, remains uncertain, questions about the programs are getting tougher. “I’m not saying that they’ve been breaking the law or anything like that, but I think it’s been surprising to most members that it extends as far as it has, and I think members would like to review what is appropriate for the NSA to do,” said Rep. Mike Simpson, R-Idaho, a senior House Appropriations Committee member.»s

D’une façon générale, cette évolution du Congrès reflète une évolution de l’état d’esprit à Washington, vis-à-vis de la NSA, impliquant le sentiment grandissant que la crise dont l’Agence est à la fois le centre, la source et l’objet, commence à coûter cher en termes d’influence (des USA) et d’impopularité (à l’intérieur des USA, pour les élus). La presse-Système, qui a passé six semaines à attaquer Snowden, Greenwald, les Russes, etc., évolue elle aussi et commence à sortir l’une ou l’autre révélation concernant les activités de la NSA (un article du Washington Post sur les capacités de la NSA à localiser les téléphones cellulaires, même quand ceux-ci sont inactifs, dont Russia Today fait rapport le 23 juillet 2013).

Cette perte de popularité de la NSA au sein même du Système constitue également un phénomène de pertes d’influence du point de vue de la psychologie et de sa perception, telle que l’exerçait l’Agence en termes mythiques, par ce qu’on devinait de sa puissance sans tout savoir précisément à son propos. Aujourd’hui, la NSA n’est plus un mythe évoluant hors de l’atmosphère et des contraintes de Washington, quasiment dans sa “bulle mythologique”, mais bien une force de pouvoir parmi d’autres dans l’agenda du Système, donc susceptible d’être mise en cause par des forces concurrentes ... Cela nous ramène à notre texte du 25 juin 2013, repris le 27 juillet 2013, où nous faisions ces remarques concernant le “mystère perdu” et l’“inconnaissance perdu” de la NSA... «Hyper-Big Brother ne marche à merveille que quand tout le monde ignore que hyper-Big Brother marche à merveille. La puissance de la surveillance secrète, c’est le secret, pas la surveillance, parce que le secret c’est le mythe et que le mythe domine tout dans nos esprits, et notamment la raison. La puissance d’hyper-Big Brother résidait dans l’ignorance technique précise qu’on avait de son existence, bien que tout le monde se doutait évidemment de son existence. Si vous savez d’un point de vue technique, et technologique, qu’hyper-Big Brother existe, vous le démythifiez et sa puissance de surveillance n’est plus mythique mais technique, ou technologique, et également humaine, avec toute la relativisation que cela suppose. Hyper-Big Brother descend de son piédestal et devient une puissance de notre domaine terrestre, un centre de pouvoir comme un autre... [...] Hyper-Big Brother perd l’absolutisme, l’hermétisme du mythe....»

Enfin, dans cette logique, et pour prendre plus sérieusement encore ce mouvement qui naît, on doit rappeler que la puissance de l’empire et de ses contraintes sur Washington a toujours constitué, dans tous les cas depuis 1935-1947 et la formation du complexe militaro-industriel, une réalité qui a suscité des gestes et des mouvements de révolte chez ceux-là même qui en étaient les serviteurs et les obligés. Parmi ces mouvements, on notera ceux du président Eisenhower avec son fameux discours du 16 janvier 1961 et du secrétaire à la défense Rumsfeld avec le sien, beaucoup moins fameux et qui aurait mérité de l’être, du 10 septembre 2001. On peut considérer que ce qui s’amorce au Congrès contre la NSA contient une part de cette attitude et, de ce point de vue, peut aller loin et devra donc être suivi.


Mis en ligne le 23 juillet 2013 à 13H37