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1558La diffusion des documents du fonds Snowden se poursuit à son rythme, désormais sans bruit excessif mais avec toujours autant d’efficacité qui implique finalement un bruit de fond marquant l’installation de la crise dans la durée. La crise Snowden/NSA est désormais complètement intégrée dans l’infrastructure crisique «qui assure à la fois sa pérennité et son efficacité» (voir le 2 août 2013). Le reclassement du groupe Greenwald, Poitras & Cie s’est bien effectué au sein de la structure capitaliste de Pierre Omidyar dans sa branche “indépendante” (First Look Media). Omidyar a diverses accointances et peut être soupçonné à juste raison d’interférences suspectes du point de vue antiSystème, y compris dans des entreprises évidemment pro-Système (comme dans le cas ukrainien), mais en l’occurrence il joue le jeu de Greenwald & Cie à fond parce que c’est son intérêt dans la circonstance, tandis que la notoriété de Greenwald & Cie qui va de pair avec l’intégration crisique de Snowden/NSA donne à ce groupe journalistique une puissance de communication suffisante pour résister à des pressions éventuelles. Il n’y a pas d’étouffement particulier de la crise Snowden/NSA et la menace de divulgation massive de documents explosifs au cas où Snowden serait menacé dans sa sécurité reste toujours d’actualité, avec une certaine ironie si l’on considère par ailleurs l’écheveau de confrontation entre la Russie et les USA.
(Pour ces “menaces” de “révélations”, voir notamment notre texte du 15 juillet 2013, en gardant à l’esprit qu’en toutes circonstances, le comportement personnel de Snowden autant que la politique russe ont toujours été présentés comme caractérisés par le refus de dramatiser brutalement la situation impliquée par cette crise Snowden en faisant ou en facilitant des “révélations” extraordinaires sur des documents plus politiques que techniques, si celles-ci sont possibles. La situation exposée le 15 juillet 2014 existe toujours, compte tenu du fait que la disposition de documents pour de telles “révélations” est l’objet de déclarations, d’hypothèses, etc., mais bien sûr d’aucune certitude par ailleurs complètement impossible à obtenir.)
Ce qui a changé dans ce tourbillon médiatique et des réseaux entourant la crise Snowden/NSA, c’est le partenaire extérieur de Greenwald & Cie. Le Guardian s’est effacé, rentrant nettement dans le rang et emporté par son hystérie antirusse qui est finalement, à partir d’un certain point, incompatible avec une exploitation maximale du fonds Snowden. Le Spiegel allemand a pris le premier rôle, et cette nationalité du support médiatique principal n’est pas indifférente comme on va le voir, en raisons d’hypothèses sur la politique allemande. C’est le cas avec cette fuite de la fin du mois de mars, qui remet sur la table le cas Merkel, avec des précisions diverses et variées sur les écoutes et la surveillance de 122 personnalités, dirigeantes politiques, par la NSA (par GCHQ interposé, les Britanniques étant de tous les ““sales coups”), où Merkel côtoie Assad, où l’on retrouve Iulia Timochenko... Selon le Spiegel du 29 mars 2014, présentant cet élément important du fonds Snowden, sous la signature de trois journalistes, deux du Spiegel et Laura Poitras travaillant comme relais de Snowden auprès de l’hebdo allemand (nous soulignons une phrase en gras, à retenir pour la suite du commentaire) : «Documents show that Britain's GCHQ intelligence service infiltrated German Internet firms and America's NSA obtained a court order to spy on Germany and collected information about the chancellor in a special database. Is it time for the country to open a formal espionage investigation?
L’article du Spiegel est évidemment extrêmement développé et donne tous les détails techniques de cette publication majeure du fonds Snowden. The Intercept, la publication de Greenwald, en donne une appréciation synthétique le même 29 mars 2014. «Secret documents newly disclosed by the German newspaper Der Spiegel on Saturday shed more light on how aggressively the National Security Agency and its British counterpart have targeted Germany for surveillance.
»A series of classified files from the archive provided to reporters by NSA whistleblower Edward Snowden, also seen by The Intercept, reveal that the NSA appears to have included Merkel in a surveillance database alongside more than 100 others foreign leaders. The documents also confirm for the first time that, in March 2013, the NSA obtained a top-secret court order against Germany as part of U.S. government efforts to monitor communications related to the country. Meanwhile, the British spy agency Government Communications Headquarters targeted three German companies in a clandestine operation that involved infiltrating the companies’ computer servers and eavesdropping on the communications of their staff.»
Russia Today détaille, le 29 mars 2014, l’aspect le plus spectaculaire de ce train de révélation, c’est-à-dire les précisions données concernant les noms des personnalités sujettes à ces écoutes et cette surveillance. «... However, only 12 names were revealed by the German journalists in the publication as an example. With the heads of state arranged alphabetically by first name, the list begins with ‘A’ as in Abdullah Badawi, the former Malaysian prime minister. He’s followed by Palestinian president, Mahmoud Abbas, who appears so high due to being mentioned under his alias, Abu Mazin. The catalogue of world leaders under surveillance goes on with the heads of Peru, Somalia, Guatemala and Colombia right up to Aleksander Lukashenko of Belarus.
»The list is completed by Yulia Tymoshenko at No.122, who used to be Ukrainian prime minister from February-September 2005 and from December 2007 till March 2010. Merkel appears on the document between former Mali president, Amadou Toumani Toure, and Syrian leader, Bashar Assad. The document indicates that the German chancellor has been included in the so-called Target Knowledge Database (TKB), which includes “complete profiles” of the individuals under surveillance.»
... Il est vrai que la présence de Ioulia Timochenko sur la liste des personnages de haut niveau sous surveillance (122ème et dernière place, par ordre alphabétique à cause de la première lettre [le Y] de son prénom en anglais) peut exciter la curiosité et susciter des remarques de circonstances. D’autre part, le fait de faire partie des personnes sous surveillance n’a rien pour étonner, dans le contexte des activités cosmopolites et globalisantes de la NSA. Les deux arguments se valant, il reste que cette distinction de se trouver dans une liste spécifique marque au moins l’intérêt que les divers services américanistes portent au destin de la politicienne ukrainienne. Cette présence suscite l’hypothèse que les USA disposent sans doute, à partir des écoutes de Timochenko, de moyens de pression non négligeables sur elle, – ce qui fait d’elle une candidate marquée, alors qu’elle reste pour l’instant en mauvaise position dans les sondages. (Au reste, fait remarquer un commentateur du texte de The Intercept, les liens de Timochenko avec les services US divers sont connus et affichés, comme on le lit sur son site, ce qui implique effectivement bien des observations contradictoires et des interférences dans la coordination des actions de tels “partenaires” : «I wonder what Yuliya Tymoshenko’s reaction will be to this. Here she is, an obvious beneficiary of the efforts of the National Endowment for Democracy’s efforts to create instability (as evidenced on their website – search for “National Endowment for Democracy Ukraine” to find it and the page showing they spent $3.3Million in 2012). She probably thinks that she’s being given due assistance and that she’s really in charge.»)
Mais l’intérêt le plus évident de cette livraison du fonds Snowden, c’est à la fois les précisions sur les écoutes personnelles contre Merkel, et les précisions concernant l’entreprise générale de surveillance et d’espionnage économiques contre des entreprises allemandes. Ces divers points alimentent une autre spéculation que celle de Timochenko, mais elle aussi liée à la crise ukrainienne. Tylen Durden, de ZeroHedge, s’en fait l’écho le 30 mars 2014, à partir de la question que pose le Spiegel en ouverture de son article («Is It Time For A Formal Espionage Investigation?»).
«Actually we do know: as the Intercept reports, “a separate document from the NSA’s Special Source Operations unit [...] shows that the Obama administration obtained a top-secret court order specifically permitting it to monitor communications related to Germany. Special Source Operations is the NSA department that manages what the agency describes as its ‘corporate partnerships’ with major US companies, including AT&T, Verizon, Microsoft, and Google. The order on Germany was issued by the Foreign Intelligence Surveillance Court on March 7, 2013. The court issues annual certifications to the NSA that authorize the agency to intercept communications related to named countries or groups; it has provided similar authorization, Der Spiegel reported, for measures targeting China, Mexico, Japan, Venezuela, Yemen, Brazil, Sudan, Guatemala, Bosnia and Russia.”
»So back to the question at hand: will Germany finally escalate the hand over of all individual privacy to what is effectively economic espionage? The answer: of course not, certainly not at a time when a few hundred kilometers to the East none other than Vladimir Putin is finally stretching his muscles at an attempt of restoring the USSR piecemeal, the first step of which already took place with the bloodless annexation of Crimea. The last thing Germany can afford now is a diplomatic spat with the only nation which can possibly prevent a Russian expansion beyond merely former USSR countries but also into Europe. Which is why people of Germany: hold your noses and bear it. You have no choice. Unless of course, Germany, as some suggest may happen, decided to dump its superficial diplomatic closeness with the US and realligns with what is rapidly becoming the world's most powerful axis, the Eurasians, aka China, Russia and India. Add Germany to this, and suddenly the global balance of power as we know it is kaput.»
Ces diverses spéculations et interférences montrent la tendance qui commence à se développer vers l’interconnexion des crises Snowden/NSA et ukrainienne, autour de ce qui est train de se constituer en une sorte de “question allemande”, et qui est symbolisé par le kaput de Snyder. Il s’agit des diverses tensions affectant l’Allemagne, au sein des deux crises dans lesquelles ce pays est directement concerné en même temps que les USA. Les tensions vont dans des sens différents, tantôt faisant de l’Allemagne un supplétif ou un complément des USA, tantôt faisant de l’Allemagne un concurrent, voire un adversaire des mêmes USA. La crise ukrainienne a permis d’introduire directement dans les relations USA-Allemagne un troisième acteur, qui était indirectement présent avec Snowden/NSA, la Russie où réside Snowden. Dans cette crise ukrainienne, les Allemands perdent de plus en plus leurs intérêts politiques directs, avec la mauvaise position ou la disparition de candidats qu’ils jugeaient pouvoir manipuler, –Timochenko de plus en plus “brûlée” par diverses casseroles dues à ses manœuvres constantes et sa corruption essentiellement psychologique inhérente, que sa surveillance par la NSA autant que ses connexions US ne démentent pas ; et l’ex-vedette du ring puis ex-vedette de euromaïdan, Vladimir Klitschko, qui s’est désisté pour Porochenko, l’Ukrainien “roi du chocolat” et première fortune ukrainienne, en tête dans les sondages selon ces critères assez étranges mais néanmoins très postmodernes pour le point de vue politique. Du coup, l’Allemagne est moins intéressée par le soutien à l’éventuel nouveau “régime” ukrainien qu’elle ne l’était il y a un ou deux mois, et plus sensible aux arguments russes. D’autre part, le poids du monde industriel et économique allemands apparaît comme de plus en plus important, clairement, voire impétueusement dans un sens favorable à la Russie et par conséquence indirectement hostile aux USA (voir ZeroHedge, le 30 mars 2014). (Ce poids se fait également sentir dans la crise Snowden/NSA, où la surveillance et l’espionnage US/UK visent également les intérêts économiques allemands.)
Ainsi est-ce la première fois de façon aussi claire et précisée depuis l’Ostpolitik du chancelier Brandt des années 1970 et de façon bien plus ambitieuse avec des objectifs différents, – la période Schroeder qui a vu un rapprochement avec la Russie devant être mise à part à cause du rôle important de la France, – qu’est évoquée ce qui serait une tendance allemande à envisager une politique étrangère spécifique, et impliquant l’hypothèse d’un véritable retournement d’orientation selon l’axe d’action allemand classique Est-Ouest. Si nous semblons prendre au sérieux une telle tendance, du moins dans l’aspect conceptuel, c’est parce qu’il nous semble que les psychologies y sont ouvertes en Allemagne, entre une dérive de la réalisation de la puissance d’influence allemande en Europe allant de pair avec l’effondrement français d’une part, et la réalisation des dangers de déstabilisation au cœur de l’Europe et du Système que recèle la politique-Système qui est favorisée, systématiquement comme de juste, par les deux entités que sont les bureaucraties US et européennes d’autre part. A cause des liens économiques et plus conjoncturellement des performances de sa diplomatie dans ces trois dernières années, et malgré ses faiblesses par rapport aux exigences de tendances que nous renvoyons à l’idéal de puissance et au Système (auxquels l’Allemagne reste attachée, n’étant aucunement antiSystème en elle-même mais pouvant l’être indirectement et involontairement), la Russie peut apparaître pour la conceptualisation allemande une issue, ou une ligne de fuite intéressante.
Pour autant, nous le disons catégoriquement, la réalisation géopolitique d’une telle perspective nous paraît extrêmement improbable en raison des faiblesses structurelles de l’Allemagne résultant de son statut d’après-guerre, et au moins aussi fortement à cause de l’immobilisme général engendré par les structures totalement ossifiées et productrices de paralysie de la globalisation aussi bien que celles du bloc BAO, et les paradoxales dynamiques de non-action politique engendrées (c’est-à-dire de l’action politique dynamisée en des cercles fermés qui sont balisés par les concept de communication, et réduite au contraire d’elle-même). Cela n’est nullement réduire à néant tout ce que nous disons plus haut car il nous faut rester dans le champ de la communication qui est le principal espace où se livrent aujourd’hui les batailles et les affrontements pseudo-diplomatiques et pseudo-stratégiques, et le principal producteur des forces alimentant ces batailles. Dans ce champ-là, par contre, la présence de l’Allemagne perçue comme une puissance jouant un rôle déterminant avec des idées de politique spécifique, présence volontaire ou non, justifiée ou pas, devient extrêmement importante. Du point de vue de la communication, on pourrait aller jusqu’au point où pourrait naître l’idée qu’il existe une “question allemande” spécifique jusqu'à l'antagonisme par rapport à la “solidarité” qui est requise à l’intérieur du bloc BAO, notamment dans le chef d’une affirmation d’hostilité à l’encontre de la Russie. Dans ce contexte-là, une telle “question allemande” avec le soupçon qui l'accompagne n’a nul besoin d’être opérationnalisée par une politique effective pour avoir quelque poids ; elle existerait simplement par les effets produits sur les psychologies par son évocation implicite.
Mis en ligne le 31 mars 2014 à 05H59
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