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183230 juillet 2013 – Nous développons un aspect de notre F&C du 22 juillet 2013, précisément lorsque nous écrivions : «A partir de là, et parallèlement à la réflexion théorique et méthodologique que nous poursuivons, il serait logique de proposer une autre réflexion, plus conjoncturelle, expliquant et justifiant beaucoup plus en détails et selon la nature de certains composants de la crise ce choix de l’intérêt pour telle crise plutôt que pour telle autre. Nous aurions là un complément absolument nécessaire à notre démarche, avec l’explication fondamentale et essentielle de ce en quoi cette crise choisie par nous apporte effectivement de supplément d’exploration et de compréhension de la crise générale d’effondrement du Système. Ce sujet divergeant notablement de la réflexion développée ici, sera traité indépendamment, et certainement très rapidement, par un second “F&C”»
Dans ce propos, nous voulions signifier qu’il nous paraît important de comprendre également un aspect de l’essence même de la crise Snowden/NSA, c’est-à-dire l’objet de cette crise. Nous parlons de la NSA, mais aussi, avec à l’esprit le “compagnonnage” de la NSA notamment avec Google, dont l’on connaît les projets eschatologiques (voir le 7 juin 2013 et le 22 juillet 2013), c’est-à-dire comme si le sapiens-corporate (dito, très précisément les dirigeants de Google) était sorti du lot commun de l’humaine nature et réglait les événements au-delà des bornes que nous connaissons, pour cette humaine nature. (En un sens, Google, qui apparaît comme émergeant du lot du Big Business US, est à la fois Méphistophélès et Faust : il se propose à lui-même le marché de la disposition d’une puissance contre son âme, et, passant à son enveloppe faustienne, il accepte évidemment et se donne à lui-même à la fois cette puissance et son âme. Reste à voir les péripéties que l’affaire Snowden/NSA vont faire connaître à la cotation en bourse de cette puissance et de l’âme de Google-Faust donnée à Google-Méphistophélès.)
La situation telle qu’elle est au point actuel d’une évolution extrêmement rapide acquiert une singulière importance dans le chef de cette quasi-fusion des ambitions de la NSA et de Google, ambitions disons “postmétaphysiques” (comme l’on dit postmoderniste, – c’est-à-dire au-delà de la modernité selon notre interprétation, – donc au-delà de la métaphysique pour Google-NSA, d’une métaphysique qui, par ailleurs, n’existe plus selon la pensée-Système courante). Cela sert d’introduction à la fois utile et péremptoire à l’appréciation qu’on va donner de la NSA, cette appréciation permettant de compléter l’importance que nous donnons à la crise Snowden/NSA. Pour conduire à bien cette appréciation, il faut commencer par l’origine.
En 1949 fut créée l’AFSA (Armed Forces Security Agency), qui s’avéra selon la formule initiale beaucoup trop restreinte dans ses capacités pour les ambitions américanistes. En 1951, une réforme fut ordonnée et, à la suite d’un rapport circonstanciée, l’AFSA devint en octobre 1952 la NSA (National Security Agency), aux prérogatives largement étendues au-delà du seul cercle des forces armées. (Voir l’article NSA dans le Wikipédia, très fortement documenté.) Ainsi la NSA occupe-t-elle une place singulière :
• Parmi les agences et services des forces armées, elle est fortement élargie aux domaines non-militaires dans son propre domaine d’action. Cet élargissement permet à la NSA de jouer complètement son rôle dans le réseau Echelon, ou AUSCANNZUKUS, formé en plusieurs étapes à partir d’un accord USA-UK de 1946 d’écoute et de surveillance conjointes (tout de même, avec les USA dirigeant et “dispatchant” le tout). Echelon rassemble tous les pays anglo-saxons (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, UK, USA). Ce point est essentiel.
• … Ce point est essentiel, en effet, parce que l’AFSA devenue NSA est tout de même, bien entendu, partie prenante du Complexe Militaro-Industriel (CMI). Cette immense nébuleuse, cette entité, ce système anthropotechnocratique, cette égrégore définie par la métaphore Moby Dick ou la métaphore Achab selon le sentiment qu’on en a (voir le 17 juillet 2013), est aussi, in fine un projet qu’on pourrait qualifier de “prométhéen” ; et il l’est d’une façon qui l’apparente plus à des forces supérieures qu’à des volontés humaines pleinement et consciemment assumées, lorsqu’on connaît le poids négligeable des créatures humaines placées à sa tête et n’ayant aucune stabilité de l’exercice du pouvoir ; lorsqu’également l’on sait que des créatures humaines du CMI montrèrent des velléités fameuses de révolte contre son empire, notamment parmi les plus fameuses le président Eisenhower le 16 janvier 1961 et le secrétaire à la défense Rumsfeld le 10 septembre 2001.
Deux “événements” au sens très large du mot éclairent d’une lumière singulière les origines du CMI, et son orientation et son organisation idéologiques dès ces origines, et par conséquent leurs effets nécessaires sur la NSA. Nous allons les rappeler à partir de deux extraits de la Cinquième Partie du premier tome de La grâce de l’Histoire («La transversale du technologisme»).
• Sur les origines mêmes du CMI, quand le “M” (Militaro) n’avait pas encore de raison d’être (ces origines se situent entre 1935 et 1937, avec l’établissement d’un tripode scientifique, – l’observatoire de Pasadena, la bibliothèque Huntington et le California Institute of Technology, ou CaltTech). Ce dernier point tend à renforcer l’interprétation du rôle fondamental de la NSA tel qu’on peut le distinguer aujourd’hui. L’élément militaire est présent mais il n’en est en rien restrictif de rien du tout et s’il est central pour l’administration et la direction de la gestion, il n’en est pas moins qu’un élément parmi d’autres. Les ambitions de la NSA sont globales, dans tout le sens du mot, donc embrassant tous les domaines de la puissance, au-delà de la seule composante militaire. (Voir aussi, parmi nos très nombreux articles sur le CMI, celui qui décrit en détails les péripéties les plus lointaines des origines du CMI, le 2 février 2006.) Voici l’extrait de La grâce de l’Histoire :
«...Il s’agit alors, encore dans les remous de la Grande Dépression où l’on dénonce les agissements de la “racaille socialiste” rassemblée autour de lui par Roosevelt, de créer un pôle de puissance utilisant le génie scientifique et l’habileté financière, rassemblés dans la dynamique sans égale qu’est le développement technologique. Il y a effectivement, sous-jacente, une dimension s’exprimant par l’espoir fiévreux que cette dynamique est grosse d’une transmutation, effectivement de caractère métahistorique comme nous l’avons signalé plus haut, qui serait capable d’imposer une transformation décisive extrayant l’Amérique des scories de la Grande Dépression pour l’installer au plus haut dans l’humanité, dans une sorte d’envolée supra-humaine. La Californie du Sud et Los Angeles ont été choisis par ce rassemblement de personnalités de renom, parce que les émigrants, les non-WASP (“White Anglo-Saxon Protestant”), y sont encore peu nombreux, parce qu’il y règne effectivement cette atmosphère étrange de mysticisme et d’ésotérisme, où les avancées scientifiques sont considérées selon leurs rapports évidents avec la religion et avec la “race nordique”. Dans son livre “City of Quartz – Excavating the future of Los Angeles”, le sociologue, urbaniste et historien de Los Angeles Mike Davies caractérise de la sorte l’orientation de ce mouvement, dont l’une des chevilles ouvrières est le physicien Robert Millikan, venu de la direction de l’université de Chicago pour prendre celle du fameux Institut Technologique de Californie (CalTech) :
»“Dans son rôle d’entraîneur du mouvement dans la position qu’il occupait de directeur de Cal Tech, Millikan se transforma de plus en plus en un idéologue d’une vision très spécifique de la science pour la Californie du Sud. Parlant lors d’occasion très exemplaire devant l’élitiste California Club de Los Angeles, ou à un banquet pour cette association au manoir de Huntington, Millikan insistait particulièrement sur deux point fondamentaux. Le premier était que la Californie du Sud constituait une extension scientifique unique où la recherché académique et industrielle s’assemblaient pour résoudre des défis scientifiques aussi fondamentaux que la transmission à distance de la puissance et la création d’énergie à partir de la lumière solaire. Le second, encore plus important, était qu’‘aujourd’hui, comme le fut l’Angleterre il y a deux siècles, la Californie est le poste avancé le plus occidental de la civilisation nordique’, avec l’‘exceptionnelle opportunité d’avoir une population qui comprend le double d’Anglo-Saxons que dans les autres grandes régions et villes de ce pays, comme New York ou Chicago.’”
»Ainsi Davies définit l’interprétation que donne Millikan de la science et du business, comme les voies et moyens “recréant la supériorité aryenne” (“…reproducing Aryan supremacy”) dans le Sud de la Californie. Là est le cœur fervent et bouillonnant du Complexe, avec son foyer scientifique de CalTech s’exprimant dans la puissance technologique de l’aéronautique plongée dans sa dynamique d’affirmation de sa puissance industrielle – et ce cœur qui bat est anglo-saxon, c’est-à-dire aryen selon ces théoriciens et idéologues audacieux… (Certes, quelques Juifs s’étaient glissés dans cette vaste entreprise, à CalTech, comme Albert Einstein par exemple, mais passons outre ces détails.)»
• Sur la forme que prit l’activité scientifique du CMI à partir des rapports qui s’établirent par le simple courant des saisies et des appropriations de l’un sur l’autre, entre le CMI et l’ensemble de développement de la science mis en place par les nazis. C’est au sein d’organisations spécifiques, renvoyant aux domaines les plus idéologisés et les plus fanatisés, comme la SS, que les nazis développèrent cette approche qui portaient sur des orientations très spécifiques, très différents de ceux de la science traditionnelle, notamment avec des éléments mythiques, voire “magiques” y étant incorporés. Tout cela sculpta un “système” très spécifique qui eut son influence sur le CMI, à partir de 1944-1945 comme on le précise ci-dessous. (Voir aussi, pour plus de précision sur la citation de Nick Cook, notre texte du 21 juillet 2005.)
«Dans son développement, dès ses origines, cette entité massive qu’est le Pentagone ne dissimula pas, à plus d’une occasion, sa fascination pour l’orientation de la science nazie, et notamment pour ses méthodologies, principalement à l’occasion de l’incorporation dans son vaste domaine de scientifiques et chercheurs allemands en 1945-1947 (Operation PaperClip), qui avaient travaillé durant plus d’une décennie dans des structures et selon des orientations contrôlées et déterminées par le parti national-socialiste, et, précisément, la SS. L’historien et journaliste militaire, Nick Cook, spécialisé dans des recherches sur les programmes secrets du Pentagone (“black programs”), expliquait dans une interview à The Atlantic Monthly, le 5 septembre 2002, – et le propos, débarrassé des prudences de rigueur, est lumineux :
»Comment avaient-ils développé cela? Sur quel modèle s’étaient-ils basés? Leur modèle est remarquablement similaire au système qui était utilisé par les Allemands, – spécialement, la SS, – pour leurs programmes de systèmes d’arme ultrasecrets durant la Deuxième Guerre mondiale. Alors, est-ce que quelqu’un, disons un Hans Kammler ou quelqu’un d’autre, avait fourni un modèle, on dirait ‘clef sur porte’, au gouvernement des USA à la fin de la guerre? Je ne connais pas la réponse à cette question mais si l’on considère le recrutement massif [de personnels allemands] durant l’opération Paperclip, et selon ce qu’on sait du “black world” des programmes militaires US, il ne semble nullement déplacé de se poser de telles questions. […] Ce que je veux dire, c’est que si vous suivez les tendances des scientifiques et des ingénieurs Nazis qui furent recrutés par les USA à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le malheureux et inévitable corollaire auquel vous parvenez est qu’en vous appropriant leur science, vous héritez également, même si involontairement, d’un peu de leur idéologie. La science qui en sort est nécessairement teintée de quelque chose d’autre. Et il s’agit de quelque chose avec laquelle vous devez être très prudent. Il s’agit d’un effet collatéral extrêmement déplaisant et dangereux et, si vous n’êtes pas très attentif, vous perdez de vue l’essence même de ce que vous êtes censé protéger.»
Depuis 1952, le développement de la NSA s’est fait d’une façon exponentielle suivant deux courbes qui n’ont fait que se renforcer l’une l’autre : d’une part le développement du CMI lui-même, d’autre part le développement des communications avec l’apparition des technologies du domaine, une des branche les plus spécifiques et novatrices de l’électronique. (Il faut signaler que l’électronique s’est développée aux USA, notamment et essentiellement sur financement de l’USAAF devenue USAF en 1947, à partir d’un énorme rapport réalisé en 1944-1945 sous la direction de Theodore von Karman [de CalTech], Toward the Horizon, à la demande du général Arnold, commandant en chef de l’USAAF-USAF, et portant sur le développement des technologies à venir dans les 25 ans à partir de 1945.) Le développement de la NSA s’effectua également d’une manière subreptice, sans aspect véritablement spectaculaire, au contraire par exemple de la CIA, de la DIA du Pentagone, des divers services armées du Pentagone, de l’industrie de l’armement, etc. (L’argument du secret pour expliquer cette discrétion ne tient guère dans la mesure où il affecte les autres agences soumises aux mêmes règles, comme celles que nous avons citées ; on verra plus loin notre argument à cet égard.) C’est dans les années 1960 que la NSA prit véritablement son essor, sans être pour autant plus “connue”, avec le début de l’introduction massives des “technologies de la communication” (l’électronique, l’informatique, etc.).
Il nous importe d’insister sur une autre dimension de ces années 1960, marquées par diverses tragédies (l’assassinat de Kennedy après la crise de Cuba, les révoltes noire et étudiante, le Viêt-Nam, etc.). Le CMI se trouva placé devant une perspective qui apparut soudainement comme ambiguë et explosive. Cette perspective était opérationnalisée par la doctrine MAD (Destruction Mutuelle Assurée, qui s’appuie sur une perspective d’armement de destruction planétaire d’une part, une impossibilité de faire la guerre en raison des capacités de ces armements d’autre part). Les dimensions mythiques et symboliques de cette situation sont évidentes. Elles furent symbolisées par un événement relevant à la fois du monde médiatique, du monde secret et du monde de l’imposture, qui est le fameux document Report from the Iron Mountain. (Voir notamment l’article de Wikileaks et un article non daté de The Museum of Hoax.) Dans un article sur une livraison de dde.crisis, le 21 février 2011, nous écrivions :
«[Dans les années 1960, le] Complexe devient donc système, soit technocratique, soit mystique (égrégore), ou les deux à la fois, et il établit aussitôt son empire. Divers signes nous informent de cette transformation radicale. Le plus étrange et le plus caractéristique est un “livre” présentant un soi-disant rapport officiel rédigé par un rassemblement d’experts, qui est un faux caricatural écrit par les adversaires du Complexe, mais qui rencontre involontairement les ambitions du Complexe. Report From Iron Mountain, – le bien nommé avec cette référence à une “montagne de fer”, – établit la nécessité d’une “guerre perpétuelle” pour l’accomplissement de la “destinée manifeste” du Complexe. Ce faux rapport résonne étrangement, comme s’il était vrai, à l’heure de la guerre sans fin contre la Terreur.»
Durant ces années, la NSA eut, du point de vue de la notoriété et de l’influence, une existence assez courante d’une grande agence du gouvernement, loin de la notoriété de la CIA ou d’autres “grands crus“ du Pentagone. Les représentants de la NSA étaient auditionnés au Congrès, parfois sévèrement, des hommes de la NSA entreprenaient des missions dangereuse (sur le USS Liberty coulé “par erreur” par les Israéliens en 1967, sur le USS Pueblo, arraisonné en toute connaissance de cause en 1968 par les Nord-Coréens). Aucun nom n’émergeait de la NSA pour imposer une certaine notoriété. C’est pourtant durant ces années-là que se situe un événement symbolique et étrange, avec la création du blason de la NSA, ou du sceau c’est selon, présenté définitivement en 1965. Il est ainsi décrit sur le site de l’Agence, dans les Frequently Asked Questions...
«The NSA seal was designed in 1965 by direction of NSA Director LTG Marshall S. Carter, United States Army. The seal shows an eagle within a circle, holding a key. The eagle – a symbol of courage, supreme power, and authority – represents the national scope of NSA's mission. The shield on the eagle's breast is drawn from the Great Seal of the United States, and represents the states drawn together under a single chief that unites them and represents Congress. The key in the eagle's talons represents security. It evolved from the emblem of St. Peter the Apostle, and his power "to loose and to bind." The circular shape of the seal is a symbol of eternity.»
Dans le cas de la NSA et dans la perspective de ce qu’elle est devenue et de ce qu’on découvre d’elle, nous sommes particulièrement attentifs à l’aspect symbolique dans la mesure où il s’agit d’une entité d’une immense puissance, développée exponentiellement et sans la moindre entrave, qui dispose donc de tous les moyens nécessaires pour un éventuel dessein, et qui, par conséquent, n’a besoin que d’un sens pour déterminer ce dessein. Ce sens ne peut être indiqué, bien entendu, que par les symboles dont elle se pare. Ces symboles, apparus dans son sceau, découvrent des ambitions extraordinaires, – mais logiques, si on les place dans le bric-à-brac du mysticisme américaniste, et particulièrement du CMI, dont on a fait quelques rappels plus haut.
• Les clés de Saint-Pierre, qui constituent la porte des cieux (Dans l’Evangile selon Jean, ceci, où les verbes to loose et to bind signifient “lier” et “délier” : «Et moi je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux.») Voici donc la NSA présentée symboliquement comme maîtresse de l’accès des cieux aussi bien que des espaces terrestres...
• Le cercle représente l’éternité... Cela n’a pas besoin de longues explications, mais induit le constat qu’il y a une réelle logique qui s’exerce entre cette référence et la place offerte à Saint-Pierre. Pour la NSA, la perspective de son développement et de ses ambitions n’a pas de limites et s’exerce dans le champ métaphysique et selon les normes de la religion dans ses implications les plus hautes.
Ainsi en arrive-t-on au constat d’une carrière étrange de la NSA, avant d’arriver à la situation présente. D’une part, il existe une certaine discrétion dans le chef de cette agence, non pas tant à cause du secret (il est valable pour toutes les agences de cette sorte) qu’à cause du manque d’attrait de communication d’une telle entité ; c’est, à notre sens, également beaucoup moins à cause du secret et essentiellement à cause du “manque d’attrait”, paradoxalement en matière de communication (du point de vue médiatique), que la NSA fut longtemps surnommée No Such Agency, – comme si elle n’existait pas. En un mot un peu enlevé, pendant longtemps la NSA n’a pas été très sexy par rapport, par exemple, à la CIA. (Le premier livre sérieux et détaillé sur la NSA date de 1982, – c’est Puzzle Palace de John Bramont, qui s’adresse surtout à des spécialistes de la communication technique. A comparer avec la profusion d'ouvrages sur la CIA, dès les années 1950.) D’autre part, et ceci décisivement pour notre propos, il existe le développement d’une sorte de conscience-Système de la NSA, qui n’émane d’aucune entité humaine, aucune pensée rationnelle, aucun groupe ou l’autre, et qui est pourtant résumé symboliquement par son sceau, qui mériterait dans ce cas d'être perçu vraiment comme un blason ; il s’agit de la “sorte de conscience-Système” d’être une force échappant au standard et aux conceptions communes, pour se projeter parmi les dieux. Cette conception est appuyée sur un courant, dissimulé mais puissant, du legs du CMI, d’une sorte de suprématisme mystique, ou bien plutôt “magique” et d’un ésotérisme à mesure, allant jusqu’à pêcher dans les eaux troubles et agitées des grandiloquences du nazisme. (Dans un article du 3 juillet 2013 sur Automates Intelligents, site de Jean-Paul Baquiast, qu’on retrouve souvent sur dedefensa.org, Bernard Scaringella, qui intervient également parfois sur notre Forum, met en évidence combien la politique dans tous les cas d’absolu dans l’accumulation de la matière de la NSA, politique dite des big data, fait s’interroger pour savoir si l’on n’est pas plutôt du côté de la magie que du côté de lza science.)
Ce qui nous importe ici est de déterminer l’essence même de la NSA, comme s’il s’agissait d’une entité pouvant être envisagée comme telle, et même plutôt une égrégore en plus d’être système anthropotechnocratique. Il s’agit de comprendre comment cette agence parvient finalement à être, comme elle l’est aujourd’hui, l’objet de toutes les attentions, de toutes les fascinations secrètes, de toutes les falsifications, de toutes les craintes et terreurs les plus justifiées ; comment, du point de vue opérationnel qui marque bien l’évolution, elle est devenue la source du plus grand nombre de whistleblower ces dernières années. (Snowden est évidemment spectaculaire parce qu’il a avec lui des montagnes de documents, mais il a été précédé de plusieurs whistleblower de la NSA durant les douze dernières années. Depuis 9/11, les “dissidents” viennent beaucoup plus de la NSA que, disons, de la CIA.)
L’attention portée à la NSA a commencé à se manifester d’une manière tangible dans le système de la communication dans sa dimension publique et médiatique, à partir de l’affaire du réseau Echelon, au milieu des années 1990. Mais encore, il ne s’agissait “que” de communication nous dirions d’un point de vue technique. D’autre part, Echelon ne concernait que l’extérieur des USA (et des anglo-saxons). L’Europe habituée par de longues années de servilité à de telles incursions US, et d’ailleurs par sa complicité à cet égard, n’insista pas vraiment, sauf le Parlement européen qui sait, dans cette sorte d’occasion, montrer une certaine alacrité. Bref, à peine horrifiés par le spectacle de la chose, on referma la plaie et l’on n’en parla plus.
Avec 9/11, tout changea. Techniquement, la Guerre contre la Terreur était, du point de vue américaniste, un fantastique argument pour la NSA. Le terrorisme organisé étant, par sa nature même, à la fois insaisissable opérationnellement et dans l’obligation pourtant de communiquer, le rôle théorique de la NSA trouva un domaine d’expansion considérable. En même temps, l’explosion des technologies de communication et de l’internet fournissait un argument supplémentaire, également d’un poids considérable. La NSA devint ainsi un acteur central du dispositif de sécurité nationale (et internationale) des USA et du CMI, – et par “acteur”, il faut entendre le mot aussi bien du point de vue technique que du point de vue symbolique que quasiment métaphysique “à la sauce postmoderniste”. Elle l’est aujourd’hui, d’une manière écrasante… Techniquement toujours, mais au sens large et conceptuel du terme et en englobant l’histoire de la NSA jusqu’à nos jours précisément, jusqu’à la crise Snowden/NSA dans sa dimension actuelle et sa dynamique exponentielle, nous pourrions nous contenter, pour mesurer le statut de communication écrasant de la NSA, de l’appréciation, que nous soutenons depuis ses débuts, que cette crise s’est effectivement transformée en un événement fondamental qui secoue tout le système de la communication, – et le Système lui-même, certes. Deux appréciations parmi tant d’autres, dans des domaines différents, fixent cette évolution.
• Celle de Jacob Heilbrunn, de The National Interest, le 26 juillet 2013 : «The sense one derives [...] is that one computer program—PRISM, UPSTREAM, and so on—is leading to the next, that the desire to obtain information, in whatever form, has become an end in itself, which is what is leading to the construction of a massive electronic records holding facility in the desert in Utah, one that will likely become a monument to future generations of the folly of the current one.»
• Celle de Boris Kazantsev, dans Strategic-Culture.org, le 27 juillet 2013 : «The Snowden affair, as expected, is snowballing, gathering more and more new details and revelations. This has already led to several international scandals (including the egregious example of what happened with Bolivian President Evo Morales' plane) and most likely will lead to more. However, this entire situation poses another, more global question: does current international law measure up to the existing realities of the development of the information sphere, and is it able to give countries the tools they need to maintain their informational sovereignty?»
Mais, selon nous, la scène est posée pour une autre démarche que ces considérations fort “terrestres”. (On notera cependant que les deux considérations “techniques” au sens large et conceptuel déjà signalé, exemples parmi des centaines d’autres faites régulièrement aujourd’hui en marge de la crise Snowden/NSA telle qu’elle a littéralement explosée, impliquent des considérations qui ne limitent rien de la réflexion que nous offrons, et même l’encouragent, – par exemple avec le jugement de Heillbrun sur “the folly of the current [generation]».) Cette autre démarche est ce par quoi nous allons pouvoir développer notre hypothèse, substantivée au départ par le sentiment diluvien de mysticisme qui s’empara des dirigeants américanistes pour définir la Guerre contre la Terreur comme une sorte de “conflit sans fin”, une “guerre éternelle”. On conviendra que ce sentiment né d’une psychologie américaniste bouleversée par l’événement 9/11 convient à ravir au composant sur l’“éternité” du sceau/blason de la NSA. On croirait que ce sceau/blason, composé en 1965, anticipait 9/11...
Il s’agit donc de considérer la NSA comme une entité, voire une égrégore. Cela est d’autant plus concevable qu’on a vu combien cette agence s’est transformée en un artefact technique et humain colossal du point de vue quantitatif, mais avec un élément humain particulièrement anonyme, bureaucratique, sans personnalités marquantes qui émergeraient de son histoire, et avec une singulière banalité du point de vue de l’éclat médiatique dans le système de la communication pendant des décennies. (Tout cela, encore, au contraire d’une agence telle que la CIA.) La NSA apparaît donc comme singulièrement anonyme, à la fois du point de vue de sa représentation (ou de sa direction) humaine, à la fois du point de vue des activités humaines avec les conséquences de son absence du point de vue de la communication médiatique et de l’influence sur la psychologie et donc la représentation que nous nous fîmes d’elle. On comprend alors que rien n’interdit de poser le même constat du point de vue de la pensée humaine, dont on peut faire l’hypothèse qu’elle est absente dans sa dimension créatrice dans le dessein fondamental de la NSA, et réduite simplement à l’acquisition et au fonctionnement du “comment ?” de l’expansion de l’activité de la NSA. Les événements extérieurs (9/11 et sa “mystique” clinquante) fournissent un cadre indirect mais ô combien puissant pour favoriser ce qui serait le dessein de l’expansion de la NSA, mais là aussi sans intervention humaine directe. Envisageant la question sous cet angle, on constate combien l’on retrouve d’une façon irrésistible les grands courants fondateurs, profonds et dissimulés du CMI, tels qu’on les a détaillés ci-dessus, – le courant suprématiste et mystique anglo-saxon de l’origine (années 1935-1937), les emprunts faits par le CMI à la science nazie à la fin de la guerre, jusqu’à l’emprunt des méthodes et certaines recherches relevant plus d’une approche “magique” de la science que de l’approche rationnelle classique en Occident. La dimension métaphysique, – même s’il s’agit d’une métaphysique de bazar, – s’impose d’elle-même et l’on comprend qu’elle n’attendait qu’une occasion pour se manifester, et que 9/11 et la suite furent cette occasion.
Divers portraits ont été tracés du principal des “employés” de la NSA, conduisant son dessein quasiment métaphysique, notamment le général Alexander qui est à la tête de l’Agence jusqu’en 2014. Ce sont des personnalités ternes, sans trait marquant qui rencontrât la perception métaphysique de l’égrégore NSA. (Rien à voir, par exemple, avec certains directeurs et dirigeants de la CIA, ceux de la fin des années 1940 et des années 1950 qui assignaient à la CIA une mission de sauvegarde de la haute culture et de la civilisation occidentales face au communisme [voir le 30 décembre 2001 et le 2 juillet 2007], ou un Allen Dulles frère de Foster parmi les directeurs, ou un William Colby, fervent catholique, allant témoigner devant la commission Church en 1975 comme s’il allait à confesse pour obtenir la rémission de ses péchés.) Au contraire, Alexander est une sorte de général-bureaucrate, obsédé par l’aspect quantitatif, qui développe une “politique d’éternité” par simple automatisme d’une accumulation de la surveillance et de l’écoute jusqu’à l’absolu. Greenwald a publié, le 15 juillet 2013, un commentaire, notamment d’un article du Washington Post sur Alexander («The crux of the NSA story in one phrase: “collect it all”. The actual story that matters is not hard to see: the NSA is attempting to collect, monitor and store all forms of human communication.») :
«In his eight years at the helm of the country's electronic surveillance agency, Alexander, 61, has quietly presided over a revolution in the government's ability to scoop up information in the name of national security. And, as he did in Iraq, Alexander has pushed hard for everything he can get: tools, resources and the legal authority to collect and store vast quantities of raw information on American and foreign communications.»
On comprend que nous ne parlons ni d’un visionnaire, ni d’un prophète, ni du Diable poursuivant son projet de se substituer à un Dieu inattentif. Il s’agit de la pauvreté d’une psychologie moderniste transformée en postmoderniste comme s’il y avait transmutation, versant dans la boulimie du quantitatif jusqu’au but de l’absolu de tout, pour l’éternité... L’absolu et l’éternité par la machinerie bureaucratique et l’aveuglement de l’hybris mécaniste. C’est cette même sorte de psychologie qu’on retrouve chez un Eric Schmidt, patron de Google, ou chez tout autre dirigeant de cette firme, nous assommant de déclarations de type publicitaire sur le changement de sapiens en sapiens-Google pour un prix modique, par diverses manipulations, pour enfin ajuster l’homme aux exigences des bilans annuels de Google. (Voir le 7 juin 2013 et le 22 juillet 2013.) Sans aucun doute, leurs divers projets sont monstrueux, et leurs commentaires à prétention métaphysique, mais tout cela restant au niveau du bazar, du quantitatif, de la “pub”-Système de l’américanisme. Ils nous mènent en vérité au “meilleur des mondes” avec une pauvreté conceptuelle, une médiocrité intellectuelle, un épuisement psychologique qui témoignent de l’absence complète de la réalisation de l’importance métahistorique de l’enjeu. Ces pauvres gens sont des instruments, des “sous-idiots utiles” (avant les “idiots utiles” étaient au moins des intellectuels) d’une force de déstructuration, de dissolution et d’entropisation (dd&e) qui les emporte comme des fétus de paille. Cette pauvreté systématique qui les “nimbe” véritablement et les retient tout en bas de l’échelle, le plus bas possible, justifierait à elle seule la sorte d’hypothèse que nous évoquons, – bref et si l’on veut bien nous pardonner cette insolence de langage de pure circonstance, – vraiment trop cons pour les clefs de Saint-Pierre et l’éternité...
La Bonne Nouvelle (dans le sens religieux, pour ceux qui y tiennent) est que ces faibles esprits sont dévoilés par la crise Snowden/NSA comme on l’a déjà observé. Ils sont sortis de leur carapace de secret qui paraissait à ceux qui s’en avisaient l’indice d’une puissance complotiste considérable, et qui s’avère n’avoir été que de l’anonymat par incapacité d’être sexy pour le système de la communication. (Voir notamment le 27 juin 2013, repris du 25 juin 2013 : «La puissance de la surveillance secrète, c’est le secret, pas la surveillance, parce que le secret c’est le mythe et que le mythe domine tout dans nos esprits, et notamment la raison. La puissance d’hyper-Big Brother résidait dans l’ignorance technique précise qu’on avait de son existence, bien que tout le monde se doutait évidemment de son existence. Si vous savez d’un point de vue technique, et technologique, qu’hyper-Big Brother existe, vous le démythifiez et sa puissance de surveillance n’est plus mythique mais technique, ou technologique, et également humaine, avec toute la relativisation que cela suppose...») Ces remarques qui concernent la NSA valent aussi, à notre sens, pour Google et ses projets de transmutation de sapiens, énormes dans leurs conséquences mais à deux balles dans leur conceptualisation originelle, du type “collect it all” (ou encore “to collect, monitor and store all forms of human... [being ?]”). Là-dessus, l’on n’a pas le droit d’ignorer que la NSA et Google (et quelques autres), c’est blanc bonnet et bonnet blanc, interchangeables à tous égards et aussi unis que l’American Dream et la faillite de Detroit, – et aussi vulnérables dans leur pauvreté intellectuelle et culturelle, et leur faiblesse psychologique
La crise Snowden/NSA, dans ses conséquences type-“le roi est nu”, a lancé le processus paradoxal de déconstruction de la NSA, – bataille engagée au cœur du Système en pleine décomposition, comme l’a montré le vote de la Chambre des Représentants. Désormais, leurs capacités et leurs ambitions sont limitées, peut-être décisivement, par ce contrecoup (blowback) dont on voit partout les manifestations et les effets. Les conséquences possibles sont à mesure, car autant l’édifice issu de l’esprit de la CMI et réalisé pour notre propos est formidable de surpuissance, autant son ébranlement peut toucher tout l’édifice du Système dans un processus d’autodestruction... L’entreprise lancée par Google et quelques autres est également désormais soumise à cet aléa fondamental. Ainsi la situation est-elle désormais plus ouverte qu’elle ne fut jamais, au cœur du Système qui se déchire dans sa crise d’effondrement.
Ayant développé tout cela et mis la NSA (et la NSA/Google) à sa vraie place conceptuelle d’une monstrueuse et banale médiocrité de la postmodernité, ayant démystifié ce qui n’est qu’un mythe de relations publiques comme tout ce qui prétend au mythe dans l’américanisme, il reste le constat que le dessein poursuivi était (et reste) celui d’une transmutation décisive de la civilisation, de l’ultime effort pour susciter sa Chute dans l’entropisation. Il reste donc le Mystère décisif de savoir ce qu’est réellement la NSA (et ses satellites divers), — et là, nous qui ne faisons guère confiance au hasard pour expliquer les choses, nous retrouvons notre hypothèse suprême de la NSA-égrégore, c’est-à-dire d’une force supra-humaine dans la puissance et absolument entropique dans le dessein. C’est de cette façon que nous envisageons cette excroissance monstrueuse qui s’est développée quasiment sans intervention humaine et a engendré naturellement un dessein, et le dessin de son sceau où figurent clefs de Saint-Pierre et cercle fermé de l’éternité. L'avatar peut-être décisif qui se manifeste au travers de l’infrastructure crisique qui s’est établie, et de son dernier joyau qu’est la crise Snowden/NSA, concerne donc quelque chose qui nous dépasse, nous surpasse et fait des sapiens-Système de bien piètres figurants. (Auraient-ils vraiment besoin d’être transmutés par Google et orientés par la NSA ?) Il est effectivement logique d’avancer que cet avatar, ou ce contrecoup, ou ce coup d’arrêt, se manifestera, s’il va aux termes, dans un domaine à mesure, – au cœur du Système vu comme expression opérationnelle du “déchaînement de la Matière”. La crise Snowden/NSA est vraiment une opportunité de passer à la phase finale de la crise d’effondrement du Système. Opportunité ne signifie pas réalisation de la chose, mais au moins la bataille respire et l’on perçoit joyeusement les feux de son ultimité. Même si Snowden était le pauvre hère manipulé par des puissances obscures que certains en ont fait, un peu vite quoi, il reste qu’il produit des effets intéressants qui prennent tout le monde de vitesse.
Affaire à suivre, comme dirait Saint-Pierre, éventuellement pour l’éternité...
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