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1675Hier, 1er octobre 2012, le site PressTV.com de la station iranienne ne manquait pas de présenter la nouvelle de certains remous au sein et autour d’Aljazeera, forcé de toute urgence de diffuser en direct le discours de l’émir du Qatar, Sheikh Hamad bin Khalifa al-Thani, le 25 septembre à la tribune de l’ONU. La nouvelle avait été révélée et largement explicitée et commentée la veille, 30 septembre, par le Guardian.
«Al-Jazeera has once again been criticized for its biased reportage amid revelations that the Qatari-owned news agency took directives to re-edit a report that was deemed not reflective of the policies of its Arab owner on Syria. In a last-minute instruction last Tuesday, Salah Negm, Al-Jazeera’s Doha-based news director, ordered that a video report containing speeches by the world leaders at the recent meeting of the UN General Assembly be re-edited to lead with the speech made by Emir of Qatar Sheikh Hamad bin Khalifa al-Thani on Syria, the British daily Guardian reported on Sunday…»
L’on comprend, à la lumière de cette anecdote significative, que les dirigeants du Qatar tenaient ce discours comme étant d’une singulière importance. Il est vrai que l’intervention fut marquée par la proposition d’une intervention en Syrie : «It is better for Arab countries themselves to intervene out of theirhumanitarian, political and military duties and do what is necessary to stop the bloodshed.» Cette proposition qui était elle-même présentée par ailleurs par le Premier ministre qatari, Sheikh Hamad bin Jassim al Thani, dans une interview à CNN. (Certains disent que CNN éprouve vis-à-vis de la direction du Qatar une amitié presque aussi grande que celle que montre Aljazeera.) Le Premier ministre annonçait que le Qatar a un “plan B” pour la Syrie, qui est effectivement de lancer des opérations pour établir des “zones protégées” nécessitant une No-Fly Zones.
On en déduit que ce discours qatari à l’ONU n’était pas de pure convenance mais qu’il recouvre au contraire une stratégie affirmée. Effectivement, le Qatar a baptisé ce projet un “plan B”, impliquant que la situation actuelle est, du point de vue qatari, en train de s’installer dans une impasse. (On ne pense au “plan B” que lorsque le “plan A” donne des signes d’épuisement.) Michael Stephens, expert travaillant au Qatar, au sein de la branche qatari de l’institut RUSI (ce qui implique un point de vue bien en ligne avec les organismes officieux de sécurité britannique), estime (le 1er octobre 2012, sur OpenDemocracy.net), que le Qatar se trouve dans une position où il lui faut trouver une issue au problème syrien, c’est-à-dire une nouvelle relance à l’avantage de sa stratégie anti-Assad, sous peine de perdre sa place, son prestige et son influence dans le monde arabe. Mais l’idée d’une intervention en Syrie est aujourd’hui un exercice bien complexe ; inutile de songer aux USA, qui parlent beaucoup grâce à Hillary mais agissent assez peu ; l’ONU, il ne vaut mieux pas y penser ; idem pour l’Organisation des Ettats Islamiques, dès lors qu’un poids lourd comme l’Égypte, malgré ses liens avec le Qatar, a exclu par la voix de Morsi toute idée d’une intervention étrangère en Syrie… Michael Stephens :
«The point to note is that the Qataris already know all of this, so it begs the question: why given these constraints have they still pushed forward with this new line of thinking? Once again I have no doubt that the Emir in particular sees advocating military intervention as genuinely moral, that it is a universal good to remove Assad from power as soon as possible. Secondly the sense of frustration with the ongoing operation to assist the rebels is tangible. Almost everybody I speak to who is close to these activities seems tired, and jaded, believing the operation to be what the American military might term a SNAFU. This sense of disappointment seems to have stung the Qataris into action to try to rectify matters and inject a renewed sense of urgency into multilateral activities in Syria.
»The real question is not about Qatar however, but Saudi Arabia. Should Riyadh feel sufficiently bold (which would be very out of character) to mobilise and follow Qatar’s call for action, then a real substantive shift might take place. Indeed Saudi’s vastly superior technological capabilities could end the conflict quickly should it wish tomobilise its more capable units. Although Saudi forces are largely untested in war it is doubtful Assad’s forces could withstand a full scale Saudi offensive launched from Jordan.
»This may well be the key to understanding what Qatar is doing. The Qataris are trying to drag Riyadh into a more assertive posture that produces a genuine sense of threat among Syrian decision makers. Backed by Jordan and possibly the UAE this would create a coalitionthat could force Assad into submission. The conflict is military at the end of the day, and it cannot presently be solved by political means. The Qataris understand this, and so does everybody else.
»Perhaps the Emir was simply saying what we have all been thinking but have been too afraid to say.»
On se rappelle, il y a 14-16 mois, que le Qatar apparaissait sur nos écrans de commentateurs, comme une force nouvelle, semblant irrésistible, maniant la puissance de l’agent, une certaine capacité de force, une influence nouvelle et inattendue. Les pays du bloc BAO ressentaient eux-mêmes cette nouvelle “puissance d’expansion”, avec des investissements audacieux et tapageurs, – notamment la France, fameusement et rapidement en cours de “qatarisation”, – et qui l’est toujours d’ailleurs, signe d’une pathétique situation générale française. Les ambitions qataris allaient même jusque des plans à peine secrets d’expédier, dans la foulée, en l’annexant tout ou en partie, le grand voisin saoudien dont on sait la mauvaise santé générale entre la corruption universelle, l’état dangereux des structures sociales du pays et la prolifique profusion des milliers de princes plus ou moins parasitaires et tous prétendants à une miette de pouvoir. La croisade anti-Assad vint pour couronner le tout, à nouveau aux côtés des croisés BAO et, également, des Saoudiens qui restent des alliés intimes même si l’on nourrit contre eux des plans machiavéliques. L’éclatante victoire de la campagne syrienne au sein de la même coalition qui avait triomphé en Libye aurait du, selon les plans prévus, couronner en quelques semaines une brillante campagne générale installant le Qatar au sommet de sa puissance dans le Moyen-Orient.
Le rêve le cède donc à la réalité, puisque Assad résiste, que le front anti-syrien se montre de plus en plus timide, que des obstacles inattendus se dressent (Morsi d’Égypte, bien sûr) et que des acteurs qu’on croyait condamnés à la retraite sinon à la déroute (l’Iran, la Russie) conservent ou renforcent un statut plus qu’honorable. Du coup, le Qatar commence à retomber lourdement. Sa “montée en puissance” a été exactement conforme aux fortunes qui se nouent et se dénouent dans ce temps où triomphent le système de la communication avec ses narrative diverses, et les montagnes de $milliards qui ne parviennent pas tout à fait à remplacer les principes de légitimité et de souveraineté (pour soi-même et qu’on doit respecter chez les autres). Le Qatar a agi comme un facteur déstructurant et dissolvant, bien à l’image des attributs de sa puissance et des habiletés tortueuses de sa politique. Sa puissance est de la même eaux : faite d’esbroufe et d’illusions parce que sans principe, elle doit triompher dans le temps de la surprise que cause son irruption, ou bien s’attendre à être confrontée à des obstacles dont la dureté meurtrière se mesure à leur pérennité. Aujourd’hui, le Qatar expérimente ce revers des fortunes faciles et se trouve réduit à des machinations auxquelles on est conduit à donner fort peu de chance de succès. Imaginer un “plan B” d’invasion contre la Syrie, à partir de la Jordanie, en tablant sur la puissance militaire saoudienne, avec le Qatar dans le rôle d’inspirateur et de puissance dynamique, c’est se bercer d’illusions qui ne trompent personne. L’Arabie peut envisager d’“envahir” Bahrain, sous les applaudissements des autorités qui tremblent devant des manifestants armés de caillasses et de leurs poitrines offertes au feu de la police, mais au-delà c’est de la pure rêverie ; l’Arabie a trop peur de son ombre et de ses multiples faiblesses, avec la psychologie terrorisée qui va avec pour de telles entreprises. La seule opération possible, de la part des pays arabes, devrait avoir un strict caractère humanitaire et aurait pour principal effet de reléguer les acteurs étrangers à la région dans un rôle de second plan (c’est le schéma que les Egyptiens sont prêts à étudier).
Michael Stephens a l’air de croire moyennement à ce qu’il décrit, mais il faut bien honorer d’un peu d’attention le grand discours de l’Emir, dont la retransmission live a été imposée à une chaîne Aljazeera qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Plus que de s’intéresser à quelque mirifique “plan B” qui aurait la peau du coriace Assad, on ferait mieux de mesurer la prodigieuse rapidité avec laquelle ces puissances du Golfe et de l’argent du Golfe montent comme un soufflet, sous les regards mouillés d’admiration des commentateurs du bloc BAO qui croient y distinguer la preuve que le Système “marche”, et se dégonflent avec une célérité encore plus grande, avec l’effet multiplié par l’effondrement des espoirs qu’on avait mis dans le gonflement initial. L’affirmation de la puissance du Qatar depuis le printemps 2011 est plus un événement de communication qu’un événement de géostratégie, ce qui correspond bien à l’époque
Mis en ligne le 2 octobre 2012 à 12H08
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