La Russie au Moyen-Orient : la maîtrise du jeu ?

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La Russie au Moyen-Orient : la maîtrise du jeu ?

Un rapide billet de The Voice of Russia, à partir d’une interview du diplomate russe Veniamian Popov, tend à montrer une nouvelle impression générale telle que la diplomatie russe commence à l’apprécier… Il s’agit d’une attitude nouvelle des pays arabes, notamment ceux du Golfe, au conservatisme et au pro-américanisme prononcés, vis-à-vis de la Russie. Ce changement se ferait justement et paradoxalement à la lumière de la position que la Russie a prise et a poursuivie sans discontinuer ni montrer le moindre signe de faiblesse depuis le début de l’année, dans la crise syrienne. (Effectivement et symboliquement, la politique russe est perçue dans sa continuité depuis le vote négatif de la Russie à l’ONU du 4 février dernier, contre une résolution du bloc BAO pour une action “humanitaire” en Syrie, pouvant sinon devant déboucher sur une intervention.)

The Voice of Russia, du 26 octobre 2012, nous donne quelques précisions venues de l’interview de Popov. Cette nouvelle position arabe, selon Popov, est évidemment beaucoup plus favorable à la Russie, notamment à cause de la position claire et ferme de la Russie qui s’est voulue dégagée de tout engagement idéologique et sectariste : «Today’s Islamic world is far from being homogenous and sees the coexistence of various trends. However, Russia’s position remains the same – to develop ties with the entire region…»

• Les 19-21 octobre 2012, il y a eu un forum important à Istanboul, organisé par le Middle East Carnegie Endowment. Popov en rapporte les principaux enseignements, et notamment l’extension à divers pays de la position russe sur la résolution de la crise syrienne par la voie diplomatique… «That was a major conference attended by a Russian and a Chinese representative and two Iranian delegates. Syria wasn’t present. The participants discussed the Syrian conflict rather frankly and I saw that the Arab world is beginning to change its attitude to Russia’s stance on Syria. The countries seem to be finally getting Russia’s idea and appreciate it. Iraq, Lebanon, Egypt and Jordan – they all spoke about political resolution of the crisis, exactly what Russia calls for. Things have changed greatly compared to early 2012 when our Arab partners were quite skeptical about Russian proposals. Today, everyone understands that the political way out of the crisis is impossible without Russia and China and the balance of powers is changing.”»

• Courant novembre, il y aura une rencontre importante entre les ministres des affaires étrangères de Russie et des pays de Conseil de Coopération du Golf (Arabie Saoudite, Bahrein, EAU, Koweit, Oman, Qatar). La chose est présentée comme étant d’une importance particulière. «The Foreign Ministers have agreed to meet in Saudi Arabia this November. I believe this forum to be crucial for Russia’s further cooperation with the Gulf. It will take place after the US elections and, I think, will focus on Syria.»

Selon beaucoup d’aspects et selon beaucoup de points de vue, on peut considérer que la crise syrienne a été et est, pour les acteurs extérieurs, un jeu de quitte ou double : on perd tout ou l’on rafle la mise en doublant ses gains. Cela pourrait être le cas pour la Russie, mais avec une satisfaction supplémentaire, – celle d’avoir mené un “jeu” ferme, structuré, clairement défini, appuyé sur des principes et nullement sur des emportements exacerbés, – ce qui pourrait être, finalement, la raison même de cette possible issue heureuse pour la position de la Russie au Moyen-Orient.

Les impressions rapportées ci-dessus ne tombent pas sans signes précurseurs, out of the blue, et nous n’avons pas choisi de nous y attacher sur leur seule valeur. Au contraire, elles confirment une évolution perceptible depuis plusieurs semaines, consécutives à l’échec de la rébellion à mettre à bas le gouvernement Assad, à l’échec d’une unification de cette rébellion, à la mise en évidence que la plupart des pays du bloc BAO ont joué beaucoup plus gros que leur mise et ne peuvent ni fournir ni tenir, au constat que des positions très affirmées en faveur de la rébellion syrienne sont en train de se nuancer très rapidement (Turquie, Arabie). D’autre part, le déferlement extraordinaire de communication de la part du bloc BAO et de ses alliés, de manipulation de l’information, etc., définit une attitude elle aussi marqué du quitte ou double, mais à échéance très rapide : ou bien l’offensive de communication étouffe tout et l’emporte dans son rythme très rapide, ou bien elle n’y parvient pas et s’embourbe très rapidement dans ses contradictions, dans ses grossières déformations, etc., tandis que la narrative fabriquée pour la cause se dissout… C’est évidemment ce qui s’est passé. Il est alors temps de constater qu’au milieu de ce paysage mouvant, un seul acteur a maintenu imperturbablement son cap, qui correspond à la logique et au rangement de la situation de désordre actuelle. Cela finit par se savoir et par être remarqué.

Les Russes ont toujours affirmé et répété que leur position était d’abord dictée par un souci d’ordre structurel, appuyé sur le respect des principes fondamentaux dont essentiellement celui de la souveraineté, avant même de prendre en considération leurs intérêts et leurs alliances. Si leurs intérêts et leurs alliances coïncident avec ce souci fondamental, tant mieux, mais il s’agit aussi de la conséquence de leur choix initial : ces intérêts et ces alliances sont également, par nature et par logique, le produit de cette même politique principielle. Aujourd’hui, il semble bien que les Russes soient sur le point de convaincre certains de leurs “partenaires” qui furent pendant plusieurs mois des adversaires indirects de la validité commune de leur choix. Cette reconnaissance concerne moins la Russie elle-même que la crainte du désordre et des impasses déstructurantes, contre lesquels s’activent les Russes.

Ces constats sont pour l’instant hypothétiques, avec tous les accidents et les réactions hostiles possibles, mais l’avantage incontestable de la Russie est bien de figurer comme elle le fait au cœur d’une évolution bien plus large que sa seule politique. La “coalition” anti-Assad, disparate, instable, réunie au nom d’intérêts dispersés et d’élans politiques dépendant souvent de l’humeur, s’avère d’une fragilité qui ne peut étonner. La Turquie est en train de réviser sa politique, l’Arabie hésite de plus en plus, comme les pays du Golfe, les pays du bloc BAO sont de plus en plus distraits par leurs propres situations intérieures et au bout de la logique d’une action fondée sur des exigences à la fois extravagantes et déraisonnables. En plus de cette évolution spécifique auprès de ces pays arabes, les Russes présentent évidemment l’avantage d’avoir de bonnes relations avec d’autres, dans une position différente (l’Iran et l’Irak). Enfin, il faut mentionner la visite de Lavrov en Égypte prévu pour le mois de novembre également, en plus de la rencontre avec les pays du Golfe. La Russie pourrait terminer l’année 2012 avec la potentialité d’une situation complètement renversée par rapport à celle que les pays du bloc BAO s’acharnaient à décrire à son début. La narrative grotesque de la Russie, puissance isolée et à la dérive, devra être mise aux oubliettes.


Mis en ligne le 27 octobre 2012 à 17H49