La Russie brûle…

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Les immenses incendies de Russie commencent à devenir un problème qui est abordé sur le plan international, et un problème qui, par conséquent, prend une dimension stratégique.

• Un article de WSWS.org du 10 août 2010 met en évidence l’ampleur extraordinaire de la catastrophe et, aussi, de nombreux détails sur ce que le site estime être les responsabilités du pouvoir. Il s’agit notamment de la critique du démantèlement des structures publiques de sécurité des forêts, cette sécurité ayant été cédée au secteur privé avec les catastrophiques conséquences habituelles de cette sorte de démarche.

• On consultera l’interview de Pierre Lellouche dans Le Figaro du 9 août 2010, marqué notamment par l’idée, résumée par le titre : «Créer une force d'urgence européenne pour la Russie.» Le 10 août 2010, EUObserver publie un article à partir de cette interview, où il signale diverses préoccupations européennes à l’égard de cette catastrophes, certainement des préoccupations humanitaires mais avec un soubassement politique de plus en plus évident…

@PAYANT Poursuivons par un souvenir du sortir de notre tendre jeunesse, – un article, publié en septembre 1976 par Philippe Grasset dans le mensuel bruxellois Aviation & Astronautique (en abrégé : Aviastro), dans lequel était lancée la suggestion de ce journaliste que l’Europe (la Communauté Européenne à cette époque) s’équipât d’une flotte, effectivement communautaire, de “bombardiers d’eau”, des Canadair CL-215. L’année 1976 avait connu une exceptionnelle sécheresse/canicule (pas une goutte d’eau en Belgique entre le 21 avril et le 14 juillet, 37° le 4 juillet 1976, jour de l’attaque d’un commando israélien d’un Airbus détourné sur l’aéroport d’Entebbe). Les incendies avaient grondé sur tout le pourtour européen de la Méditerranée, – Grèce, Italie, France, Espagne, – et la poignée de Canadair français de Marseille-Marignane avait du faire des rotations épuisantes, en France, en Corse et d’un des pays nommés à l’autre. L’idée paraissait évidente à partir de l’exemple de cet été brûlant. A la Commission européenne, on jugea l’idée “intéressante”, puis les étés suivants furent pluvieux (celui de 1977 !) et tout rentra dans l’ordre. Aujourd’hui, 34 ans plus tard, Lellouche ne propose rien de très différent... Dont acte et comme le temps passe.

Cette fois, le propos est bien différent, à l’image de l’urgence des temps. Le feu gigantesque de Russie est déjà ressenti comme une catastrophe qui commence à avoir des dimensions politiques et stratégiques, et psychologiques également. Nul ne sait encore lesquelles, mais le potentiel est là. Parallèlement, il y a les monstrueuses inondations du Pakistan, pays sensible s’il en est, avec un nombre de réfugiés que l’ONU évalue à 12,5 millions. Il y a quatre mois, démarrait le “oil spill” du Golfe du Mexique, qui fut aussi une crise politique et stratégique à divers égards, qui n’est d’ailleurs pas finie dans ses effets, qui s’inscrit dans une longue série de chocs déstabilisateurs intérieurs aux USA. Bien sûr, tout cela est dit, notamment mais d’une façon assez pressante, parce que la Russie et les USA, notamment et essentiellement, ne sont pas n’importe quel pays ; notamment, ils ne sont pas Haïti, où, pourtant le tremblement de terre de janvier 2010 eut aussi des dimensions qui sortent du cadre habituel (jusqu’à ces dernières années) des catastrophes ayant un rapport avec la nature ou avec l’environnement.

Dans tous les cas, quelles que soient les arrière-plans, les détails et les cheminements des catastrophes, la place de la chose naturelle et celle de ce qui ne l’est pas (d’ailleurs difficiles à déterminer à cause des effets cachés de ce qui n’est pas naturel sur ce qui l’est), – aujourd’hui, une “catastrophe naturelle” à partir d’une certaine dimension passe nécessairement (se hausse) à une dimension de crise, où il y a du politique et du psychologique à la fois. (A notre avis, les psychologies sont massivement, et justement, investies par la perspective des “crises eschatologiques”, – environnement, ressources naturelles, etc., – avec leurs dimensions catastrophiques, ce qui participe tout aussi massivement, à cause du système de la communication, à leur transformation en crises souvent à caractère politique.)

De ce point de vue, l’on peut écrire avec une certaine assurance que nous sommes entrés dans une nouvelle époque, où les crises eschatologiques interviennent désormais de façon massive parce que la plupart des catastrophes environnementales sont immédiatement soumises à une appréciation politique et stratégique, avec cet effet psychologique très puissant, par le système de la communication. Quoi qu’il en soit de nos débats sur le sexe des anges, ou sur la responsabilité humaine dans ce qui est ou n’est pas la crise climatique, toujours selon les chapelles, il reste ceci que la crise climatique (la crise de l’environnement, de la pollution aux gaz à effets de serre) est formidablement installée parmi nous. Par conséquent, et quelle que soit la réalité qu’on juge devoir accorder à cette crise, la vérité est que cette crise est perçue dans une dimension catastrophique, avec automatiquement une appréciation impliquant une pression de déstructuration contre notre système, à cause du très fort soupçon de responsabilité à son encontre. C’est un événement considérable, et l’on voit désormais les “catastrophes devenues crises” défiler.

Au reste, nous sommes servis, et le défilé est fourni. Ce qui se passe en Russie est à la dimension de cet immense pays et de l’idée que se font certains des dimensions apocalyptiques de la crise du monde. Et, dans cette affaire, le pouvoir russe joue serré. Il a une responsabilité au moins psychologique, cette psychologie conservée de l’époque communiste qui fut une époque d’économie de puissance et d’économie de force, où l’on n’avait guère l’habitude de prendre des gants avec l’environnement, ni de s’en préoccuper. Cette psychologie a fait encore plus de dégâts lorsque s’y sont ajoutées les pratiques capitalistes massivement introduites en Russie à la fin de l’URSS, qui conduit à la privatisation avec l’inconséquence et l’irresponsabilité qui vont avec. Dans ce domaine, les Russes, qui font justement la leçon aux Occidentaux pour suivre une politique fascinée par le “technologisme” (voir Rogozine, en août 2008), suivent eux-mêmes cette inclination à la politique du machinisme qu’est le système du technologisme.

Pour une fois, il serait dommage qu’une proposition française à l’échelon européen, dans un cadre communautaire, ne soit pas suivie d’effets. L’Europe et la Russie ont un beau champ de coopération, dans ce domaine, – celui de la lutte contre “les catastrophes devenues crises”, – dont nul ne se doute encore avec quelle force et quelle rapidité il va devenir politique, stratégique et fondamental. Il est vrai qu’actuellement, un Robert Cooper préfère préparer une brillante attaque de l’Iran, avec des bombardiers qui largue du plomb et de la poudre sèche, et pas de l’eau. On n’est pas des lavettes…


Mis en ligne le 10 août 2010 à 16H15