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1236La politique russe ne parvient pas à se redresser. Elle n’a plus la rectitude de ce qu’elle était, nettement à partir de 2005-2006 et au moins jusqu’en 2008-2009 (crise de Géorgie, premiers contacts avec BHO). Une analyse de Fedor Loukianov, le 30 juin 2011, peut être consulté avec profit sur cette question. Elle paraît sur RIA Novosti, dans la chronique réservée à cet auyteur, sous le nom bien à propos : “Un monde changeant”…
Loukianov profite du mois de juillet, mois qui est paraît-il «une période de calme dans la politique internationale», pour dresser un bilan de la politique extérieure de la Russie. Loukianov qualifie cette politique par les mots “inertie et louvoiements”. Il choisit dix événements pour caractériser cette politique. Nous en retiendrons trois, en y ajoutant sa conclusion.
«Le vote au Conseil de sécurité des Nations Unies sur la résolution 1973 autorisant l’usage de la force contre Tripoli. Pour la première fois depuis 1990, la Russie ne s’est pas opposée à la décision qui a légitimé l’ingérence extérieure dans les affaires nationales d’un Etat souverain. Bien que par la suite les dirigeants russes aient fait des déclarations contradictoires, il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette démarche. Elle a marqué le changement de modèle basé sur le principe (inviolabilité de la souveraineté) en faveur de l’orientation sur la conjoncture. Cela ajoute à la politique russe une plus grande souplesse, mais diminue son niveau de prévisibilité.
»Ce dernier fait s’est reflété dans l’histoire de l’élection du nouveau directeur général du Fonds monétaire international (FMI) après le scandale lié à Dominique Strauss-Kahn. Pendant une semaine, Moscou a d’abord soutenu le candidat de la CEI (le directeur de la Banque centrale du Kazakhstan Grigori Martchenko), puis a souscrit à la position du BRICS (un Européen ne doit pas diriger le fonds, ce rôle revient aux économies émergentes), et finalement, avec le G8, a salué la candidature de la Française Christine Lagarde. L’envie de s’asseoir sur toutes les chaises à la fois n’a pas contribué au renforcement du BRICS, que le président russe et ses homologues des quatre pays qualifiaient deux semaines auparavant de nouvelle réalité mondiale. […]
»…Enfin, le lancement physique de la centrale nucléaire de Bouchehr en Iran est une lueur dans la palette terne des relations russo-iraniennes. Les positions régionales de Téhéran ne faiblissent pas, au contraire. Et le fait que la politique iranienne de Moscou soit considérée par tous les pays comme dictée et conditionnées par les relations russo-américaines ne contribue pas à rehausser le prestige de la Russie en Asie.
»Dans l’ensemble, la saison 2010-2011 dans la politique étrangère russe n’est pas brillante. Le progrès était principalement un écho des événements antérieurs, et les louvoiements à la limite de l’incohérence étaient appelés à minimiser le danger émanant d'un environnement extérieur turbulent et incompréhensible. Cette approche sera probablement la même la saison prochaine, d’autant plus que celle-ci coïncidera avec l'élection présidentielle, ce qui mobilisera la majeure partie de l’énergie politique du pays.»
La phrase, ou le membre de phrase qui nous retient est celui-ci : «…et les louvoiements à la limite de l’incohérence [de la politique russe] étaient appelés à minimiser le danger émanant d'un environnement extérieur turbulent et incompréhensible.» L’analyse est instructive mais nécessairement tronquée, essentiellement parce qu’elle choisit de prendre le point de vue russe, ou la politique russe, comme si l’un et l’autre pouvaient être détachés du reste. Dans la phrase citée, certes, ce qui compte est bien le constat d’un environnement extérieur turbulent et incompréhensible», – et, dans cette phrase, bien entendu, le mot “incompréhensible” ; il signifie, justement, que la politique et la situation extérieures à la Russie sont “incompréhensibles” par elles-mêmes et nullement par les Russes seulement.
Par conséquent, il est normal que les Russes ne comprennent rien à ce qui se passe dans certains domaines essentiels des relations internationales. C’est certainement le cas de l’Europe, du monde atlantique, et de l’OTAN bien sûr. Beaucoup plus que des craintes à cet égard, les Russes éprouvent effectivement une très grande incompréhension de la politique du bloc américaniste-occidentaliste (BAO). On admettra aisément qu’ils en soient là, s’ils continuent là considérer cette “politique” comme quelque chose d’élaborée par les directions politiques concernées, alors qu’il ne s’agit que d’un situation où tout est conduit par les impulsions du Système, auquel le bloc BAO est complètement soumis. Dans ce cas, le mot “incompréhensible” est à la fois justifié et déplacé, – justifié parce qu’il décrit une réalité qui ne peut être l’objet d’une compréhension logique, déplacé parce qu’il n’y a, littéralement, rien à comprendre. Ce n’est pas un hasard si ce désarroi de la politique russe, sa “désorientation”, s’impose à partir de 2010, parce que c’est effectivement à cette époque que la “politique” a, du côté du bloc américaniste-occidentaliste principalement, changé de substance, notamment avec l’intrusion dans la situation dont dépend la politique de ces phénomènes fondamentaux que sont les crises “eschatologiques” d'une part, le processus d’“eschatologisation” des crises humaines (politiques et autres) d'autre part. Effectivement, les Russes se trouvent devant une situation qu’ils sont incapables d’affronter, et qu’ils ne parviennent pas non plus à expliciter, tout simplement parce qu’elle sort du domaine de la logique politique, géopolitique ou autre, parce qu’il s’agit simplement de la production d’un Système dont on sait qu’il se manifeste à la fois par une surpuissance extrême et par une tendance parallèle à l’autodestruction. Leur position est délicate, parce qu’ils (les Russes) ne font pas vraiment partie du Système, mais qu’ils en dépendent tout de même pour une part substantielle. Leurs efforts d’adaptation sont voués à l’échec et certains de leurs louvoiements deviennent alors comme des adaptations inutiles, des retraites ou des capitulations sans justification. (Les cas de la Libye et de l’Iran, voire de la Syrie, viennent évidemment à l’esprit.)
Dans son analyse, Fedor Loukianov mentionne le CSO et la Chine, dont nous avons parlé hier 4 juillet 2011, d’une manière qui nous semble injuste, qui fait grand cas de la supériorité chinoise. («L’attitude plus que confiante de Pékin lors du sommet anniversaire de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et la négociation toujours en cours des conditions du commerce des vecteurs énergétiques ont clairement souligné qu’il était temps pour Moscou de s’habituer au nouveau ton de la discussion avec la Chine.») Notre perception est différente, parce qu’elle ne s’appuie nullement, – ce serait alors céder à une vision qui s’accorde à la folie du Système, – sur les rapports de puissance. Que la Chine soit puissante est incontestable, mais il ne nous semble nullement qu’elle use de sa puissance comme, par exemple et évidemment, font les USA, – c’est-à-dire d’une manière aveugle, indiscriminée et finalement insensée, à l’image du Système. Au contraire, les échos recueillis du sommet du CSO nous convainquent qu’il y a une volonté générale de mesure et de coopération, d’ailleurs fort logique dans la mesure où la Chine est placée elle aussi devant l’énigme du Système déchaîné, exactement à la manière des Russes (“pas vraiment partie du Système, mais [dépendant] tout de même pour une part substantielle”). Au contraire, pour la Russie, l’OCS et l’Asie vont de plus en plus constituer une sorte d’abri où il est encore possible de comprendre quelque chose aux politiques développées, parce que ces politiques ne sont pas entièrement soumises au Système.
Pour autant, il serait illusoire d’y voir l’esquisse d’un changement ordonné et rassurant, – rassurant parce qu’ordonné, – de la politique russe, et de l’équilibre des puissances, promis à durer. Il s’agit plutôt d’un repli défensif face à la politique nihiliste générée par la folie du Système, en ayant à l’esprit que cette folie est destinée à aller jusqu’à son terme, et qu’elle bouleversera évidemment toutes les situations, toutes les relations internationales.
Mis en ligne le 5 juillet 2011 à 13H38