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83522 février 2010 — Il y a une idée dans l’air aujourd’hui en Europe. Elle se définit par le grand thème “l’OTAN et la Russie” et se résume, pour les plus audacieux, mais de moins en moins “les plus audacieux” à notre sens, par la question: “pourquoi pas la Russie dans l’OTAN?”
Admirons, pour l’exemple, que cette idée revienne à deux reprises, non pas de source russe directe mais de sources russes à propos des agitations otaniennes, à deux reprises en dix jours pour ce que nous en savons, sur les réseaux d’information russes.
• La première fois, le 10 février 2010, sous la plume légèrement sarcastique de Andreï Fediachine, de Novosti ; un article sarcastiquement intitulé: «Faire entrer de force la Russie dans l’OTAN?» Fediachine fait un commentaire sur la venue les 9-11 février à Moscou du “groupe des sages” de l’OTAN, sous la direction de Madeleine Albright, qui travaille à l’élaboration du nouveau “concept stratégique” de l’OTAN (qui devra être disponible pour l’OTAN et dans toutes les documentations des experts appointés, à partir d’avril prochain, selon les plans prévus). La visite fut ponctuée de visites au plus haut niveau (Medvedev, Lavrov, la direction de la Fédération de Russie, la Douma, – tiens, point de mention de Poutine?). Fediachine observe le caractère inhabituel de la démarche: «L’OTAN se demande rarement comment faire correspondre la Russie à sa conception sans offenser Moscou. Or, le “groupe des sages” de l’OTAN, constitué de 12 experts, est arrivé à Moscou en vue d’apprendre de la Russie ce qu’elle pense du bloc aujourd’hui, comment elle se le représente pour demain et quelle alliance elle ne voudrait pas avoir à ses frontières.»
Fediachine détaille les ambitions de l’OTAN, considérables avec ce nouveau “concept stratégique”, et les problèmes que ces ambitions posent à une expansion constructives des difficiles relations de l’OTAN avec la Russie. Puis il conclut, sous forme de plaisanterie, – mais pourquoi rappelle-t-il comme “une plaisanterie” la demande d’adhésion de l’URSS à l’OTAN de mars 1954 qui, contrairement à la légende, fut la chose la plus sérieuse du monde?
«Reconnaissons-le, il existe un merveilleux moyen de sortir l’OTAN et la Russie de la procédure de “réhabilitation infructueuse” actuelle. Il suffit juste que Moscou demande officiellement son admission à l’alliance. Nous réglerions alors d’un seul coup les problèmes de l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie, des bases russes de Sébastopol, des systèmes de défense antimissile en Europe et des “fonctions policières du bloc” dans la lutte contre le terrorisme et la piraterie. Tout sera alors mis en commun. Nikita Khrouchtchev avait plaisanté en ce sens en 1954, il avait failli déposer une demande d’adhésion à l’OTAN. A présent, on parle d’adhésion russe même en Occident. Et si on proposait à Madeleine Albright de faire de même?»
• Pas si vite, camarade… Il est des gens qui ne plaisantent pas, eux. Ainsi en est-il de George Robertson, ancien ministre de la défense britannique et ancien secrétaire général de l’OTAN, depuis Lord George Robertson et toujours dans le business. Comme co-président du think tank anglais Institute for Public Policy Research (IPPR), Lord George a co-signé récemment (voir le 2 juillet 2009) un important rapport sur l’avenir de la politique de sécurité nationale britannique. Et le même Lord George, répondant à une interview du journal russe Kommersant, résumée par Novosti le 19 février 2009, y va franc du collier… Pour lui, l’adhésion de la Russie à l’OTAN est inéluctable et très proche, et dans la nature des choses. (Rappelons que l’idée, décidément, n’est pas étrangère aux Britanniques : voyez au 3 octobre 2009.)
«La Russie se rapproche de plus en plus de l'adhésion à l'Otan, de sorte qu'aujourd'hui une telle perspective est même plus réelle qu'il y a dix ans, a déclaré George Robertson, ancien secrétaire général de l'Alliance, dans une interview que le quotidien russe Kommersant a publiée jeudi. “A l'étape actuelle, la Russie et l'Otan sont des alliés et dans un avenir très proche, la Russie adhérera inévitablement à l'Alliance si celle-ci ne cesse de s'élargir”, a estimé M. Robertson. […]
»Selon M.Robertson, l'Otan ne sera plus une alliance militaire, mais se transformera plutôt en groupement politique, en organisation de sécurité d'un type nouveau, et la Russie sera alors inévitablement impliquée dans ces processus communs à toute l'Europe.»
@PAYANT Notons qu’il y a deux volets dans toutes ces belles nouvelles. L’un concerne l’OTAN et la Russie d’une façon générale, l’autre l’OTAN, la Russie, l’Europe et la politique britannique. Voyons le premier des deux.
…Il est vrai que cette visite des “sages” de l’OTAN à Moscou est tout à fait inhabituelle. C’est un tribut rendu par l’OTAN à l’importance actuelle de la Russie; cela correspond à l’orientation de la “politique otanienne” en tant que telle adoptée depuis l’arrivée du nouveau secrétaire générale Rasmussen, qui a fixé comme la voie fondamentale de son mandat un rapprochement décisif avec la Russie. (L’autre priorité de Rasmussen, l’Afghanistan, ne contredit nullement la première, puisque l’OTAN plaide fortement, avec l’approbation souriante mais un peu sarcastique de Dimitri Rogozine, ambassadeur de la Russie auprès de l’OTAN, pour une coopération très active de la Russie avec l'OTAN dans ce conflit.)
Au reste, l’article de Fediachine nous donne nombre d’indications sur les ambitions considérables du nouveau “concept stratégique” de l’OTAN, qui promet à l’OTAN de devenir quelque chose d’à la fois insurpassable et indispensable, – une sorte de marche vers un statut du type “too big to fall”, vous voyez… Ce qui, dans la situation actuelle, représente une tentative de “tout ou rien”, car si l’OTAN n’arrive pas à devenir indestructible par ce biais de la modification fondamentale de son statut, elle périra très vite de sa triste mort, dans les à-pics des montagnes afghanes autant que sur les champs promis aux futures bases anti-missiles qui ne cessent de disparaître et de reparaître dans les pays de l’Est à nouveau enivrés dans leurs vieilles habitudes des temps soviétiques, accordées aux sinuosités capricieuses de la politique US. Mais pour atteindre ce but mirifique de reconstruction institutionnelle, l’OTAN ne peut se passer de l’accord, voire du soutien de la Russie, – parce que, comme aurait dit le Général, la Russie est la Russie et n’est pas, par exemple, ni la Géorgie, ni l’un ou l’autre des pays baltes.
Cela est d’autant plus vrai que la Russie a des plans pour un nouvel arrangement de sécurité paneuropéen qui, dans la logique du nouveau “concept stratégique”, se révèle comme une terrible concurrence pour l’OTAN… Ou disons plutôt ceci: le nouveau “concept stratégique” de l’OTAN pour prévenir le plan Medvedev, dont l’OTAN craint bien qu’il pourrait la tuer, malgré le désintérêt où ce plan se trouve aujourd’hui, y compris de la part de la Russie elle-même… Mais l’OTAN, en survie artificielle depuis vingt ans, a peur de tout, de son ombre autant que de celle de la Russie. D’autre part et par conséquent, puisqu’on ne peut se passer de la Russie, il faut alors séduire la Russie, – et comment faire si l’on suit une démarche qui, pour réussir, contrarie ce qui est encore perçue comme l’une des ambitions majeures de la Russie (le plan Medvedev)? Poursuivons l’inventaire jusqu’au grandiose final, qui donne la solution-miracle: pourquoi pas une Russie dans l’OTAN?
Par conséquent, la plaisanterie terminale de Fediachine ne l’est plus tellement, ce que semble confirmer neuf jours plus tard Lord George. Disons qu’elle est plutôt une façon de dire à l’OTAN, pour prendre date: “Si vous avez cette idée derrière la tête, il faudra passer à la caisse et proposer à la Russie un marché où elle s’y retrouvera diablement.” Bref, on n’intègre pas la Russie dans l’OTAN comme on le fait d’une vulgaire Lettonie, ou comme le fait une France sarkozyste réintégrant la “famille atlantique”, en n’ayant toujours pas très bien expliqué, ni encore moins compris pourquoi cela fut fait.
Le décor est planté, il reste à explorer d’autres territoires. Car nous n’avons pas été sans remarquer que cette idée de l’intégration de la Russie dans l’OTAN est largement propagée de sources britanniques également. C’est le cas de Lord George Robertson, comme c’était le cas, il y a peu, d’un article du Times dont nous nous faisions l’écho le 3 octobre 2009. Déjà, à cette époque, nous nous nous attachions à une hypothèse dont nous ne voyons pas en quoi l’intervention de Robertson la contredit, bien au contraire.
Dans les deux cas, ce sont des Britanniques qui évoquent la possibilité, sinon la probabilité inéluctable (pour Robertson) de l’entrée dans l’OTAN. Dans les deux cas, ces interventions suivent précisément une avancée des relations franco-russes dans l’affaire de la vente du Mistral. (Pour le premier cas cité, la référence était explicite; pour cette fois, avec l’intervention de Robertson, voir notre F&C du 9 février 2010.)
Notre hypothèse est donc la suivante. Les Britanniques, qui sont fines mouches, ont compris que le jeu en Europe ne peut désormais se faire sans la Russie. Ils savent également que la puissance qui compte en Europe occidentale, c’est la France, parce qu’elle a la puissance militaire et l’autonomie dans ce domaine. (Tout le monde remarque les appels du pied des Britanniques aux Français dans ce domaine, et certains accords significatifs de coopération signés ou en cours d’élaboration.) Pour eux, les Britanniques, la situation idéale est une coopération avec la France d’une part, une situation européenne qui ne favorise surtout pas trop un rapprochement bilatéral privilégié franco-russe d'autre part. A l’inverse, la pire des situations, c’est la formation de facto d’un axe franco-russe, essentiellement dans le domaine de la sécurité, tandis qu’ils resteraient eux-mêmes dans la nécessité de coopérer avec les Français. La France en Europe occidentale, la France et la Russie en Europe, seraient les maîtres de la situation de la sécurité européenne.
Les Britanniques suivent l’affaire du Mistral avec une certaine anxiété parce qu’ils devinent qu’il y a derrière cette affaire une forte potentialité de coopération franco-russe. Ils ont noté que les Russes veulent remettre ça et s’intéressent à l’achat de véhicules terrestres de surveillance et de contrôle urbain français (le VBL de Panhard), ce qui tendrait à institutionnaliser une coopération stratégique France-Russie dans le domaine des armements. Quelle est la seule façon pour eux de tenter d’interférer dans un axe franco-russe, sinon en lançant à tout va la suggestion de l’entrée de la Russie dans l’OTAN; la Russie dans l’OTAN, c’est la puissance russe délayée dans un vaste ensemble, c’est le continent européen qui reste, dans le domaine de la sécurité, à la fois rassemblé sans cohésion effective, et divisé en réalité, dans une Organisation dont on connaît les tendances; le continent européen divisé, sans axe central de sécurité (sinon l’axe franco-britannique), c’est la situation rêvée pour le Royaume-Uni, un des vieux hochets de la diplomatie britannique qui nous a valu quelques fameuses catastrophes. L’axe franco-russe, c’est la catastrophe pour la diplomatie européenne du Royaume-Uni.
On remarquera, dans cette hypothèse, l’absence remarquable des USA. Cette idée commence à faire son chemin et à s’imposer chez les Britanniques, – l’idée d’une puissance US trop diminuée désormais pour pouvoir imposer sa conception de la sécurité européenne. Pour le reste, aucun étonnement à avoir avec une telle hypothèse, tant elle renvoie à une constance évidente selon laquelle l’Angleterre continue à penser l’Europe en nation elle-même, et comme la résultante des équilibres entre les nations du continent.
Il n’est pas encore tout à fait assuré que les Français aient remarqué dans quelle position de force potentielle ils se trouvent, en Europe, du point de vue de la question de la sécurité. Il faudrait le leur signaler.
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