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1685«Le symbole devient action...», écrivions-nous le 9 mai 2015 pour commenter cette journée intensément russe de la commémoration du 70ème anniversaire de l’armistice du 9 mai 1945. Quand nous mettions ce texte en ligne, nous n’avions pas recueilli le moindre des échos de ce même 9 mai 2015, notre but étant d’en faire une évaluation théorique à partir des évènements qui avaient précédé, de l’ampleur à la fois polémique et patriotique qu’avait pris l’événement, etc. Il nous apparaît désormais qu’une autre dimension s’est imposée, dont nous signalions un aspect dans notre texte du 11 mai 2015 sur «Le signe de croix et la guerre de la communication».
Selon cette ligne de réflexion, nous avons jugé très intéressant le texte d’Alexandre Latsa, du 13 mai 2015 sur Sputnik-français, – que l’on trouvera à la suite de ces remarques. Nos lecteurs connaissent Latsa, auquel nous nous sommes plusieurs fois référé sur ce site. Ils savent qu’il s’agit d’un commentateur mesuré, rationnel, qui ne cède que rarement, sinon pas du tout, à l’enthousiasme ou à l’exaltation, – même dans le bon sens de ces mots, — simplement parce que cela n’est pas la forme de son travail. Cela nous semble être pourtant le cas, cette fois, et d’une façon, pour une cause, que nous jugeons complètement justifiées ; cela signifiant que l’enthousiasme, voire l’exaltation perceptibles dans l’un ou l’autre mot, l’une ou l’autre phrase, ne signifient nullement emportement ou aveuglement mais simplement un tribut naturel du jugement rendu à un événement qui mérite effectivement de telles réactions et qui les suscite sans aucun doute. Nous voulons parler ici de la première partie de son texte, qui porte sur les grandes démonstrations populaires dites du “bataillon immortel”, où la foule des Russes fut appelée par les autorités à défiler dans les rues de leurs villes et de leurs villages, le 9 mai, avec comme marque de leur engagement patriotique pour saluer les hommes et les femmes qui moururent dans le grand conflit, pour chaque manifestant, une photo installée comme une pancarte d’un proche qui participa à la Grande Guerre Patriotique et y mourut ... Car chaque famille russe, bien entendu, fut touchée de près ou de loin par cette terrible catastrophe, comme le fut selon un ordre de grandeur relatif qui peut se comparer et une issue similaire (victoire dans les deux cas, donc sacrifices justifiés par la sanction de l’histoire des hommes), la population française par la Grande Guerre. Le succès de ce mouvement fut colossal, entre des centaines de milliers de personnes à Moscou, – avec Poutine et la photo de son père en tête du cortège, – et avec 12-13 millions de personnes pour tout le pays. On nous permettra la remarque sans doute jugée sacrilège par certains, ou bien déplacée, que l’évènement avait plus d’ampleur, de grandeur, de hauteur tragique, de force de témoignage de la souffrance humaine, que le JeSuisCharlie du 11 janvier. Mais non, rien de sacrilège ni de déplacé là-dedans car il faut tout de même, au bout du compte, ne pas craindre de donner une juste mesure des choses et de mettre chaque chose à la place qui est la sienne.
Ce qui est remarquable dans le texte de Latsa, et encore une fois inhabituel chez ce commentateur politique mesuré, c’est la façon dont il restitue la dimension symbolique, exaltante et tragique de ce grand mouvement collectif dans lequel chacun eut loisir de manifester le souvenir de sa peine et de sa souffrance. Il s’agissait d’une manifestation à la fois symbolique et solidairement humaine, c’est-à-dire touchant à la métahistoire, d’un immense destin tragique. C’est à cette aune qu’on mesure le terrifiant naufrage de l’âme occidentale, l’abîme spirituel où se précipite notre civilisation, – notamment, pour ce cas, en ignorant avec mépris, grossièreté, impolitesse et inhumanité, la commémoration russe de leur Grande Guerre.
Au-delà, on ne peut, au spectacle et à l’écho de ces évènements, que voir renforcée la conviction que dans le grand ébranlement que nous connaissons, la Russie tient un rôle extrêmement particulier, en tenant et en grandissant cette dimension spirituelle qu’on ne cesse d’identifier toujours plus précisément. Nous n’avons aucun moyen de mesurer précisément la chose, – bien entendu, parce que cette idée même d’une mesure quasiment statistique pour un tel cas est stupide est déplacée, –mais notre sensation est que, dans ces deux-trois dernières années, la Russie s’est élancée dans une vois à la fois spirituelle et patriotique d’une extraordinaire intensité. Sa situation géopolitique et l’intensité énorme de la “guerre de communication” à laquelle se ramènent essentiellement les hostilités auxquelles elle fait face forment un cimier extrêmement fécond sur lequel se développerait un sentiment assez proche de celui qui exista durant le conflit dont le terme était célébré samedi dernier, comme si les Russes, en brandissant chacun une photo d’un proche qui y fut tué, ressuscitait l’esprit de la Grande Guerre Patriotique.
Il ne s’agit certes pas d’un constat affectif, qui conduirait alors à sacrifier en partie à l’affectivisme que nous dénonçons, ni même d’un penchant d’une russophilie qui n’a pas sa raison d’être dans cette réflexion. Il s’agit d’un constat objectif sur l’état de la Crise Générale en cours d’accélération constante, avec le sort concomitant du Système. Chaque pays, chaque ensemble, chaque entité, etc., y a un rôle à jouer, et ce que nous décrivons ici semble bien être celui qui est dévolu à la Russie. Le fait est qu’elle est taillée, historiquement, psychologiquement et spirituellement, pour le tenir, et par conséquent elle participe ainsi à la mise en place des éléments de plus en plus constitutifs de cette même Crise Générale.
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Le 9 mai n’est jamais une journée comme les autres en Russie, mais ceux qui ont pu vivre la journée du 9 mai 2015 dans les rues de Moscou ne l’oublieront sans doute jamais.
Pour les 70 ans de la victoire de la Russie soviétique sur l'Allemagne nazie, la journée avait été placée sous le symbole du «bataillon immortel» et les Russes étaient notamment conviés, après la fin du défilé militaire, à marcher en tenant les portraits de leurs aïeux tombés lors de la grande guerre patriotique, afin d'honorer leur mémoire dans ce lieu symbolique au moins le temps d'une journée.
Il fallait être à Moscou pour ressentir cette atmosphère absolument incroyable de fierté et de patriotisme mais aussi et surtout d'unité nationale puisque dans tout le pays, ce sont 12 millions de Russes qui ont participé aux cérémonies. 500.000 personnes ont rejoint les rues de la capitale, des moscovites de tous âges, certains en tenue militaire, arborant le ruban de Saint Georges orange et noir.
Il fallait définitivement être à Moscou pour voir ces quelques 150.000 Russes qui défilaient portraient de leurs ancêtres a la main, dont de nombreux enfants et femmes et les entendre crier « Hourra! » a pleins poumons en traversant le centre de la capitale.
Seule la Russie de Vladimir Poutine est sans doute capable au sein du monde européen de produire cette extraordinaire communion patriotique et populaire dans une totale sérénité. Alors que certains commentateurs disaient le président russe isolé, il était en tête du cortège et il portait une photo de son père.
Mais surtout, les spécialistes de la Russie et autres kremlinologues professionnels, au-delà du Poutine bashing, semblent être incapables d'interpréter le grand bouleversement historique qui est en train de se produire.
Alors que l'Europe et l'Amérique ont brillé par leur absence inexcusable c'est au final « seulement » 20 chefs d'états qui étaient présents parmi lesquels par exemple les chefs d'Etat chinois, indien, sud-africain, serbe, vénézuélien, vietnamien ou égyptien ainsi que le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon ou encore le président du Kazakhstan et initiateur de l'Union eurasiatique: Noursoultan Nazarbaïev.
Ceux qui étaient là ont pu assister au plus grand défilé de l'histoire de la Russie: rassemblant 16.000 soldats russes et 1.300 militaires étrangers, défilé clôturé par une incroyable parade aérienne.
Une preuve de plus que les élites russes entendent bien préserver et continuer à rendre vivante l'incroyable expérience historique et militaire qu'a été la résistance russo-soviétique durant la grande guerre patriotique.
Pendant ce temps, l'Union européenne fêtait la journée d'une Europe de plus en plus remise en cause par les peuples de Londres à Athènes, la nouvelle Europe pro-américaine avait organisé sa propre commémoration du 8/9 mai sous patronage polonais, et le président français, lui, était parti en Guadeloupe pour inaugurer un grand mémorial sur l'esclavage. On a les dirigeants que l'on mérite.
Les nombreux gros plans des télévisions du monde entier sur un Vladimir Poutine entouré des présidents Kazakh et Chinois sont extrêmement lourds de sens et il y a toutes les raisons de penser que va s'accentuer dans un avenir proche l'intégration entre la Russie et l'Asie, une intégration organisée autour d'un binôme Moscou-Pékin puisque lors de sa visite le président chinois a confirmé qu'il était déterminé à investir lourdement en Russie.
Cette nouvelle trajectoire historique est diamétralement opposée à celle qui se dessinait au début de la décennie lorsque la Russie semblait ouvrir une fenêtre sur l‘Occident puis sur l'Europe. Pour Dimitri Trenin du centre Carnegie le concept de grande Europe de Lisbonne à Vladivostok a fait place, dans les projets des élites russes, à un projet de grande Asie de Saint Petersbourg à Shanghai.
Alors que la fin de la guerre symbolise l'unité et la paix retrouvée en Europe, le 9 mai 2015 aura permis à tous de comprendre qu'une dynamique différente s'était mise en place et que la passion avait disparue des relations entre la Russie et les Etats européens pour faire face au mieux à un froid pragmatisme.
Mais tandis que personne ne peut clairement établir la direction que prennent les nations européennes au sein d'une Union Européenne a la dérive, les élites eurasiatiques sont, elles, visiblement très décidées à accentuer et accélérer le partenariat asiatico-pacifique.
Pour Moscou l'axe Paris-Berlin-Moscou semble devoir faire place à un axe Moscou-Astana-Pékin.
Avec ou sans l'Europe.
Alexandre Latsa
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