La Russie, les anti-missiles et l’OTAN

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En voyage au Danemark, le président russe Medvedev a déclaré que la Russie était intéressée par les propositions de l’OTAN de participer au développement d’un réseau anti-missiles conjoint. Cette déclaration, qui prend un caractère solennel et explicite, vient après de nombreuses déclarations du secrétaire général de l’OTAN, offrant cette coopération. Cette proposition a été formellement renouvelée lors de la rencontre des ministres des affaires étrangères de l’OTAN, en Estonie, la semaine dernière. Le secrétaire général Rasmussen a insisté sur l’importance de la coopération sur la question des missiles antimissiles entre l’Europe et la Russie, «pour protéger les populations russes et européennes contre une menace réelle de missiles».

D’après RIA Novosti du 27 avril 2010.

Russian President Dmitry Medvedev said Moscow is interested in cooperation with NATO on issues of anti-missile defense in Europe. […] Medvedev said in an interview with the Danish Broadcasting Corporation (DR) that Moscow has long “said that the system of global missile defense must protect not only a definite country or a group of countries, but function in the interests of all responsible participants of the international society.” […]

»Medvedev said Russia would agree to the proposal form the NATO chief. He said Russia stands against the formation of air defense systems because they eventually “damage the current balanced system between the main nuclear powers. Either we are together or we [Russia] have to react somehow,” he said. […]

»On the whole, Medvedev said Russia wants to occupy a deserving place in the world. “Russia simply wants good relations with other countries – both large and small ones. We believe that our country is an organic part of the modern world and want to develop along with the rest of the world,” he said. The Russian president added that ”the face of modern Russia is a smiling face... But other countries must smile back at us.”

Notre commentaire

@PAYANT Les Russes ont compris que le développement du réseau anti-missiles en Europe répond à une logique anthropotechnique (ou dépendant du technologisme, donc une logique “technologiste” si l’on veut). Ils estiment donc que la dynamique de son développement ne peut être arrêtée, tout en observant, sinon en espérant secrètement, – avec bien des arguments, – que les processus même du technologisme, avec les interférences de la bureaucratie du technologisme, rendra ce processus extrêmement long et complexe, peut-être même inopérant.

A cette lumière, il importe de considérer que leur évolution, qui est de se rapprocher peut-être décisivement de l’OTAN par ce biais des anti-missiles, est d’abord politique. Il s’agit, pour les Russes, de rechercher une nouvelle place dans l’architecture actuelle de la sécurité européenne, sans pour cela abandonner les plans des propositions Medvedev pour une nouvelle architecture de la sécurité, qui pourraient être réactivés et qui, de toutes les façons, seront l’objet d’une conférence de l’OSCE à l’été prochain. Effectivement, cette “nouvelle place” que recherchent les Russes est plus d’essence politique que d’essence stratégique. En ce sens, ils recherchent un rôle nouveau en Europe et acceptent de passer par un rapprochement avec l’OTAN qui, aujourd’hui, a une tout autre dimension, sinon un sens contraire, que ceux qu’ils pouvaient avoir à l’automne dernier, quand des sources anglo-saxonnes suggéraient la possibilité que la Russie entre dans l’OTAN. Entretemps, la situation a beaucoup changé pour la Russie, dans un sens favorable, dans ses relations avec ses proches voisins (notamment la Pologne, l’Ukraine, la Slovaquie, voire la Norvège avec la visite récente de Medvedev dans ce pays).

Sur cette question de l’hypothèse de “la Russie dans l’OTAN” ou du rapprochement décisif de la Russie dans l’OTAN, nous citerons un extrait de notre numéro de dde.crisis du 25 avril 2010, dont la rubrique de defensa est consacrée à la “réconciliation entre la Pologne et la Russie.

«D’un autre côté, l’étonnante hypothèse de “la Russie dans l’OTAN”, dans la logique de l’autre hypothèse de la réconciliation entre la Russie et la Pologne, acquiert un sel inattendu. Cela vaut d’autant plus, dans le climat actuel où l’indifférence US (celle de Barak Obama, notamment) vis-à-vis de l’Europe, donc d’une certaine façon vis-à-vis de l’OTAN, ne cesse de prendre du poids. […]

»Il y a là une convergence intéressante des sentiments, des attentions, des prévoyances, et l’absence de tout cela chez l’autre acteur majeur mais fort absent de la partie (les USA), qui pourraient constituer un cadre inédit et intéressant pour l’évolution de l’idée d’une adhésion de la Russie à l’OTAN. (Nous ne parlons pas nécessairement d’une adhésion effective, mais d’une dynamique diplomatique allant dans ce sens. C’est alors qu’effectivement les uns et les autres se dévoileraient par rapport à l’évolution qu’impliquerait une telle dynamique dans le rangement stratégique européen, à l’heure où domine le système de la communication, à l’heure où la perception supplante d’une façon extraordinairement puissante la réalité des faits.)

»On assiste alors à un retournement complet de l’hypothèse “Russie dans l’OTAN”. Envisagée l’automne dernier comme une manœuvre à dominante anglo-saxonne, ou atlantiste, faite pour phagocyter dans l’OTAN une Russie qu’on craint de voir faire cavalier seul avec les Français (et les Allemands), l’idée se retourne complètement. L’axe atlantiste (anglo-saxon) se trouve dans les difficultés (le Royaume-Uni) et l’indifférence (Obama et les USA) où on le voit. Au contraire, cette idée portée par une réconciliation russo-polonaise, qui trouverait naturellement son prolongement dans un intérêt naturel de la France et de l’Allemagne, deux pays qui veulent des liens forts à la fois avec la Pologne et la Russie, et qui se trouveraient devant l’opportunité de nouer ces liens forts avec les deux à la fois. Dans ce cas, la dynamique “Russie vers l’adhésion à l’OTAN” deviendrait d’abord une logique d’un axe central européen comme on n’en a jamais connu auparavant, – un axe “de l’Atlantique à l’Oural” et au-delà s’exprimant par une continuité territoriale sans précédent, concrétisant la fin des plus sanglants antagonismes de l’histoire européenne. Devant une telle logique, l’OTAN elle-même tremblerait sur ses bases et envisagerait d’“aller à Canossa” (de s’européaniser”) pour sauver son existence.»

Cette analyse décrit ce que nous jugeons être la logique de la Russie vis-à-vis de l’OTAN, s’exprimant par l’intérêt officiel pour une coopération sur les anti-missiles. Cette coopération concerne clairement l’OTAN, nullement les USA, malgré les propositions officielles récentes des USA de coopération avec la Russie dans le domaine des anti-missiles. La Russie, informée par Rogozine sur ce point, juge qu’il y a une partie à jouer avec Rasmusen, le secrétaire général de l’OTAN, qui a une diplomatie personnelle qui n’est nullement la duplication de celle des USA. Les Russes savent aussi que le projet des anti-missiles est loin de faire l’unanimité dans les rangs de l’OTAN et elle a toutes les chances de voir, face à elle, une OTAN fractionnée qui lui permettra de s’intégrer d’autant plus dans le jeu otanien (sans qu’il soit question nécessairement d’adhésion) avec le poids qu’elle représente. Le coup vaut d’être tenté, estiment les Russes. Les anti-missiles représentent alors pour elle un moyen de pénétrer dans le système de sécurité otanien, dans l’espoir de l’“europénniser” et d’y jouer un rôle prépondérant. Les anti-missiles ont , dans ce cas, un rôle d’outil, nullement un rôle fondamental.


Mis en ligne le 27 avril 2010 à 06H33