La sécheresse, eschatologisation de la crise US

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La sécheresse, eschatologisation de la crise US

Une fois de plus, les chiffres de l’économie US donnés par le département du commerce indiquent la poursuite de la dégradation de la situation. Aujourd’hui, le site WSWS.org précise et met en situation ces nouvelles données (ce 28 juillet 2012), qui indiquent une paralysie complète des consommateurs autant que des investisseurs, les deux “acteurs-miracles” du capitalisme.

«US gross domestic product grew by 1.5 percent from April to June, down from 2 percent during the first three months of the year (revised up slightly from the previously reported 1.9 percent) and less than half the 4.1 percent rate of growth in the fourth quarter of 2011. Consumer spending was the main contributor to the slowdown, rising 1.5 percent in the second quarter, compared to 2.4 percent in the previous three-month period… […] The US economy is in a downward spiral, as long-term unemployment and fears of job loss curb consumer spending, and small businesses with weak sales and few customers cannot hire. Government spending is a net drag on the economy, actually declining over the past two years, while corporations are sitting on a cash hoard of more than $2 trillion, refusing to invest or hire new workers…»

Les prévisions pour les mois à venir sont terriblement pessimistes, sans qu’il soit nécessaire de forcer la note. Un site comme The Economic Collapse, qui a fait son fond de commerce d’une appréciation catastrophique de la situation, – mais le qualificatif “catastrophique” tend de plus en plus à être la normalité des choses, – publie le 26 juillet 2012 un texte où il détaille les facteurs fondamentaux (il en dénombre 17) qui rendent, selon lui, inéluctable la rechute de l’économie US dans une nouvelle Grande Récession (dont on peut dire finalelment qu’elle ne l’a jamais vraiment quittée depuis 2007-2008) : «If you were hoping for a recession in 2012, then you are going to be very happy with the numbers you are about to see. The U.S. economy is heading downhill just in time for the 2012 election. Retail sales have fallen for three months in a row for the first time since 2008, manufacturing activity is dropping like a rock, sales of new homes are declining again, consumer confidence has moved significantly lower and a depressingly small percentage of businesses anticipate hiring more workers in the coming months…»

Ce paysage américaniste, qu’on a l’habitude d’oublier au profit (?) des avatars européens, s’inscrit dans un paysage général également “catastrophique”. «The global economy is in the worst shape since the dark days of 2009», observe Associated Press le 22 juillet 2012. Cette analyse, encombrée de divers chiffres et statistiques venus de toutes les régions du monde, est ponctuée, en conclusion, d’une observation de la philosophe Christine Lagarde, ci-devante directrice du FMI, qui nous vante les vertus de la globalisatioon sous cette forme  : «In today's interconnected world, we can no longer afford to look only at what goes on within our national borders. This crisis does not recognize borders. This crisis is knocking at all our doors.»

Mais la crise économique, malgré sa gravité “catastrophique”, ne tient plus le rôle central de la pièce, sur le devant de la scène. Elle est devenue l’arrière-plan, quasiment la structure même de la tragédie. D’autres facteurs, ou d’autres crises si l’on veut, s’empilent pour occuper l’avant-scène et rendre un son encore plus tragique dans le drame catastrophique qu’est devenu ce temps historique, qui n’est rien d’autre que l’habillage de la chute du Système et de notre contre-civilisation… A tout seigneur, tout honneur : aujourd’hui, les USA, le cœur furieux du Système, se trouvent écrasés par une autre crise, qui aggrave évidemment la crise économique, la rend encore plus cruelle au coeur même du pays tout en introduisant un nouvel élément d’expansion dans la crise mondiale en préparant une crise de l’alimentation. Il s’agit de la formidable sécheresse qui frappe le cœur du pays, et qui, désormais d’une façon admise par tous, est la pire depuis l’horrible Dust Bowl des années 1930 de la Grande Dépression (voir notre texte du 16 juillet 2012). Le même site WSWS.org publie un texte sur cette catastrophe (ce 28 juillet 2012) où l’allusion au Dust Bowl est désormais directe (alors que la référence était jusqu’ici 1988 ou la sécheresse des années 1950) : «Every state in the country had some counties under abnormally dry or drought conditions, making the disaster the most widespread US drought since the Dust Bowl of the 1930s. The US Department of Agriculture (USDA) has declared 1,369 counties across 31 states disaster areas—officially the largest US disaster on record…»

Les conséquences nationales et mondiales de cette crise sont évidemment analysées par WSWS.org. Conséquences pour le coût de la vie aux USA, pour la survie du monde agricole de ce pays, pour la capacité même de fonction de l’un des “greniers à blé” du monde que tiennent les grandes plaines du Middle West des USA, pour la circulation et la disposition de ce produit essentiel à la subsistance alors que l’un des autres grands exportateurs, la Russie, annonce également une baisse de ses exportations. Mais, d’une façon beaucoup plus caractéristique, on assiste aux USA à une “eschatologisation” de cette crise de la production et de l’exportation de céréales, par l’introduction du facteur climatique, – et, par conséquent, à une eschatologisation de la crise économique et générale. Actuellement, la ligne générale des commentaires est que l’on observe, avec cette année 2012, suivant des années également caractérisées par la sécheresse, la mise en place d’un nouveau schéma climatique. Il ne fait aucun doute pour ces commentaires que le lien avec la crise climatique est avéré.

«…The extreme weather corresponds to projections issued by climatologists over the past three decades, indicating the worsening impact of global warming. “This year is very emblematic of the type of thing we worry about with climate change,” David Lobell of global warming monitor Climate Central told ABC News. “The new normal for agriculture is going to be frequent episodes of very high temperatures. Temperatures at which pretty much any crop does not do very well.”»

Nous observerons une fois de plus, à partir de ce point, l’inutilité du débat sur la “responsabilité humaine”, sur le point précis du “global warming”, si “global warming” il y a. Pour nous, ce qui compte, c’est le phénomène d’eschatologisation, qui fait entrer l’évolution des éléments naturels dans le sens d’une aggravation de la crise, qui s’intègre dans la crise générale du Système et donc dans la crise qui nous frappe tous, particulièrement dans nos psychologies. Quelles que soient les modalités du processus de la crise climatique, ou “global warming” pour qui veut réduire le phénomène, ces modalités qui nous sont en vérité aussi indifférentes que la querelle sur le sexe des anges, – vertu une fois de plus proclamée de l’inconnaissance, – ce qu’il nous importe de constater est le profond antagonisme entre l’évolution des conditions naturelles, et donc climatiques, du monde, et les exigences du Système. Il y a là une ligne de divergence incroyablement agressive qui conduit avec une rapidité stupéfiante à l’affrontement et à l’explosion.

Si le Système a prétendu, depuis au moins deux siècles (depuis au moins ce que nous nommons le “déchaînement de la Matière”), réduire les conditions du fonctionnement et de la substance du monde à ses propres conditions, il nous semble, à nous, que le monde ne supporte désormais plus, ni le Système, ni ses prétentions insensées, nihilistes et “créatrices” (!) d’une entropisation générale. On voit à quel niveau nous sommes conduits à situer le débat sur la responsabilité humaine dans l’évolution de la crise climatique... Que le sapiens se rassure, il n’a certainement ni l’étoffe, ni les reins assez solides, pour, à lui seul, prétendre détraquer le fonctionnement de l’horlogerie du monde. Pour cela, il faut au moins le “déchaînement de la Matière”, –ce qui fut le cas et dont nous recueillons les fruits. Ils sont un peu secs, les fruits, et terriblement amers, il faut bien l’avouer.


Mis en ligne le 28 juillet 2012 à 11H47