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138922 juin 2009 — Le désordre secoue l’Iran, certes, mais qui est à l’abri de tels avatars en vérité? Cette observation qui va de soi nous conduit à lire William S. Lind, dans sa chronique “On War” qui pourrait s’appeler “à propos de le G4G”, et qui a comme titre, ce 17 juin 2009: « Calling President Davis», – du nom, surprise, de Jefferson Davis, président des CSA (Confederate States of America), de 1861 à 1865. Le sujet en est en effet “la sécession” et implique effectivement la chose qui pourrait être regardée comme le cœur et le moteur véritables du désorde qui secoue le monde: les USA ou, plutôt, le système de l’américanisme.
L’on comprendra que nous ne laissons pas passer une telle occasion, de lire un brillant causeur comme Lind nous parler de “la sécession qui est dans l’air du temps”. Nous travaillons après tout à la lumière de notre conviction de l'importance fondamentale de l'hypothèse de l'éclatement des USA, exprimée encore récemment dans notre F&C du 18 juin 2009. Ce texte se termine sur ce paragraphe, après avoir déroulé une logique jusqu’à son terme sinistre…
«…Mais il faut plus, beaucoup plus, une libération psychologique qui soit une explosion psychologique et déchaîne les esprits emprisonnés par le totalitarisme du conformisme du système. D’un point de vue concret, nous ne voyons qu’une seule possibilité, sur laquelle nous insistons de plus en plus: la fin du mythe qui est la chaîne fondamentale de l’emprisonnement de notre esprit, – qui serait le fracassement, la destruction brutale de l’“American Dream”, l’illusion magique et universelle qui nous enchaîne tous, Américains en premier. C’est la nécessité que les Américains soient les premiers à détruire l’américanisme qui soumet le monde à son emprise psychologique totalitaire par le biais de cette illusion magique et diabolique. Physiquement, ils ne peuvent le faire qu’en brisant, en cassant, en pulvérisant le cadre national des Etats-Unis. Cet acte physique, en libérant la psychologie, est la seule voie qui puisse laisser espérer une évolution de notre spiritualité actuellement perdue dans un désert sans fin, glacé et brûlant à la fois.»
Ce qui est intéressant dans le texte de Lind, au fond, c’est qu’il ne parle de rien du tout précisément, qu’il ne s’attache pas à un fait fondamental et cite quelques faits qu’on pourrait juger anecdotiques et rien que cela, et qui ne sont pas seulement anecdotiques; qu’il nous dit effectivement, de cette façon finalement convaincante, que “la sécession est dans l’air du temps”…
«Secession is in the air. In Texas, a Republican governor has dared breathe the word. Vermont has an active and growing secessionist movement. Oregon, Washington and British Columbia already call themselves Cascadia. Last weekend’s Wall Street Journal led off with a piece on secession. The author, Paul Starobin, wrote that:
»“The present-day American Goliath may turn out to be a freak of a waning age of politics and economics as conducted on a super-sized scale – too large to make any rational sense…”»
Lind confirme effectivement que cette idée tabou de la sécession est bien “dans l’air du temps” parce que ne s’exerce plus contre elle la terrible censure du système, celle qui ne dit pas son nom et vous envoie, simplement par un “non” poli quand vous présentez un manuscrit d’article ou de bouquin sur le sujet incriminé, dans les ténèbres extérieurs. Cas de William S. Lind, nom tout de même réputé et qui rapporte ses aventures d’auteur non publié, – enfin publié, dix ans après.
«My most recent book, The Next Conservatism, talks at some length about these matters [of the sécession]. In the mid-1990s, I wrote a novel, Victoria, about an American Fourth Generation civil war and its aftermath. It never found a publisher, perhaps because the idea seemed so outlandish, more likely because it is a face shot at Political Correctness. Political Correctness, which is really the cultural Marxism of the Frankfurt School, has lost none of its ability to intimidate publishers. But the idea of an American break-up is no longer off the charts…»
Lind identifie aussitôt l’une des causes de cette tendance (“l’idée d’une dislocation de l’Amérique” devenue d’actualité et échappant désormais à la “censure”). Bien entendu, il se réfère à sa théorie favorite, la “guerre de 4ème génération” (G4G), à la question fondamentale de la légitimité du gouvernement, de la direction politique. «Fourth Generation theory suggests there is more to it than that. The crisis of legitimacy of the state has not passed America by. Washington pretends to offer “democracy,” but both parties are largely one party, the Establishment party. Its game is remaining the Establishment and enjoying the pleasures thereof, not governing the country. The only politics that count are court politics; America outside the beltway exists only as an annoying distraction. As both the economy and the culture crash, the Establishment says, “What is that to us?”»
C’est effectivement la question de la légitimité du gouvernement central qui est en cause, dans le cas du comportement de divers Etats de l’Union. Un des lecteurs de Lind, dans son commentaire, rapporte que des commentaires de cette sorte sont “quotidiens” («Headlines like these appear now, almost daily… […] I can provide you with a dozen similar, and websites that are popping up»). Ce lecteur cite un article du Los Angeles Times du 16 juin 2009, développant divers cas de cette occurrence où l’illégitimité du pouvoir washingtonien conduit les Etats de l’Union à mettre en cause sa prépondérance.
«Frustrated by the expanded power of Washington, a growing number of state lawmakers are defying the federal government and passing legislation aimed at rolling back the reach of Congress and President Obama. While many measures are symbolic ones declaring the sovereignty of states, some Westerners are taking more dramatic steps. One Utah lawmaker wants to limit federal law enforcement in his state. In Montana, legislators enacted a bill that flagrantly ignores federal firearm restrictions, hoping to force a constitutional showdown.
»Supporters of the bill want the Supreme Court to eliminate gun controls and, eventually, curtail Washington's ability to set policy on a wide range of issues, including education, civil rights, law enforcement and land use. “It's about states' rights,” said state Rep. Joel Boniek, an independent-turned-Republican from nearby Livingston, who introduced the bill. “Guns are just the vehicle.”»
Paul Starobin, auteur de After America: Narratives for the Next Global Age que cite William S. Lind, a écrit son article dans le Wall Street Journal du 13 juin 2009, sous le titre «Divided We Stand». Au contraire de la tendance qu’on est accoutumée à identifier, la thèse n’a rien de crépusculaire ni de menaçante. Pour Starobin, la sécession, ou plutôt la “dévolution” pour prendre un terme technique plus qu’un terme à connotation historique, est une voie extrêmement constructive qui devrait d’ailleurs inspirer le reste du monde sous la direction des USA, – une fois de plus montrant le chemin…
«The most hopeful prospect for the USA, should the decentralization impulse prove irresistible, is for Americans to draw on their natural inventiveness and democratic tradition by patenting a formula for getting the job done in a gradual and cooperative way… […] So why not America as the global leader of a devolution? America’s return to its origins—to its type—could turn out to be an act of creative political destruction, with “we the people” the better for it.»
Il y a deux aspect remarquable dans le texte de Lind et dans ceux qui sont cités autour du sien: la sécession (ou la “dévolution”) “dans l’air du temps”, et la “censure” indirecte du système ne s’exerçant plus complètement contre le thème, lui cédant peu à peu (mais ce “peu à peu” sur la méthode, très rapidement dans le rythme). Ces deux aspects sont liés, bien entendu. Ce que nous dit Lind avec la mésaventure de ses écrits, c’est que dans les années 1990, la “censure” indirecte du système était très active, – “censure” du premier stade, disons, qui est simplement une fin de non-recevoir opposée à ceux qui veulent parler du thème interdit. Aujourd’hui, nous en sommes au stade intermédiaire, qui pourrait être décrit comme un stade “de décompression” selon le terme de la plongée sous-marine: le thème est désormais accepté partout et il a même énormément de succès, on publie sans aucune hésitation à son propos, et beaucoup, et dans les médias les plus significatifs et “officiels” du système (le Los Angeles Times, le Wall Street Journal). Mais les “trompettes de la renommée” n’ont pas encore sonné; on parle des échos en retour dans les réseaux de communication les plus bruyants, dans les talk-shows, dans les discours à audience nationale, dans les commentateurs de même audience, etc. Le sujet est dans un stade intermédiaire: il est là, il affleure partout, il se développe dans nombre d’initiatives concrètes, mais il n’a pas encore complètement crevé la surface de l'eau. Il est “dans l’air du temps” mais il n’est pas encore le “sujet du jour”.
Cela ne saurait tarder, d’autant que les choses vont vite aujourd’hui. Nous sommes dans la phase intermédiaire ultime, dans la période d’attente avant que le sujet n’éclate et ne devienne central au débat public US. Comment? Sans aucun doute par un “accident”, par un “fait mineur”, par définition imprévisible, qui, soudain “enflamme” un débat national comme s’enflamme une atmosphère chargé de vapeurs d’essence, parce que “la sécession est dans l’air”. (Comme l’écrit un des lecteur de Lind: «One of the central tenets of chaos theory, the scientific discipline that attempts to understand complex system phenomena, is that very rapid change can occur due to essentially unforeseeable or even “minor” events, and not only foreseeable ones…»)
Nous sommes à nouveau “au cœur du sujet” (voir notre F&C du 29 mai 2009). Si le commentateur Harlan K. Ullman a raison lorsqu’il analyse la situation du pouvoir US avec l’arrivée d’Obama en avançant l’hypothèse pessimiste (malgré tout l’apport de raison et de contrôle du gouvernement d’Obama, “le pouvoir est brisé”), c’est qu’effectivement la messe est dite parce que la perception de l’illégitimité du gouvernement central serait devenu un fait irréversible et ne ferait que croître. Sur ce point, Lind avance la bonne explication: c’est cette illégitimité qui nourrit l’idée de sécession (la dévolution). Or, la contradiction qu’apporte BHO malgré lui, c’est que l’un des moyens qu’il utilise pour tenter de restaurer cette légitimité du gouvernement central, c’est un outil qui, par sa nature, alimente l’hostilité des Etats à l’encontre de ce même gouvernement central: toujours plus d’interventionnisme à cause de la crise. (Des gouverneurs républicains, notamment ceux de l’Alaska, du Texas et de la Caroline du Sud, ont refusé les fonds fédéraux du plan de stimulation, selon cet argument du refus de l’interventionnisme central encore plus que selon l’argument idéologique du refus de l’interventionnisme public.) Ce qui, hors des USA, alimente la querelle de l’interventionnisme du gouvernement, sans plus, devient aussi et encore plus, aux USA, la querelle de l’interventionnisme du gouvernement central dans les affaires des Etats de l’Union. Ainsi le remède (le “gouvernement raisonnable” de BHO pour tenter de réparer le gouvernement “brisé” par GW Bush) utilise-t-il un outil qui alimente le mal: l’interventionnisme massif alimente la critique du gouvernement central et fait entrer un autre facteur de “brisance” du gouvernement, – non plus seulement à cause des extrémistes à Washington (la “politique de l’instinct”, selon Ullman), mais cette fois à cause de la reaction de faveur pour la sécession et la dévolution, – chose encore beaucoup plus grave.
Mais BHO peut-il faire différent, face à la pression de la crise? Le veut-il, l’imagine-t-il? D’aucuns, à l’imagination féconde, ou à peine féconde, observerait que c’est la voie choisie par BHO, consciemment ou pas, pour jouer son rôle historique d’“American Gorbatchev”.
Si “la sécession est dans l’air du temps”, ce n’est pas un caprice de mode ni un accident de hasard. C’est le produit simplement d’un système à bout de souffle, dont la résolution de la crise peut de moins en moins être espérée en son sein, de plus en plus dans sa rupture. Les composants et serviteurs du système, qui peuvent devenir du jour au lendemain ses adversaire si “l’air du temps” devient “débat national” (veste retournée, exercice classique), semblent totalement impuissants à empêcher cette évolution, – s’ils y songent, s’ils y croient, etc… Lind écrit: «That depends on whether the Washington Establishment can recognize it has a legitimacy problem, get its act together and provide competent governance. It is currently failing that test, and I expect it to continue to fail.»
Notre conviction est que la crise (celle de septembre 2008) joue un rôle fondamental dans la psychologie, dans l’évolution de la question. D’ailleurs, les initiatives centrifuges (“dévolutionnaires”?) se multiplient légalement dans les Etats de l’Union depuis la crise. Notre conviction est que le constat de plus en plus effrayant, de plus en plus écrasant à mesure qu’il se concrétise que le système n’a rien changé de lui-même, notamment dans sa structure financière fondamentale et dans la condamnation des responsabilités, après une telle crise, conduit psychologiquement à percevoir comme irrémédiable l’impuissance de ce système à lutter contre sa propre tendance nihiliste et mortifère. Nous sommes plus dans la psychologie que dans le jugement de l'esprit (idéologique ou pas), et l’impuissance avérée du système finit par épuiser cette psychologie et le crédit dont ce système disposait. La chose pèse désormais avec une force considérable sur les psychologies et accentuent chaque jour la conviction que le seule solution est évidemment la rupture, – la sécession/dévolution.
En ce sens, il s’agit bien de “gorbatchévisme”, mais selon une voie différente parce que chaque système nécessite une façon d’être brisé qui lui est propre. Pour l’URSS, l’attaque se fit d’abord contre la bureaucratie qui était la cause initiale de la chose, et la “dévolution” qui fut plutôt la déstructuration d’un “empire intérieur” suivit (l'éclatement de l'URSS en une CEI, prélude à une autonomie complète des différents pays contraints par le communisme en une Union des Républiques Soviétiques Socialistes). Pour les USA, c’est d’abord la vraie dévolution, qui attaque la racine du mal, qui est la création initiale (en 1787-88, avec la Constitution), par rassemblement volontaire d’une minorité venue des Etats originels de dirigeants, de penseurs et de faiseurs d’opinion (une “oligarchie” défendant ses privilèges), d’un énorme pays-système, engendrant ensuite le système bureaucratique centralisateur arrivé aujourd’hui au bout de son existence supportable. Bien évidemment, un tel mouvement va se heurter à la résistance de la bureraucratie fédérale (du système), qui joue son existence par le fait. Là est tout l’enjeu du débat suivant: étant admis que la sécession/dévolution se ferait, comment se ferait-elle? Dans l’“harmonie” (dans le compromis) ou dans la violence? Sera-ce un processus paradoxalement constitutionnel de “dé-constitutionnalisation” négocié ou une “Second Civil War” (titre du film de Joe Dante de 1996, auteur hors-système traitant le sujet sur un mode caricatural et situant une deuxième Guerre de Sécession aux USA dans les années 1990)? Starobin est optimiste, Lind est pessimiste.
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