Il y a 6 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
12444 septembre 2009 — Qu’arrive-t-il donc à BHO? On reste fascinés (oui, c’est le mot, nous insistons là-dessus) par la façon dont Obama se trouve de plus en plus conduit à une situation de complet isolement dans sa politique, avec les différents blocages qui s’installent pour paralyser les différents axes de sa politique. Après l’épisode de la bataille sur les soins de santé, qui continue et n’est pas résolue, Obama s’engouffre dans autre une impasse avec l’engagement en Afghanistan, qui apparaît de plus en plus comme l’amorce d’une catastrophe pour sa position intérieure. Il s’y engouffre avec calme, mesure, certitude en un sens, convaincu sans aucun doute de la justesse et de la rationalité de sa démarche – sans nécessairement qu’il faille chercher comme explication d’éventuelles consignes du système, le diabolicus ex machina qui veille. Nous observerions plutôt une pente suscitée par la fatalité logique de la situation générale, confrontée à une personnalité qui ne parvient pas à s’exprimer sinon dans ses penchants les plus attentistes.
Quelle est la cause de ces jugements désolés? Nous choisissons l’appréciation détaillée du vigilant New York Times, du 3 septembre 2009. Le NYT a une position d’oracle du système et ses jugements expriment effectivement une appréciation générale de l’establishment. L’article nous informe que, pour poursuivre sa politique afghane absurde et sans issue, Obama aura de plus en plus besoin de ses ennemis jurés, de ses adversaires politiques et soi-disant idéologiques qui le méprisent, qui le haïssent, c’est-à-dire le GOP (Great Old Party – les républicains).
(Encore, ce jugement pessimiste ne l’est-il pas nécessairement assez… Même ce soutien n’est pas assuré. Obama a-t-il entendu parler le parlementaire démocrate Murtha, a-t-il observé le comportement de l’élégante Speaker de la Chambre, Nancy Pelosi? Il aurait pu lire ces déclarations de Murtha, telles que nous les avons répercutées sur notre site dedefensa.org, le 26 juin 2009: «Democrats could even refuse to fund war bills if the Obama administration failed to make good on its promise to withdraw U.S. troops from Iraq, Murtha said. “It's quite possible that we could lose the war funding. If it hadn't been for the speaker, we would have lost it this time.” »The U.S. House narrowly passed the $106-billion bill to pay for the Iraq and Afghanistan wars, with the measure garnering only five Republican votes and 32 Democrats voting against it.»)
L’article du NYT dépeint une situation objective qui, pour Obama, pourrait devenir un cauchemar de politique intérieure – un de plus, certes. Cela est écrit, alors qu’Obama se prépare, sur les conseils éclairés de ses conseillers militaires et stratèges – ou de certains d’entre eux, et certainement pas tous – à ordonner l’envoi de troupes supplémentaires.
«The simple political narrative of the Afghanistan war — that this was the good war, in which the United States would hunt down the perpetrators of the Sept. 11 attacks — has faded over time, with popular support ebbing, American casualties rising and confidence in the Afghan government declining. In addition, Afghanistan’s disputed election, and the attendant fraud charges that have been lodged against President Hamid Karzai, are contributing further to the erosion of public support.
»A CBS News poll released on Tuesday reports that 41 percent of those polled wanted troop levels in Afghanistan decreased, compared with 33 percent in April. Far fewer people — 25 percent — wanted troop levels increased, compared with 39 percent in April. And Mr. Obama’s approval rating for his handling of Afghanistan has dropped eight points since April, to 48 percent.
»Congressional Democrats, particularly those on the left, report increasing disenchantment among constituents with the idea of a long and possibly escalating conflict in Afghanistan, especially as the American strategy comes to resemble a long-term nation-building approach rather than a counterterrorism operation.
»“I and the American people cannot tolerate more troops without some commitment about when this perceived occupation will end,” Senator Russ Feingold, Democrat of Wisconsin, said Wednesday in an interview. He said he had been to 60 town hall meetings in his state so far this year. During the first half of the year, he said, there were no comments about Afghanistan or Iraq. But in the past two months, that has changed, with more people focused on troop losses in Afghanistan.»
L’excellent professeur Andrew J. Bacevich, un historien et un esprit avisé pour comprendre la crise qui déchire ce système devenu fou, un adversaire de toutes ces guerres absurdes, Bacevich, donc, donne, dans ce même texte, quelques explications de bon sens pour, patiemment, expliquer l’évidence. On ressent chez lui une ironie un peu fatiguée, un sarcasme sans réelle agressivité, pour cette direction politique américaniste engluée dans une politique qui fait la promotion d’une puissance et d’une arrogance à bout de souffle, prisonnière de la logique du système qu’elle prétend conduire.
«Andrew J. Bacevich, a professor of international relations and history at Boston University, said, “There was a time, back in 2003 and 2004, when it was possible to drum up popular support for the war by attaching to the argument claims that the United States of America was eliminating evil and advancing democracy and women’s rights.
»“But this is many years later, with the economy in shambles, 5,000 American soldiers dead in Iraq and Afghanistan, and those notions are no longer as compelling as they might have been. War exhaustion sets in,” said Professor Bacevich, author of “The Limits of Power: The End of American Exceptionalism.”»
Les effets de cette situation se font rapidement sentir, quasiment au jour le jour. Au moment où Obama semble entreprendre et accélérer cette entreprise d’élargissement de l’engagement US en Afghanistan, on apprend que la discorde s’installe chez ses conseillers eux-mêmes. On a répercuté, hier 4 septembre 2009, l’apparition du doute, voire de l’hostilité de certains dirigeants de l’administration devant cette perspective d’engagement. C’est le cas de Biden (vice-président) et de Jones (directeur du NSC et conseiller de sécurité nationale du président). Cette opposition était initialement, surtout chez Jones, exprimée sous forme d’une absence d’enthousiasme pour les plans généraux d’élargissement de la guerre; ces plans se précisant sous la forme d’un accroissement supplémentaire de cet engagement et l’opposition générale, politique et dans le public, s’affirmant, le manque d’enthousiasme de Jones se mue en une certaine hostilité. Pour Biden, il s’agit notamment d’une position de l’homme politique (Biden vient du Sénat), effrayé par la puissance de la montée de l’opposition politique et publique.
C’est un processus étrange qui s’enclenche, une sorte de caricature de l’aventure irakienne de GW Bush, qui était pourtant déjà notablement caricaturale, et une sorte de “Vietnam post-modernisé”, quelque chose comme une contraction du drame vietnamien pour ce qui concerne la situation politique à Washington. Nous ne sommes pas assurés que ce processus ira très loin, c’est-à-dire si le bourbier afghan durera aussi longtemps que les précédents vietnamien et irakien, parce que la détérioration de la situation civile aux USA, particulièrement à Washington, vis-à-vis de l’Afghanistan, est d’une rapidité confondante. La situation est en effet sans équivalent dans les précédentes aventures US, avec ce paradoxe d’un Obama de plus en isolé au sein de son propre cabinet.
Nous parlons ici, essentiellement, de la situation “sur le terrain” à Washington, pas en Afghanistan. Aujourd’hui, la situation se détériore plus vite à Washington qu’en Afghanistan, ce qui n’est pas peu dire. C’est le facteur de la rapidité de la montée de l’opposition qui est important, plus que cette opposition elle-même. Le phénomène de la communication y joue un rôle fondamental, à cause de la diffusion très rapide et puissante de cette opposition.
La rapidité de la montée de cette opposition empêche les situations de mûrir assez pour tempérer les tensions trop fortes. Lorsque le temps joue son rôle sur le terme, la maturation de l’opposition met du temps et isole les facteurs d’opposition. Pour prendre le cas d’une administration US, cela conduit plutôt à des démissions camouflées en départs “normaux” qu’à des oppositions affirmées. L’opposition de McNamara (secrétaire à la défense) à la guerre du Vietnam apparut à l’été 1967, après une longue période de soutien à cette guerre, voire d’illusion sur cette guerre, de 1964 à 1967. La démission de McNamara, au printemps 1968, fut présentée comme un départ (pour la présidence de la Banque Mondiale) qui dilua considérablement d’éventuels effets de son opposition. Aujourd’hui, les événements vont si vite, l’opposition se manifeste si rapidement, que de tels processus sont impossibles. Les “fuites” se manifestent très vite et tout le monde sait aujourd’hui que Jones et Biden sont “dans l’opposition”. Le résultat principal est non seulement un renforcement de l’opposition, mais surtout, à cause de la rapidité du processus sans que les structures de l’administration soient modifiées, l’apparition du phénomène extraordinaire de l’isolement d’Obama, y compris au sein même de son administration.
Un phénomène similaire a lieu au niveau du Congrès, avec la pression puissante de l’opinion publique (nous sommes à quatorze mois de l’élection mid term). Les parlementaires du parti démocrate sont de plus en plus incertains et, si aucune bonne nouvelle ne vient éclairer le paysage, cette incertitude va très vite se muer en opposition à la guerre telle qu’elle est envisagée. Le recours au soutien d’appoint des républicains pour Obama est une hypothèse politicienne qui n’a guère de sens, qui ressemble effectivement à une hypothèse désespérée à cet égard. Les républicains n’ont qu’une idée en tête: faire tomber la majorité démocrate, faire tomber Obama. Toute tentative bipartisane d’Obama est accueillie comme un signe de son affaiblissement et de sa capitulation prochaine. Un soutien à Obama pour la guerre en Afghanistan ressemblerait à l’image de la corde et du pendu. (Au reste, tout cela n’est que théorie. Les républicains eux-mêmes ne savent pas s’ils sont capables d’imposer une unité de vote sur le soutien budgétaire à la guerre.)
Ce qui est remarquable, c’est qu’aujourd’hui la crise afghane fait rage tandis qu’hier – c’est-à-dire, il y a trois semaines – c’était la crise des soins de santé. Auparavant, c’était celle de l’élection présidentielle iranienne, celle de l’industrie automobile, celle du “sauvetage” des banques, etc… Les crises intérieures se suivent à une extrême rapidité, sans qu’aucune ne soit résolue. Dans chacune, le même scénario se reproduit: Obama cherche une position centriste bipartisane, il allume la contestation chez les démocrates sans gagner le moindre soutien sérieux chez les républicains. Les deux partis font de la tactique électoraliste et idéologique tandis que le président se retrouve isolé. On retombe à chaque fois dans le dilemme si justement défini par Harlan K. Ullman de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” contre la soi-disant “politique de la raison”.
Mais, contrairement à la définition initiale de Ullman, ces deux “politiques” définissent plutôt des méthodes que des politiques en elles-mêmes. Dans le cas afghan, et c’est une première de sa courte carrière de président de crise, Obama est pris complètement à contrepied. Avec son comportement relevant de sa soi-disant “politique de la raison”, il prône un engagement dans une guerre née de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” et poursuivie, aggravée, selon cette orientation; il fait une “politique de l’idéologie et de l’instinct” avec un comportement de “politique de la raison”. Cette circonstance fait que la crise de la guerre en Afghanistan représente un palier de plus dans ce que définirions comme la structure crisique de la présidence Obama. Une des conséquences, c'est que, pour la première fois, le désordre s’installe au cœur de son administration.
Obama est de plus en plus emporté par les événements, en même temps qu’il en est leur prisonnier. C’est toujours la même alternative qui s’offre à lui: continuer dans cette voie et s’enliser encore plus vite que les USA s’enlisent et Afghanistan, ou tenter un “coup de force” par une initiative audacieuse qui lui permette de reprendre la main. Le deuxième terme est de moins en moins possible, à mesure de l’accumulation des crises non résolues. La voie est de plus en plus la poursuite de la ligne actuelle, avec l’échec désormais de plus en plus évoqué d’une réélection en 2012… Déjà, tout le monde y pense. «True, he doesn’t seem a bit like Lyndon Johnson, but the way he’s headed on Afghanistan, Barack Obama is threatened with a quagmire that could bog down his presidency», écrit Robert Sheer, le 1er septembre 2009 sur Truthdig.com.
Il ne faut pas s’y tromper, la perspective d’un tel échec d’une présidence Obama est un facteur de troubles civils considérables aux USA. Il faut déjà commencer à y songer, en même temps et avec bien plus d’attention finalement qu’à la détérioration de la situation de la guerre en Afghanistan.
Forum — Charger les commentaires