La “tent city” de Sacramento: on ferme

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C’est un phénomène qu’on se garde bien de promouvoir par les moyens habituels et abondants de la communication. Les “tent cities” prolifèrent autour des grandes villes US, dans ces temps difficiles et selon un processus habituel aux USA, de dévastation sociale dans un système qui ne se préoccupe guère d’intervenir à ce niveau. Bernd Debusmann, de Reuters, écrit le 19 mars 2009, – dans un texte, sur lequel nous reviendrons, par ailleurs consacré à l’augmentation vertigineuse des ventes d’armes aux USA:

«Tent cities for the homeless have expanded outside a string of American cities, from Sacramento and Phoenix to Atlanta and Seattle, for people who are living the American dream in reverse. First they lose their jobs, then their health insurance, then their homes, then their hopes. The encampments are reminiscent of Third World refugee camps.

»Often former members of the middle class, tent dwellers’ accounts of their plight to television cameras have a common theme: “I never thought this could happen to me.” Unlike the victims of Katrina, the 2005 hurricane that destroyed much of New Orleans, many of the newly-poor are white.»

Une décision vient d’être annoncée à Sacramento, également présentée par Reuters le 20 mars 2009: on va ferme la “tent city” autour de la capitale de Californie, Etat où le chômage officiel (qu’il faut majorer de pas loin du double pour approcher de la réalité) atteint 10,4% en février. L’argument principal donné pour cette opération est, de façon très explicite, l’image politique très défavorable que donne l’existence de ce phénomène; l'intervention pressante du gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger, auprès du maire de Sacramento, ville qui est en plus le siège du gouvernement et du Congrès de l'Etat, a joué un rôle important dans la décision. (Le texte, sur le site de Reuters, est présenté avec une photo du camp dont le principal sujet est un drapeau américain hissé au bout d’une longue branche d’arbre transformée en une hampe approximative mais néanmoins patriotique. On ignore si l’installation du drapeau est une initiative des habitants de cette “ville”, ou des autorités alors que l’attention des médias se porte sur elle.)

«The mayor of California's state capital unveiled plans on Thursday to shut down a sprawling “tent city” of the homeless that has drawn worldwide media attention as a symbol of U.S. economic decline.»

Un texte d’AP du 21 mars 2009, repris à partir d’informations du quotidien Sacramento Bee, donne d’autres précisions sur les conditions de la “publicité” faite autour de la “tent city”, en relation avec les conditions économiques et le statut international des USA à cet égard.

«A tent city that sprang up in the California state capital of Sacramento and became a symbol of the country's desperate economic plight is to be closed within three weeks, the Sacramento Bee reported on Friday. […]

»The makeshift settlement got international attention last month when TV chat queen Oprah Winfrey filmed a segment at the site showing the deplorable conditions, with people living without running water, electricity or toilets. Though the camp was seen as a stark illustration of the impact of the housing crisis, local reports have noted that most of its occupants have been homeless for years and that only a handful are people who have recently lost their jobs and homes due to the current economic crisis.»

Ce phénomène accentué en temps de crise économique, mais existant pourtant en l’état endémique dans la plupart des pays, développés ou pas, dans les zones urbaines, est extrêmement sensible aux USA. Il y est traditionnellement très fortement développé, témoignant en cela du manque d’infrastructures sociales pour les déshérités. (On avait pu constater la chose lors de l’ouragan Katrina, où l’aide sociale et infrastructurelle apportée aux rescapés de l’ouragan fut chaotique, sinon inexistante.)

Il est caractéristique, mais bien sûr fort peu surprenant, de constater combien la réaction des autorités est fonction de la communication, c’est-à-dire de la publicité de la chose, par rapport à la réputation de puissance des USA et à la stabilité de son corps social, – et cette réaction présentée pour ce qu'elle est. Il s’agit d’une attitude structurelle des élites US, basée sur une communication de masse pour imposer une réalité de propagande favorable au modèle américaniste. (L’anecdote de la photo du drapeau, qui trahit la préoccupation, par le choix du sujet, de faire croire et penser que le patriotisme concerne même les SDF et les déshérités malgré leur situation sociale, fait partie de cette même attitude. On y trouve même la symbolique patriotique renvoyant à l’image d’un camp militaire plus ou moins approximativement retranché, comme si la crise économique était perçue comme le résultat d’une attaque extérieure, hostile, sans rapport bien entendu avec les vertus nombreuses du système, – au contraire, mettant en danger ces vertus.)

Il y a, en plus, un facteur historique particulièrement préoccupant. L’un des aspects sociaux de la dévastation de la Grande Dépression fut l’existence, fortement visible et documentée par la presse, des “Hoovervilles” (surnom donné par dérision à partir du nom du président Hoover) autour des grandes villes, c’est-à-dire de bidonvilles développés par les sans-logis et les déshérités de la crise. Cette publicité fait historiquement partie de la symbolique de la Grande Dépression. L’intervention contre la “tent city” de Sacramento, avec reclassement annoncé à grand renfort de publicité, entre dans le cadre de la guerre de communication pour tenter d’écarter toute analogie trop pressante, surtout du point de vue social, avec la catastrophe des années 1930-1933.


Mis en ligne le 21 mars 2009 à 07H00