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23759 mars 2013 – Nous allons tenter d’analyser les événements italiens, essentiellement avec la victoire du Movimento 5 Stelle (M5S) et de Beppe Grillo du 25 février (voir notamment le 26 février 2013), et depuis cet événement, selon une approche généraliste et antiSystème, en nous plaçant singulièrement par rapport à la position actuelle de l’Italie, mais aussi par rapport à son évolution historique, selon la position très importante de l’Italie dans le système européen tel qu’il a été installé dans les années 1945-1950. (Par “système européen”, nous entendons cette espèce d’aggloméré d’influences et de pressions directes et indirectes, celle des USA et de l’OTAN d’abord, celle des fédéralistes européens ensuite, avec l’alignement de nombre de ces fédéralistes sur les USA, des institutions européennes entièrement intégrées dans le Système général par l’économie, enfin des principales entités nationales.)
L’Italie fut en effet, dès le départ, l’un des principaux terrains d’intervention de la mise en place de ce système, notamment à cause de son importance stratégique, de la puissance de l’implantation alliée (US) durant la guerre, de son équilibre délicat entre les forces pro-occidentales d'une part (démocrates-chrétiens [DC] principalement, avec leurs liens avec la Mafia) et un parti communiste très puissant d’autre part. L’intervention massive de la CIA dans les élections de 1949 pour permettre à la DC de l’emporter, institutionnalisa cette importance italienne qui s’est poursuivie depuis, – de même que l’intervention de la CIA, d’ailleurs, devenue comme “institutionnalisée”. Dans les décennies suivantes, l’Italie resta un des principaux points de tension de ce système, notamment au travers des activités des réseaux Gladio de l’OTAN, essentiellement à partir des années 1970. Notre idée principale est que cette situation de tension constitue un facteur fondamental pour comprendre et analyser, y compris et peut-être plus que jamais aujourd’hui, la situation italienne. (La tension actuelle renvoie à l’expression “stratégie de la tension”, utilisée spécifiquement d’abord pour l’Italie. Cette “stratégie de la tension” fut utilisée par les forces constituant le pouvoir dans le système européen pour désigner la tactique de provocation et de déstructuration dans les années 1970 en Italie, – anni di piombi, ou “années de plomb”, cumulant avec la mort d’Aldo Moro en mai 1978.)
De là, l’intérêt de nous appuyer sur les écrits et les commentaires de l’ex-parlementaire européen et analyste Richard Cottrell, spécifiquement depuis l’élection du 25 février. Ses interventions serviront de base de départ de notre analyse. Avec Cottrell, on peut disposer de la vision d’un spécialiste d’une tendance “dissidente” confirmée et polémique, en général bien informé même si parfois un peu trop imaginatif, notamment et précisément à propos des multiples manigances type-Gladio en Europe. C’est lui que nous allons consulter pour tenter d’avoir le cadre général pour une appréciation de la situation italienne, devenue un nouveau centre fusionnel de la crise du Système, “section Europe”.
(Nous avons plusieurs fois cité Cottrell, notamment le 17 mai 2012 à propos de la Grèce, ou le 15 octobre 2012 à propos de la Turquie, chaque fois avec l’arrière-plan de la problématique des réseaux Gladio. Dans le dernier texte du 15 octobre 2012, nous identifiions Cottrell et le qualifiions de cette façon : «Un autre auteur grand connaisseur des arcanes de l’histoire secrète, essentiellement européenne dans son cas… […] Cet auteur est Richard Cottrell, ancien parlementaire européen (conservateur britannique), spécialiste de la “guerre secrète” de l’OTAN (les réseaux Gladio) et, dans ce cadre, très bon connaisseur de l’histoire secrète de la Turquie…» Cottrell est l’auteur notamment du très récent [juin 2012] Gladio: NATO’s Dagger At The Heart Of Europe. Il est évidemment très probable qu’en tant qu’ancien parlementaire européen, notamment impliqué dans des commissions d’enquête du Parlement européen sur Gladio et très vindicatif à ce propos, Cottrell se soit constitué un réseau de sources qui donnent certainement du crédit à nombre de ses informations et, surtout, à la base documentaire personnelle de son travail. Cela n’empêche ni les excès, ni les erreurs, mais cela structure fortement ses analyses et cela le différencie de nombre de “complotistes” qui n’ont guère de sources directes et une expérience documentaire très restreinte, sinon nulle.)
L’intérêt que présente Cottrell en la circonstance est qu’il a publié cinq articles sur l’Italie depuis les élections du 25 février, qui montrent à la fois une évolution, une diversification et un élargissement de son analyse de la situation. (En tant que spécialiste de Gladio, Cottrell est nécessairement intéressé par l’Italie qui a été un des pays européens les plus affectés par les activités de Gladio, et le pays d’où est partie, le 24 octobre 1990, la révélation publique, par le Premier ministre Giulio Andreotti, de l’existence de ces réseaux. L’Italie, par la voix inattendue du plus coriace mais aussi du plus ambigu des représentants de son establishment, est le pays qui a mis la question des réseaux Gladio sur la place publique.)
• Dans son premier texte, sur le site EndtheLie.com (comme les autres), le 26 février 2013, Cottrell se contente d’enregistrer en la commentant la victoire du M5S et des Grillini. Son appréciation est résumée par le titre, qui se réfère au phénomène US : «Italy’s Tea Party makes the breakthrough.» (D’une façon symbolique bien plus que circonstancielle, il y a une particularité générale très spécifique qui rapproche Tea Party du M5S : l’absence institutionnelle d’un dirigeant. C’était une chose connue pour Tea Party. Dans le cas du M5S, une péripétie personnelle de Grillo acte la chose. Le M5S refuse, dans sa “charte”, l’élection parlementaire pour de personne ayant un casier judiciaire ; cela est le cas de Grillo, qui a été condamné à 18 mois de prison en 1980 pour homicides involontaires, – ses trois passagers tués dans un accident automobile dont il a été reconnu responsable ; il ne s’est donc pas présenté et il est absent du principal champ de bataille politique qu’est le Parlement. Par ailleurs, cette circonstance est présentée comme correspondant à la philosophie de M5S, qui refuse la structure des partis traditionnels, – mais Grillo exerce une influence décisive sur l’ensemble.)
Dans cet article du 26 février, Cottrell fait plutôt un tableau du climat général en Italie après l’élection, et rappelle les menaces type-Gladio.
«The general mood in Italy is the feeling everywhere that politics are at last exciting, uncertain and unpredictable, a profound sense that Italians themselves have spoken, loud and clear. There is a sense that the giovanni – the young ones – are in a mood to Take Back Italy. If they succeed, the consequences may be astonishing: but always remember that terrible tendency of revolutions to ultimately consume their own. The Movimento honeymoon with the Italian people might yet prove tragically brief.
»Certainly the forces of counter-attack are already amassing. Italy has a long history of political violence. In my recent work on that subject I have pointed to the famous ‘strategy of tension’ of the 1970’s and 80’s, another time of great political crisis. This was a deadly period of bombings, shootings and massacres of perfectly innocent people, invariably blamed on urban guerillas calling themselves the Red Brigades. We know now that much of the violence was orchestrated by the deep state in cahoots with neo-fascists and organized crime, designed to scare Italians back to the arms of safe right wing governments, hence ‘strategy of tension.’ Those who now feel most aggrieved at Grillo’s usurpation will not rest lightly. Grillo himself makes frequent public references to the crimes committed for political aims in times past. He knows full well to look over his shoulders on a constant basis.»
• Le 27 février 2013, Cottrell élargit son sujet. Il passe brusquement à la question de la démission du Pape Benoît XVI, c’est-à-dire, selon lui, à la crise profonde que traverse l’Église, – et ainsi Rome devient-il le théâtre de deux drames parallèles, – de plusieurs drames : «Shake rattle and roll in Rome: the Vatican crumbles as the clown prince [Beppe Grillo] grabs the party hat». Dans ses thèses et ses enquêtes, Cottrell a toujours lié les scandales du Vatican, notamment de la Banque du Vatican, à l’affaire de la Loge P2 et, d’une façon plus générale, aux activités de Gladio. Le lien qu’il établit entre la crise de l’Église, qu’il juge presque de nature schismatique, et la crise politique italienne, avec le M5S, devient logique, sinon évident, même s’il est difficilement identifié, ou bien indirect et circonstanciel… Et la crise intérieure de l’Eglise, répercutée dans le cadre étroit de la crise d’une religion face à l’anticléricalisme, s’insère brusquement dans le schéma bien plus large de la crise de la civilisation et du sens (donc, la crise du Système).
«Schism, then, is potentially the order of the day in the Vatican and the Italian Parliament. According some grace to Mr. Grillo, it appears that Rome will, for a time at least, enjoy the privilege of three popes in town at the same time.»
(Plus tard, le 5 mars 2013, Cottrell complète son dossier sur la crise vaticane en exposant les conditions selon lui de la “démission forcée” de Benoît XVI, des pressions de l’Opus Dei sur le Vatican et ainsi de suite.)
• Le 28 février 2013, Cottrell en rajoute sur l’alarme générale qu’a fait sonner l’élection du 25 février. Pour lui, l’analogie avec la dialectique des “années de plomb” réapparaît dans le chef d’un document du service de renseignement italien de l’armée, le Servizio Informazioni Difesa. Quant à Grillo, Cottrell le baptise prestement “le Castro de la Méditerranée”…
«Less than 24 hours later the confirmation came in a report from the ‘Department of Information Security’ and its national director, Giampiero Massolo, pointing to the outbreak of “potentially massive social unrest, dissent and antagonism in wide areas of Italian society.” […] Viewed from Brussels, Washington and Frankfurt, Grillo is nothing less than the Castro of the Med.»
• Le 3 mars 2013, Cottrell revient sur Beppe Grillo et le M5S, cette fois dans un mode optimiste. D’une part, il analyse M5S comme un mouvement promis à un brillant avenir, peut-être très rapidement suffisamment majoritaire pour constituer un gouvernement (en cas de seconde élection), et également promis à susciter en Europe des mouvements similaires.
«Practically unreported in the European and North American media, an extraordinary revolution is under way in Italy. It is nothing short of a peoples’ revolution which, failing to lose speed and traction as most such forces do after the first bright dawn, seems to be gaining ground in all quarters of Italian society.»
D’autre part, il observe que même certains segments de l’establishment commencent à considérer Grillo d’un œil plus favorable…
«One of the country’s most conservative newspapers, Corriera della Serra, which is printed in Milan, Italy’s very own ‘City of London,’ has astonished readers by expressing admiration for the ‘quiet revolution,’ with the caveat of course that ‘it won’t last.’ […] For the first time this sort of message is resounding in the highly conservative Italian media as an alternative script to enforced austerity. Italians of all classes came to resent the imposition of Mario Monti, an ex-EU Commissioner, as the effective dictator of the country, ruling with a handpicked bunch of cronies.»
L’enjeu de l’affaire italienne est donc défini dans son cadre le plus large possible par Cottrell dans ses trois articles. D’une façon générale, on retient dans cette affaire le rapport à la situation présente, – la politique de l’austérité, la situation de l’euro, la poussée de destruction des souverainetés des États de l’Union européenne, et, par logique antagoniste, la poussée d’implicite réappropriation de cette souveraineté qui se trouve au cœur des mouvements de contestation antiSystème comme le M5S. Mais en revenant souvent sur la dimension Gladio, et dans sa dimension la plus large qui va jusqu’à impliquer le sort de l’Église, Cottrell invite à effectivement se pencher sur cette question, ce qui conduit à s’interroger sur l’activisme de Gladio aujourd’hui, autant qu’à faire le lien entre la situation actuelle et la période de pleine activité du même Gladio (dans le cas italien, les anni di piombi). (En complément, on voit qu’un autre incontestable spécialiste de Gladio, l’universitaire Daniele Ganser, entérine la pérennisation de Gladio dans notre époque, sous une forme ou l’autre. Voir deux textes, le 27 décembre 2005 et encore le 27 décembre 2005.)
Pour notre compte, nous apprécions Gladio sous forme de structure et de concept ; nous tenons donc que Gladio, ou son émanation suivant la fin de la guerre froide qu’importe, est resté en activité dans certaines affaires spécifiques de l’influence hégémonique des USA en Europe. Ce fut notamment le cas notamment avec la question du “choix” du JSF par la Hollande en 2002, – ou la “gestion du ‘choix’” devrait-on dire plutôt. Cette affaire se déroula dans une atmosphère dramatique, avec l’assassinat du leader populiste Pim Fortuyn. Nous avions à cette époque noté des aspects extrêmement troubles de cette affaire (voir le 30 juin 2002), à une époque où il était peu prudent de le faire. Nous reprîmes ces éléments dans des Notes sur une évolution hégémonique qui concernait l’implantation “‘forcée” de l’avion JSF en Europe, auprès de cinq pays européens (Danemark, Hollande, Italie, Norvège, Royaume-Uni). Nous notions, dans ce texte du 18 novembre 2009 (dans ce texte, “SB” signifie Stay-Behind, autre désignation des réseaux Gladio) :
«…Le résultat de cette implantation fit des marchés européens, à l’exception de la France, un territoire conquis qu’il s’agissait de gérer. L’exemple néerlandais et le choix du JSF illustrent cette gestion.
»En 1998, une réunion secrète entre des chefs militaires néerlandais (sans mandat politique) et leurs correspondants industriels US avait abouti à un accord pour le choix du JSF. En mars 2002, le gouvernement prit une décision dans ce sens, que le Parlement devait ratifier. Le 5 mai 2002, le leader populiste Pym Fortuyn, vainqueur probable aux élections du 16 mai, rencontra une délégation US conduite par l’ambassadeur Clifford Sorel, où l’on trouvait également des généraux hollandais. Fortuyn leur signifia son refus de voter pour le programme JSF, ce qui impliquait une défaite du programme au Parlement. Le lendemain, Fortuyn était assassiné dans des conditions très contestée. Il fut remplacé à la tête des populistes par un inconnu, Mat Herben, dont il s’avéra qu’il avait travaillé pendant 22 ans pour les services d’information de la défense, qui sont une antenne du SR militaire hollandais. Broos Schnez, de la direction du parti populiste, déclara le 28 juin 2002, après que son parti ait été conduit par Herben à voter pour le JSF: “We were flabbergasted. The Netherlands needs to know what kind of person he is and he’s not honest. He is an old ministry of defence official and perhaps his job was to infiltrate the operation to get the party to vote for the fighter, something which we were always against. I’d advise him to go to a good lawyer and clear his name, but nothing is happening, and that’s strange.”
»L’entrée dans le programme JSF acquise, Herben donna sa démission de la direction du parti fondé par Fortuyn et disparut. L’affaire était close. Ce fut une remarquable opération réalisée dans le plus pur style SB, dont l’implantation dans les SR hollandais (dont venait Herben) depuis la fin des années 1940 est largement documentée. S’il s’agit de la manifestation la plus dramatique de l’activité de ce réseau européen/OTAN d’influence US, elle n’en est pas moins exemplaire. On retrouve cette sorte de schéma dans nombre de pays européens. Son efficacité ne s’est jamais démentie.»
Cette appréciation de lier, notamment, l’affaire du JSF à l’activité des réseaux Gladio se retrouve pour l’Italie. Lors du deuxième gouvernement Prodi de centre-gauche (mai 2006-mai 2008), les suggestions de remettre en question l’achat du JSF faites à cette équipe qui se voulait européenne se heurtaient à une fin de non-recevoir terrifiée. Il fut toujours suggéré par les contacts pris à cette époque du côté de ce gouvernement italien que le retour sur le choix du JSF était impensable, ces déclarations impliquant qu’il s’agissait réellement d’une hypothèse où des vies étaient menacées. La référence Fortuyn/Pays-Bas n’est donc pas inutile… Le choix du JSF reste une pierre angulaire de l’hégémonie US en Europe, y compris par des moyens terroristes et totalement illégaux ; dans cette optique, le programme JSF, qui a une dimension globale et hégémonique dépassant largement le seul statut d’un programme d’armement, a une dimension tragique du point de vue du destin européen tel que nous le concevons. Sa proximité des affaires Gladio renchérit sur cet aspect, et désigne l’Italie comme un pays d’une singulière importance, sans doute le plus important dans la tragédie européenne que constitue la destruction du principe de la souveraineté sur ce continent par déstructuration des nations entraînant la dissolution du principe.
Comme le signale Cottrell, Beppe Grillo est parfaitement au courant de “l’histoire moderne” de l’Italie, et notamment des imbrications des activités de Gladio et de ce que cela représente comme malédiction pour l’Italie. On le lit notamment dans une courte chronique de son blog à laquelle Grillo renvoie dans les textes actuels de ce même blog ; il s’agit d’un texte daté du 19 novembre 2011, intitulé, par analogie au livre de Malaparte, “Technique du coup d’État” (Tecniche di colpo di Stato). (Malaparte est d’ailleurs largement cité dans ce texte.) Grillo exprime l’opinion que l’Italie s’est trouvée dans une situation de “coup d’État permanent”, essentiellement à partir des années 1970. Il cite bien entendu l’enlèvement et la mort d’Aldo Moro comme l’un des événements marquant ce “coup d’État permanent”, cette affaire qui est l’archétype tragique de la période de “stratégie de la tension”, et donc de tous les soupçons et intuitions sur l’action de Gladio en Italie. Renzo Martinelli, réalisateur de l’excellent film (en 2003), La place des cinq lunes, sur le sujet de la mort d’Aldo Moro traité en mode à peine fictionnel, disait que l’événement avait eu le même effet sur l’Italie que l’assassinat de Kennedy sur les USA :
«L’affaire Moro a influencé l’évolution historique, politique et culturelle de ce pays pour plusieurs décennies», – c’est-à-dire, jusqu’à aujourd’hui, et jusqu’aux élections du 25 février…
Ainsi peut-on envisager un schéma historique qui, avec sa dimension tragique, prendrait des allures métahistoriques, pour mieux définir l’importance de l’événement du 25 février en Italie. Dans le même texte de son blog déjà cité, Grillo en vient au cœur de son propos en définissant le “coup d’État parfait” auquel sont arrivés Monti et ceux qui le soutiennent. (Monti, qui devient Premier ministre le 16 novembre 2011, n’est jamais nommé par Grillo dans son texte mais une photo en gros plan de son visage domine le texte et souligne le titre, de façon à ne laisser planer aucune incertitude, tout en transformant l’accusation en symbole.)
« Le coup d’État est la négation de la démocratie. Le coup d’État qui ne dit pas son nom… est le coup d’État parfait ». («Il colpo di Stato è la negazione della democrazia. Il colpo di Stato che non si conosce, quello in cui il cittadino esulta per un cambiamento che lo spossessa di ogni partecipazione pubblica, è il colpo di Stato perfetto.»)
D’une certaine façon, selon la pensée de Grillo, on pourrait juger que le “coup d’État parfait” de Monti achevait, en espérant la verrouiller, une période de trois ou quatre décennies de “coup d’État permanent” où l’agitation, dont on peut supposer qu'un artéfact type-Gladio était au pupitre, empêchait encore la bonne tenue de l’application du Système, – mais en la préparant, certes. Enfin, Monti vint, et ce fut le “coup d’État parfait”, sans complot, selon toutes les procédures normales, disons pseudo-démocratiques. Pourtant, cette normalité est si exceptionnelle, et le “coup d’État parfait” tout autant, qu’il nous faut bien trouver la raison centrale, et de grand poids, qui a permis cela. Aussitôt s’impose l’évidence : certes, le “coup d’État parfait” est réussi, – en un sens mais quel sens lourd de sens ! – parce qu’il n’y plus d’État …
C’est justement ce qu’a mis à découvert le pseudo-complot Monti (pseudo puisque non secret et nullement illégal) : l’absence d’État, donc l’absence de principe… C’est sa faiblesse mortelle, comme celle du Système, cette absence de principe. Le “coup parfait” s’est exercé sur du quasi-néant (l’État réduit à ses procédures, vote de l’assemblée, intervention-Système des autorités de la république, etc., et l’État totalement châtré de ses principes, – l’État devenu État-eunuque). Le “coup d’Etat parfait” a en réalité achevé une perfection par inversion, en achevant de démontrer et de réaliser la néantisation parfaite de l’État. Cela s’est découvert aussitôt, en pleine lumière, par l’application sans vergogne, furieuse, méprisante, insultante, d’une politique-Système que ne soutenait évidemment aucune légitimité. Comme les gens de son acabit et de son parti, Monti est parfaitement l’exemple de l’homme très-intelligent qui fait des choses très-stupides : une technique parfaite pour appliquer une politique nécessairement inapplicable puisque privée du socle de la légitimité qui seul peut permettre de demander à un peuple des efforts héroïques.
D’où ceci que Beppe a techniquement raison mais pas tout à fait, en renvoyant après tout à l’idée de Malaparte qu’on prendrait trop rapidement pour du comptant, selon laquelle le coup d’État n’est qu’une “technique”. Laissé effectivement à ce rang de technique et parfait dans ce domaine, le coup d’État de Monti est parfait. Mais il est appliqué selon la notion d’un autre Italien (l’historien et philosophe de l’histoire Guglielmo Ferrero) d’idéal de puissance qui, par essence, rejette la perfection en ignorant la nécessité du principe, et donc va aussitôt gâcher la perfection du coup d’Etat par sa politique absurde, et qui est absurde justement parce que celui qui l’opérationnalise n’a aucune légitimité, vierge de tout principe … Faut-il s’en étonner, de sa part à lui, Monti, qui vient directement de ces centres de puissance que sont l’Union européenne, “la banque” et tutti quanti, toutes ces puissances parfaitement privées de légitimité, donc investies de l’idéal de puissance seulement, totalement étrangères à l’idéal de perfection qui, seul, comprend la nécessité du socle principiel ? (Les deux notions, de Ferrero certes, explicitées dans les deux textes référencés.)
Nous dirions même que Monti, après son “coup d’État parfait”, c’était la “dictature parfaite”, sans besoin de police, de contrainte brutale, de saluts divers, poings ou mains ouvertes levés, de bottes et de casques ; en ce sens purement “technique” là aussi, bien plus efficace que la vraie-fausse dictature dont nous entretenons nos nausées permanentes en défense des droits de l’homme. Mais si elle s’instaure, cette “dictature parfaite”, c’est parce que (bis) il n’y a plus d’État, plus de Principe, plus rien du tout. Ainsi le paradoxe suprême, le “paradoxe parfait”, c’est que Monti a mis tout cela en évidence ; en instituant toutes ces perfections inverties par l’idéal de puissance mais contraires à l’idéal de perfection, il a démontré “techniquement” et parfaitement à la fois son illégitimité absolue, et l’“imposture parfaite” qu’il fut. La raclée électorale suivit, sans bavure. C’est la perfection même de l’opération-Monti qui entraîna nécessairement sa chute, – sans tambour ni trompette, sans émeutes, sans violence, – par les urnes, messieurs-dames, comme en belle et bonne démocratie.
Le coup d’État de Monti n’était pas idéologique, il était du domaine du principe, c’est-à-dire antiPrincipe comme l’on dit, inversement pour ses adversaires, antiSystème ; contre le principe de la souveraineté, et bien entendu, celui de la légitimité… A ce moment apparaît Beppe. Lui, Beppe, intervenant dans cette situation d’illégitimité et d’inversion des autorités en place, surgit comme un moteur antiSystème qui peut prétendre apporter avec lui la restauration des principes. C’est alors que lui, Grillo et ses Grillini réalisent ce qu’on désignerait comme un “contre-coup d’État parfait”, et cette fois perfection totalement assumée puisqu’activée par l’idéal de perfection qui est principiel par définition, contre l’idéal de puissance ayant démontré sa propre “parfaite imposture”.
Le fait qui apparaît alors essentiel est que l’événement, par l’historique même de ses acteurs (défaite du “coup d’État parfait” verrouillant trois à quatre décennies de “coup d’État permanent”), installe dans sa signification cette même perspective des 3-4 précédentes décennies. C’est là que l’histoire tragique de l’Italie que nous avons évoquée rencontre la situation politique tragique de l’Europe avec cette bataille entre l’arbitraire de la politique d’austérité (idéal de puissance) et la résistance antiSystème des peuples (élections type-25 février, idéal de perfection). C’est là où l’on pourrait, au gré des péripéties à venir très vite (dont, peut-être, de nouvelles élections italiennes risquant de placer le M5S en position dirigeante), voir se mêler à la bataille actuelle de l’austérité, toute l’histoire tragique de l’Italie de ces quarante dernières années. Cette éventuelle coïncidence des deux choses peut s’avérer explosive au-delà de tout.
…Voici donc les éléments de ce qui n’est pour l’instant, encore, qu’un puzzle. La très inédite instabilité que connaît l’Italie depuis le 25 février, avec l’élément Beppe Grillo, se mélange avec des éléments exceptionnels, comme la crise du Vatican, et des potentialités qui ne le sont pas moins. Bien sûr, nous avons insisté sur l’élément Gladio en le liant à l’élément du JSF, parce que des circonstances déstabilisantes peuvent les faire surgir et les intégrer, comme accélérateur des événements, dans ce secteur de la crise générale et d’effondrement du Système que nous sommes en train d’observer. Ainsi isolera-t-on trois de ces éléments autour de la crise italienne :
• La crise du Vatican et de l’Église a été opérationnalisée par la démission de Benoît XVI. Le plus souvent considérée par les commentateurs d’un point de vue anticlérical, comme l’une des querelles à l’intérieur du Système, dans le cadre général des polémiques dites “sociétales” qui dissimulent la crise fondamentale, elle est en train de changer complètement de signification et de s’inscrire dans la crise fondamentale. Qu’elle ait (qu’elle acquiert) ou n’ait pas (n’acquiert pas) de lien avec la crise italienne, la crise de l’Église évolue désormais vers et comme une manifestation terrible de ce qui constitue la crise générale du sens. Dans ce pays catholique, le symbole a une force considérable, dans le cadre italien en général et dans le cadre de la crise d’effondrement du Système ; il se concrétise par l’idée de la Chute (cette fois, pour l’Église elle-même) et s’inscrit alors, non plus dans le cadre de la crise des religions, mais comme un élément majeur de la crise de civilisation, – pour nous, crise d’effondrement du Système.
• Le cas de Gladio se situe bien entendu dans les menaces de riposte du Système face à la crise italienne. Il peut aussi bien être considéré du point de vue opérationnel que du point de vue du symbole de la tragédie italienne. Dans ce dernier cas, qui est celui que nous favorisons, il contribue à hausser et à a renforcer le sens et la tension de la crise italienne.
• Le cas de JSF, que nous avons souvent évoqué comme infiniment plus important qu’un simple programme d’armement, a les liens qu’on sait avec Gladio et avec les relations entre les USA et l’Europe. (Comme nous écrivons plus haut : “Le choix du JSF reste une pierre angulaire de l’hégémonie US en Europe, y compris par des moyens terroristes et totalement illégaux.”) Le JSF lui-même est en crise profonde, la crise de la Chute pour lui aussi, reflétant le fondement de la crise de l’américanisme et du technologisme. Dans les circonstances de crise qu’on connaît en Italie, son cas peut surgir à tous moments au premier plan du débat politique, et constituer alors un cas dramatique perçu comme une volonté de rupture de l’Italie (de l’Europe) avec les USA. Il impliquerait alors, – cette perspective peut être considérée, – comme la mise en cause de l’homogénéisation du bloc BAO constitué à partir de 2008, tel que nous l’avons défini le 10 décembre 2012, et la déstructuration-dissolution de cet ultime regroupement suscité par le Système dans sa crise de l’effondrement.
L’un des documents les plus intéressants et les plus révélateurs sur les réseaux Gladio fut une série documentaire de BBC Time Watch (Operation Gladio, en trois épisodes), réalisée en 1992 mais diffusée avec un significatif temps de retard (accessible sur YouTube, date de réalisation du 10 juin 1992). Le documentaire portait essentiellement sur l’activité de Gladio en Belgique et en Italie, tout en embrassant la totalité du concept. (Nous en avons notamment parlé, le 20 janvier 2005.) Il y a un moment caractéristique, qui termine la série, avec quelques derniers mots de Federico Umberto d’Amaio, présenté comme “chef de la police politique au ministère de l’intérieur italien, 1972-1974” ; petit bonhomme ricanant et sans doute cynique, qui aurait bien représenté le persiflage d’autres temps. Alors à la retraite, il possédait quelques figurines d’“automates” dont on fit grand usage de la mode, dans les salons du XVIIIème siècle, au temps du persiflage. Les thèses mécanistes de Descartes avaient leurs partisans, et l’automate pouvait aussi bien représenter le véritable sapiens, – semblait suggérer en persiflant l’ancien policier italien, présentant l’automate “Le jongleur” (en français dans sa bouche). Il évoquait les mystères, les manipulations, le double, le triple jeu, et s’il semblait laisser croire que Gladio les manipulait tous, on finissait par se demander si ceux qui prétendaient agir en toute conscience au nom de Gladio, voire en dirigeant Gladio, n’étaient pas, dans son esprit, eux-mêmes compris dans ce “tous”. Gladio prend alors dans le document une dimension mythique et tragique, soudain perçu comme une entité les manipulant “tous”, y compris cette voix persifleuse… Ces paroles concluaient la série, tandis que sonnait à nos oreilles, à côté de la musique aigre et mécanique de l’automate, le leitmotiv du document, les Agnus Dei et Hostias, solennels, terribles et énigmatiques, du Requiem Opus 5 de Berlioz, ou “Grande messe des Morts”… Alors, l’on sent qu’il est bien question d’une tragédie dépassant son époque, parce qu’elle suggère l’idée d’une perte de contrôle de son destin par l’espèce des sapiens, – ce qui est le cas de la crise d’effondrement du Système.
Nous entendons cet homme, ce persifleur ricanant, dans ces documentaires, comme si le drame effaçait le temps, liant et fusionnant la tragédie passée avec celle que nous connaissons… Cette tragédie vient jusqu’à nous, d’une façon très logique, en s’élargissant à la situation italienne, au-delà à la situation européenne, allant ainsi au cœur de la crise d’effondrement du Système en offrant une circonstance différente qui peut accélérer cette crise en portant une attaque déstructurante et dissolvante au bloc BAO constitué en 2008. Cela constituerait un des prolongements ultimes de la phase finale de l’effondrement du Système.
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