La Turquie, l’Ouest et l’Est, l’OTAN (et la Chine, et d’autres choses encore)

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En Turquie même, des constats sont faits sur une accélération de l’évolution anti-occidentaliste de ce pays. Un commentaire de Semih Idiz, du journal Hurriyet (HurriyetDailyNews.com), le 14 octobre 2010, présente le cas en citant divers points en cours. Il s’agit du voyage d’Erdogan au Pakistan (le 13 octobre), pour superviser l’importante aide turque pour la catastrophe des inondations de cet été. Erdogan en a profité pour attaquer Israël et les USA à propos de l’affaire de “la flottille de la paix”, estimant que les relations normales avec Israël ne pourraient être rétablies tant que ce pays n’exprimerait pas des excuses publiques. Erdogan met aussi en cause les USA pour son soutien à Israël et, d’une façon générale, pour ce qu’il estime être une attitude hostile à l’Islam. Constat général de Idiz : la Turquie s’éloigne de plus en plus de l’Ouest, avec le problème embarrassant que ses liens formels avec l’Ouest sont nombreux.

«When looking at the big picture in the light of these developments it does appear increasingly that Turkey, contrary to what is said by government officials in Ankara, is gradually drifting away from the West. […]

»Consider the recent traffic in the Middle East, with Prime Minister Erdoğan paying a high-profile visit to Syria, and Iranian President Mahmoud Ahmadinejad visiting Lebanon in a similar manner. Add to this the increasingly warm ties between Ankara and Tehran as well as the fact that all three countries are also Hamas- and Hezbollah-friendly, and a picture of some kind of a “new axis” emerges for the region.

»Put briefly, there is an increasingly apparent ideological divide that is growing between Turkey and the U.S. in particular, and Turkey and Europe to a lesser extent, and this is most apparent when Iran or Hamas is the subject of discussion.

»On one side of the divide we have a U.S. that is prepared to use its influence come what may on behalf of Israel. The same applies to Europe also, up to a point. On the other hand we have a Turkey that is increasingly prepared to use its influence on behalf of Iran and Syria at the expense of angering and alienating its traditional partners and allies in the West and the Middle East.

»The problem is that Turkey is still technically part of the “Western fold.” Its membership in NATO is the most apparent evidence of this fact. But how Turkey’s new foreign policy preferences will play out, for example, in the missiles defense system that the U.S. is now trying NATO to adopt against Iran remains to be seen.

»The question becomes more crucial when it is recalled that Washington sees Turkey playing a very key role in this context as a host country for such a system. If this NATO project gets widespread support in NATO, Turkey could easily end up having to choose between the alliance and Iran.

»Five years ago Ankara’s choice would have been predictable. It no longer is so and this carries the seeds of yet another crisis with the U.S. and the EU along the ideological divide mentioned above.»

• Effectivement, cette question du système anti-missiles dont les USA ont fait une question purement otanienne met en évidence la position particulière de la Turquie. Une réunion préliminaire a eu lieu à Bruxelles la semaine dernière, avant une décision finale à Lisbonne les 18-19 novembre. Le même Hurriyet observe, le 15 octobre 2010 ce qu’il nomme un “accord conditionnel” de la Turquie, à la condition notamment que ni la Syrie ni l’Iran ne soient nommés comme pays hostiles contre lesquels il faut se protéger.

«Turkey indicated Thursday during a meeting of NATO ministers that it could approve the deployment of a proposed U.S.-led anti-missile system on Turkish soil, though it expressed reservations about the project.

»“We demanded that Iran and Syria not be cited as ‘threats’ in NATO’s official documents on the planned defensive shield,” Turkish Foreign Ministry officials told the Hürriyet Daily News & Economic Review on Friday. “Also, the deployment of the shield should cover the territory of all NATO allies, as well as the entire territory of Turkey.”»

• Parallèlement à ces activités, il faut en noter d’autres, – chinoises celles-là, et durant la même période, notamment avec la Turquie. Une visite du Premier ministre chinois Wen à Ankara a abouti, (voir Xinhua, le 9 octobre 2010) à la proclamation d’un “partenariat stratégique” entre les deux pays. En même temps, il a été officiellement admis qu’un exercice militaire aérien conjoint avait eu lieu en Turquie, entre les forces aériennes turques et un détachement de Sukhoï Su-27 chinois, une première du genre (voir Reuters, le 8 octobre 2010). (La Chine a d’ailleurs, dans la même tournée du Premier ministre Wen, signé des accords importants avec la Grèce, en soutien économique à ce pays [Xinhua le 4 octobre 2010], ce qui montre le caractère d’offensive régionale de la Chine à cet égard.)

Notre commentaire

@PAYANT Il apparaît évident que les changements déjà marqués ces deux dernières années d’une façon spectaculaire par la Turquie tendent à devenir structurels. Mais ils se placent désormais dans un contexte de plus en plus large et, surtout, de plus en plus complexe. On observera, comme un simple constat, que le Premier ministre Erdogan va relancer sa fureur anti-Israël et anti-US (et éventuellement anti-occidentaliste ?) au Pakistan, à l’occasion d’un rappel de la catastrophe qui a frappé ce pays et pour laquelle la Turquie a fait beaucoup, contrairement à l’Ouest. La Turquie est, comme le Pakistan, un pays musulman “ami de l’Ouest” qui se trouve de plus en plus désenchanté vis-à-vis de l’Ouest (des USA essentiellement). Même si les causes sont différentes, les dynamiques présentent une similitude qui vaut d'être notée comme un événement spécifique.

On observera qu’auparavant, il y a eu des signes importants d’un rapprochement de la Chine et de la Turquie, jusqu’à la proclamation d’un “partenariat stratégique” et, surtout et de façon plus concrète, avec cet exercice militaire turco-chinois, sur le territoire et dans l’espace aérien turcs. Une première pour un pays de l’OTAN, pas vraiment appréciée par le Pentagone, qui n’avait pas été averti et qui a été complètement pris de cours… Là-dessus, observation complémentaire de la précédente, la chaleur d’Erdogan pour le Pakistan en même temps que l’évolution similaire de la Turquie et du Pakistan vis-à-vis des USA concernent un deuxième pays, – le Pakistan, – avec lequel la Chine a traditionnellement d’excellents rapports, au moins pour équilibrer dans sa conception stratégique le poids considérable de l’Inde. Cela ne signifie pas que par réaction primaire de relativité antagoniste, l’Inde se rapprocherait des USA. Cela était déjà annoncé il y a quatre ans mais ce rapprochement a perdu de sa dynamique. Pour l’instant, et notamment au travers de l’énorme perspective de coopération russo-indienne en phase de finalisation sur le chasseur russe T-50 (voir Novosti le 13 octobre 2010), la dynamique stratégique serait plutôt vers ce qui serait un axe Inde-Russie. Cela, également, échappe aux logiques géostratégiques habituelles

Les Chinois continuent à privilégier leurs relations avec l’Iran, et ces relations concrètes très nombreuses ne sont en rien contrariées par les sanctions de l’ONU. De son côté, la Turquie n’a nullement freiné son processus de rapprochement avec l’Iran depuis l’épisode de l’accord sur le nucléaire de mai dernier. Là aussi, il y a concordance, sinon connivence entre la Turquie et la Chine, connivence qui est ainsi liée, du point de vue de la Chine et par le biais de ses relations avec la Turquie et l’Iran, au nouveau bloc dit “northern tier” qui ne cesse d'affirmer sa puissance au Moyen-Orient, qui regroupe notamment l’Iran, la Turquie, la Syrie, éventuellement le Liban, éventuellement l’Irak où l’Iran est plus actif et plus influent que jamais (voir le Guardian du 18 octobre 2010).

Là-dessus, pour ajouter un peu de sel, on doit signaler cette affaire des anti-missiles de l’OTAN, où la Turquie se trouve face à un redoutable problème, notamment en fonction de ses liens avec l’Iran. Comme l’interroge Idiz, est-il possible que la Turquie ait vraiment à faire un choix ? («If this NATO project gets widespread support in NATO, Turkey could easily end up having to choose between the alliance and Iran.») C’est l’habituelle tactique de Washington (du Pentagone) pour forcer les pays récalcitrants à rentrer dans le rang, en les ligotant par des accords techniques d’armement type otanien où l’on est coincé entre l’ultimatum et l’obligation “morale” d’unanimité qui fait partie du conformisme otanien ; le problème, dans ce cas, est que l’“accord technique” a une formidable connotation politique, comme le montre la demande turque que le système ne soit pas décrit comme antagoniste de l’Iran et de la Syrie. Il n’est pas du tout assuré que cette affaire, notamment à cause de ce facteur turc, aille comme sur des roulettes, comme a l’air d’en être assuré le secrétaire général de l’OTAN Rasmussen. Bien sûr, la France ne joue plus à l’OTAN son rôle habituel de partenaire indépendant, qui aurait beaucoup servi dans ce cas à la Turquie et à la cause de l’indépendence vis-à-vis du système otanien, lequel système otanien est désormais complètement un produit du système général du technologisme. Mais ne le regrettons pas trop : la France de Sarko est un pays qui a perdu toutes ses vertus d’indépendance et d’intelligence, toute sa spécificité et son essence, à l’image de ce dérisoire président ; elle les retrouvera en 2012 si Sarko est battu, quel que soit son successeur, tant ce président est de la pire inconsistance qu’on puisse concevoir à cet égard… Il est bien possible que ce soit la Turquie qui, dans cette enceinte, reprenne le rôle traditionnel de la France, des mains un peu tremblotantes d’une France plongée dans une de ses périodes de basses eaux et de “collaborationnisme” (peu importe avec qui, c'est l'esprit de la chose qui compte), –vieille maladie et face sombre de ce pays exceptionnel.

Quoi qu’il en soit, on doit observer combien le paysage est varié, avec de nombreux acteurs, autour de ce qui est en train de devenir une pièce centrale, qui est la Turquie. Nous sommes en pleine évolution, laquelle évolution a été permise par la pauvreté et l’absurdité d’une politique américaniste-occidentaliste guidée par le seul système de force (le système du technologisme) et orientée par des systèmes anthropotechnocratiques totalement hors du contrôle du pouvoir politique. En effet, le pouvoir politique américaniste-occidentaliste n’est plus qu’un souvenir ossifié, à l’exact contraire de ce que sont les pouvoirs politiques en Turquie et en Chine, par exemple. C’est donc de cette sorte de pays qu’il faut attendre des déplacements dynamiques importants. C’est le cas aujourd’hui. (Pour autant, il faut se garder d'en tirer aussitôt des conséquences stratégiques assurées selon la logique géopolitique, parce que cette logique-là appartient à une autre époque... Nous reviendrons sur ce point.)


Mis en ligne le 18 octrobre 2010 à 09H12

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