La vérité toute nue venue de Stratfor...

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La vérité toute nue venue de Stratfor...

La semaine dernière, George Friedman, fondateur et directeur général de la société d’information Stratfor, dite “DIA-bis” (plutôt que “Shadow-CIA”, comme il est dit plus bas) , s’est rendu à Moscou pour l’un ou l’autre séminaire et visite amicale en général. L’on dit que cela a provoqué de considérables alarmes au sein de l’administration et du Deep State de Washington, où l’on voyait déjà Friedman retenu en otage par le monstre-Poutine, et Stratfor menacée une fois de plus (voir le 31 décembre 2011). Aux dernières nouvelles, tout va bien, et Friedman est ou serait en voie d’être de retour vers les USA, dans son Texas favori, savourant les fruits juteux de la Grande République après les fruits honteux de la Fédération-bananière de Poutine.

A Moscou, il a donné l’une ou l’autre interview, et notamment à Kommersant, publication réputée assez libérale. Sputnik.News (le 19 décembre 2014) en a retenu l’un ou l’autre morceau choisi. Essentiellement, on retient l’avis catégorique de Friedman sur le changement de pouvoir à Kiev, les 21-22 février. Friedman ne prend pas de pincettes : c’est un “coup” organisé et exécuté par les cohortes américanistes diverses avec leurs divers sous-traitants ukrainiens, notamment parce que les milieux de sécurité nationale US, inquiets du rôle de la Russie dans l’affaire syrienne, tenaient à prendre leur revanche et à paralyser la Russie en lui fourrant sur ses frontières une Ukraine fondamentalement antirusse. Et pour mieux faire comprendre la chose, il tape sur le clou, semblant dire à qui le lira qu’il s’agit d’une évidence qu’il serait complètement absurde de songer à dissimuler : «Sans aucun doute, ce fut le “coup” le moins dissimulé dans l’histoire.» («Indeed, it was the most overt coup in history» : ainsi, à côté du classique “covert” [opération clandestine], voici donc la catégorie nouvelle du temps-venu des narrative, – l’“opération clandestine” complètement à ciel-ouvert, la moins clandestine de l’histoire, si peu clandestine qu'on peut dire que sa raison d'être et sa façon de faire sont marquées par une volonté absolue de non-clandestinité.)

«The United States is behind the February coup in Kiev, which came in response to Russia’s stance on Syria, said George Friedman, the founder and CEO of Stratfor, a global intelligence company. Russia has repeatedly said that the coup in Kiev was organized by the US, Friedman told Kommersant newspaper. Indeed, it was the most overt coup in history, the political analyst stressed.

»The United States decided to act following Russia’s successes in the Middle East, a key region for the US. Americans saw that Russians could influence what was happening in the Middle East, Friedman said. Russians are one of the many challenges in the region that the US faces, he stated. The US thought Russia’s activities were an attempt to harm Washington, the political analyst told the newspaper, adding that events in Ukraine should be viewed in this context. [...]

»The head of Stratfor, also known as “The Shadow CIA,” insisted that Russia’s involvement in Syria was not the only reason for the Ukrainian crisis. However, many in Washington started to perceive Russia as a problem, the expert told the newspaper, adding that at that time the US decided to divert Russia’s attention away from the Middle East...»

Donc, à l’Ouest rien de nouveau. Puisque nous faisons partie de l’Ouest, bon gré tout autant que mal gré et à notre insu (celui de notre plein gré, comme l’on dit), et que nous sommes dans le camp des antiSystème, nous savons depuis longtemps qu’il y a eu un “coup” à Kiev, le 21 février de cette année, et que quelques porte-flingue de Washington l’ont manigancé directement, au nom de Washington. Nous savons tous cela, sauf toute notre presse-Système, nos élites-Système, nos dirigeants-Système, notre système de la communication et ainsi de suite... A cette lumière bien connue, la déclaration de Friedman est importante, parce que Friedman, vu sa position, vu le statut quasi-officiel de Stratfor comme société agissant pour la communauté de sécurité nationale aux USA, s’exprime avec autant de crédit de communication qu’un “officiel” de l’administration (disons qu’on pourrait le désigner comme un “officiel”-officieux). Dans ce cas, il s’agit bien à notre connaissance d’une véritable première dans le champ de la communication, pour le domaine de la manigance politique du moment ; c’est la première fois qu’un “officiel” de Washington décrit sans ambiguïté, et même avec un brin de provocation, le changement de gouvernement à Kiev comme un “coup”, et ce “coup” comme une intrigue totalement machinée par Washington. Cette fois, on ne peut soupçonner Friedman George de dissimulation, manœuvre, intoxication de ses lecteurs, etc., dans tous les cas pour ce qui concerne les faits. Sans doute est-ce l’atmosphère moscovite, infiniment moins pesante et plus prompte à susciter la sincérité des jugements que celle de Washington, qui a poussé notre expert-Stratfor, à dire en quelques mots la vérité de la situation de Kiev en février 2014.

Cela dit, il faut bien en déduire certaines observations, qui ne sont en aucun cas exclusives d’autres remarques ...

• La première est qu’il est une fois de plus extraordinaire et, finalement, délicieusement abracadabrantesque que toute la fastueuse presse-Système, qui psalmodie depuis des mois la responsabilité totale de la Russie dans la crise ukrainienne, laisse passer cette affirmation d’un expert de ce calibre, quasiment un “officiel” de Washington, sans l’ombre d’une hésitation pour ne pas en mentionner un mot qui justifierait l’une ou l’autre phrase de réserve sur la responsabilité de Moscou dans l’un ou l’autre édito. Sans doute, certainement n’ont-ils rien vu. Sans aucun doute, certainement, s’ils ont vu, ils n’ont pas lu. Sans aucun autre, certainement, s’ils ont lu, ils ont immédiatement déduit le contraire de ce que Friedman a dit, avec des explications extraordinaires concernant sa déclaration, et sans doute l’hypothèse que si Friedman a parlé ainsi c’est qu’il était sous la menace du KGB dissimulé sous son faux-nez de FSB ... Nous voulons dire par là, au travers de ce déroulement farfelu, que le fait d’une telle nouvelle passée complètement inaperçue par ceux qui disent dur comme fer le contraire depuis des mois montre qu’il n’y a strictement aucune possibilité pour que les gens actuellement en place sous les étiquettes étranges de “journalistes”, ou de “commentateurs”, ou d’“experts”, puissent revenir par simple démarche personnelle de modification du jugement à partir d’informations nécessairement irréfutables sur la narrative qu’ils ont suivie jusqu’ici, – celle qui donne Moscou comme unique responsable de tout ce qui appelle une responsabilité.

• ... Ainsi en est-on là, pour ce qui concerne l’état somnambulique de la presse-Système du monde connu sous le nom de bloc BAO ... Certes, si BHO dit demain le “coup” en Ukraine vint de nous et fut accompli par nous, USA, et c’est très bien pour l’avancement de la démocratie du monde, ils écriront tous : “Nous vous l’avions bien dit” sans la moindre préoccupation de ce qu’ils avaient ”bien dit”. La situation de l’information du bloc BAO, de la presse-Système, est au-delà d’Orwell, du somnambulisme, du LSD du docteur Leary, de la lobotomie type-Orange mécanique, etc. Elle est dans une catégorie inédite du déni de tout ce qui a le moindre rapport avec la vérité du monde. Elle flotte dans l’“invérité” (selon le terme forgé par les neocon type-Applebaum Ann, pour caractériser le comportement russe) comme dans un bain de lait d’ânesse (excellent pour leur cuir si épais).

• Cela écrit, pourquoi Friedman a-t-il déclaré ouvertement ce qu’il a déclaré  ? Si l’on suit bien son propos, on comprend qu’il veut signifier que les USA ont agi délibérément pour des raisons diverses, dont l’importance prise par l’action russe en Syrie, et qu’ils semblent décidés à aller jusqu’au bout contre la Russie. Notre sentiment est que ce n’est pas vraiment l’explication, que la part de l’opportunité, de situations non contrôlées, de manigances d’individualités isolées mais stratégiquement bien placées dans la bureaucratie du decision-making à Washington est beaucoup plus grande qu’il ne veut bien dire. Notre thèse est que Washington n’a rien vu venir de ce qu’il affirme être aujourd’hui, par des voix telles que celles de Friedman, un plan mûrement préparé. Dans cette occurrence de l’action US en Ukraine, c’est le Système qui a parlé, avec l’usage manipulateur de quelques “idiots utiles” type neocon et autres (Nuland, McCain, etc.). Mais puisque le vin est tiré il faut le boire, et la direction washingtonienne en vient à proclamer que c’est un grand cru, – conséquence de l’ivresse sans doute venue avant la dégustation du nectar, comme m’existence précède l’essence. Alors des gestes tels que celui de Friedman sont là pour confirmer la version dissimulée mais toute proche de la vérité de situation, en l’embellissant de l’explication d’un plan mûrement réfléchi. C’est alors qu’il s’agit, dans leur chef et par délégation du Système, de signifier à Moscou, Poutine & Cie que les USA ne plaisantent pas, qu’ils sont puissants, invincibles, irrésistibles et déterminés, que leur plan-magistral vient de loin et que la Russie n’a contre eux aucune chance.

• Si l’hypothèse est bonne (il pourrait y en avoir d’autres), un tel luxe d’intoxication à la petite semaine et sans grand effort de présentation puisque la base utilisée (“coup” exécuté par les USA) est vraie montre bien que les USA ne sont absolument pas sûrs d’eux dans la détermination que leur impose le Système et que, par conséquent, ils foncent. Cette tactique de taureau furieux et aveugle (bullish) de type très-américaniste, ne constitue en fait qu’une dissimulation à peine esquissée de cette évidence : la politique US n’existe pas (plus), elle est devenue complètement et sans la moindre retenue politique-Système (voir le 22 décembre 2014), et elle conduit les USA on ne sait où, et où eux-mêmes ne savent ... Ils suivent un déchaînement qui leur est imposé, et priant pour que Poutine veuille bien croire que tout cela est calculé et que l’on sait où l’on va.

Message bien reçu, Friedman-George, mais perplexité plus grande que jamais sur l’étrange destin de l’“Empire” sous l’empire du Système..

 

Mis en ligne le 22 décembre 2014 à 13H53