Le ballet entre BHO et Khamenei, et quelques autres…

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Le ballet entre BHO et Khamenei, et quelques autres…

Il y a des signes précis et significatifs permettant d’apprécier que Washington, ou plutôt Barack Obama, – et cette nuance n’est pas indifférente, – est engagé dans un processus de diplomatie secrète avec le dirigeant suprême (religieux) de l’Iran, l’ayatollah Khamenei. Une hypothèse dans ce sens est régulièrement évoquée depuis janvier, mais elle semble se concrétiser.

Il y a principalement, dans le Washington Post du 6 avril 2012, un article de David Ignatius, spécialisé depuis près de deux décennies dans le rôle de messager, ou “petit télégraphiste”, des nouvelles officieuses et sensibles que les présidents veulent faire rendre publiques sans s’impliquer eux-mêmes. Ignatius annonce que les USA (Obama) ont fait savoir à l’ayatollah, par l’intermédiaire du Premier ministre turc Erdogan (en visite à Téhéran à la fin mars), qu’ils acceptaient le programme nucléaire civil de l’Iran si l’ayatollah Khamenei s’engageait solennellement à s’en tenir à ce stade, en renouvelant notamment son affirmation publique récente selon laquelle l’Iran ne produirait pas d’arme nucléaire.

«President Obama has signaled Iran that the United States would accept an Iranian civilian nuclear program if Supreme Leader Ali Khamenei can back up his recent public claim that his nation “will never pursue nuclear weapons.” This verbal message was sent through Turkish Prime Minister Recep Tayyip Erdogan, who visited Khamenei last week. A few days before traveling to Iran, Erdogan had held a two-hour meeting with Obama in Seoul, in which they discussed what Erdogan would tell the ayatollah about the nuclear issue and Syria. […]

»The statement highlighted by Obama as a potential starting point was made on state television in February. Khamenei said: “The Iranian nation has never pursued and will never pursue nuclear weapons. . . . Iran is not after nuclear weapons because the Islamic Republic, logically, religiously and theoretically, considers the possession of nuclear weapons a grave sin and believes the proliferation of such weapons is senseless, destructive and dangerous.”

»The challenge for negotiators is whether it’s possible to turn Khamenei’s public rhetoric into a serious and verifiable commitment not to build a bomb. When Obama cited this statement to Erdogan as something to build on, the Turkish leader is said to have nodded in agreement…»

Présentant le texte d’Ignatius, le 6 avril 2012, John Glaser observe, sur Antiwar.com, combien les relations entre les USA et l’Iran sont “déséquilibrées”, marquées par des perceptions extrêmement partiales et dévoyées… «Obama’s promise that he would accept an Iranian civilian nuclear program is a bit strange. Iran, under international laws and the treaties it has signed, does indeed have a right to develop a civilian nuclear program. Obama granting Iran that right, while they already have it, is an indication of just how lopsided the relationship is.» Effectivement, ce fait ne peut manquer d’être noté par les Iraniens, qui pourraient considérer que la “concession” d’Obama revient simplement à “accepter” une situation qui existe de toutes les façons par traité depuis de nombreuses années, donc que les USA avaient nécessairement acceptée...

Mais la réaction la plus intéressante vient très certainement de DEBKAFiles, cette voix officieuse des milieux israéliens proches de Netanyahou, et nécessairement extrémistes. DEBKAFiles s’emploie à un exercice calibré de diverses “révélations”, qui a pour but de rendre complètement obsolètes celles d’Ignatius… Sans même mentionner l’article d’Ignatius, en l’ignorant superbement et d’une manière significative, le site publie, un jour plus tard (le 7 avril 2012), c’est-à-dire douze heures plus tard avec le décalage horaire, un texte qui est une réponse à Ignatius, c’est-à-dire une torpille lancée contre l’initiative d’Obama. DEBKAFiles s’y prend simplement : il rend accessible à tous ses lecteurs, ce qui n’était accessible qu’à ses abonnés depuis le 29 mars (à la publication en ligne payante DEBKA-Net-Weekly, n°535) ; c’est-à-dire le texte en six points du message d’Obama transmis par Erdogan à l'ayatollah Khamenei ; c’est-à-dire, devrions-nous comprendre implicitement, le “message” dont nous informe Ignatius. DEBKAFiles affirme tenir ce message de ses “sources iraniennes”, ce qui est tout à fait possible puisqu’il doit y avoir, en Iran, des luttes de tendance pour ou contre un arrangement avec les USA.

Les six points reprennent plus en détails ce qui apparaît dans le texte d’Ignatius, mais avec quelques précisions intéressantes. Citons-en trois :

• L’affirmation que la proposition d’Obama à l'ayatollah Khamenei a le soutien du président russe Medvedev et du président chinois Hu Jin-tao.

• La forme implicite du message, laissant entendre qu’Obama serait bien aidé dans sa campagne de réélection par une réaction favorable de Téhéran, et qu’il saurait s’en souvenir… «By helping to get him returned for a second term, Tehran would find the US president ready to pursue policies agreed between him and Khamenei in the course of their secret dialogue.»

• Le lien établi entre la Syrie et la crise iranienne, et notamment, pour la Syrie, l’affirmation assez remarquable, sinon étonnante, que le président US et son équipe ont travaillé aux côtés des Russes, des Chinois et des Iraniens, pour empêcher une intervention étrangère en Syrie, et que cette même étrange “alliance”, – on pourrait même parler de “coalition” ! – pourrait être reconduite pour régler, de concert et sans fausses notes, la crise iranienne… «The US president believes that a coalition working on the Syrian crisis, composed of Washington, Moscow, Beijing, Tehran and the United Nations (the UN and Arab League envoy former UN Secretary General Kofi Annan was mentioned in this regard) could be equally successful in resolving the Iranian nuclear controversy.»

La forme que prennent les propositions de BHO dans le chef des révélations de DEBKAFiles est étonnante, notamment dans ceci que BHO se place aux côtés du clan Russie-Iran (et Chine, et Turquie), parmi les “chercheurs de paix” dans les crises en cours. Au reste, ce n’est pas complètement impossible, au moins dans l’esprit de la chose, tant les pouvoirs sont aujourd’hui morcelés, principalement aux USA, et donc marqués par des orientations parfois très différentes entre plusieurs centres de pouvoir. (A noter que, dans le texte d'Ignatius, on retrouve une précision qui va dans ce sens, où Poutine est présenté comme l'homme-clef de la résolution de la crise syrienne, avec un soutien sans faille des USA : «Some Arab analysts see a weakening of support for Assad in recent days from Iran and its Lebanese proxy, Hezbollah, whose leader Hasan Nasrallah last week called for a “political solution” with the opposition. The key player in any such managed transition would be Russia’s president-elect, Vladimir Putin. U.S. officials hope he can broker a Syria deal before he meets Obama at the G-8 summit next month.»)

Dans tous les cas, on imagine la réaction des Israéliens de Netanyahou, furieuse et absolument hostile, puisqu'il s'agit là d'une tentative de torpiller (torpille pour torpille) le rêve chéri du premier ministre israélien d'attaquer l'Iran… Et cette réaction se marque par l’affirmation, mentionnée sèchement mais d’une manière définitive, que Khamenei a refusé l’offre de BHO. La chose est assortie de l’affirmation qu’Erdogan a été, à cette occasion, assimilé par les Iraniens à la fourberie américaniste…

«The Iranian leader has not replied to the US president’s communication up until the present. Instead, in the past week, Tehran has turned its guns on Prime Minister Erdogan and refused to accept Turkey as venue for the nuclear talks. Washington has explained this setback by a controversy among heads of the regime in Tehran over the US President’s six points. Our Iranian sources strongly doubt this since, quite simply, the Islamic regime is a one-man show. Khamenei makes the decisions and he has clearly decided not to send a reply.»

Sur ces derniers points, on doit, plus que sur tous les autres, laisser planer l’interrogation, sinon le soupçon, de la déformation, sinon de la désinformation, de la part des Israéliens. La publication du texte de DEBKAFiles revient alors à tenter effectivement de torpiller complètement la “fuite” d’Ignatius. Dans ce cas, on retrouve l’affrontement entre Netanyahou et Obama, et on le retrouve effectivement, comme nous le présentions, à la place centrale de la crise.


Mis en ligne le 7 avril 2012 à 11H41