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8016 juillet 2009 — Les derniers échos avant le sommet USA-Russie montrent que la question du réseau anti-missiles US en Europe (BMDE) reste la préoccupation absolument centrale, dans tous les cas du côté russe mais par conséquence forcée pour le côté US puisque la question conditionne le but central d’Obama d’un accord START-2.
• Des déclarations de Poutine, du 3 juillet 2009 (sur Novosti), allaient dans ce sens d’une façon extrêmement appuyée. (On trouve aussi dans les priorités russes toutes les matières connexes de la sécurité, – la question géorgienne, l’élargissement de l’OTAN, etc.)
«A quelques jours de la visite du président Obama à Moscou, le premier ministre russe Vladimir Poutine a déclaré vendredi [3 juillet] aux journalistes que le renoncement de Washington au déploiement du bouclier antimissile (ABM) en Europe serait une “grand pas en avant”. “Nous avons de nombreux points de vue convergents qui se complètent partiellement. Si nos partenaires américains renoncent à installer de nouveaux systèmes de combat en Europe, notamment leur bouclier antimissile en Europe, s'ils réexaminent leur approche concernant l'élargissement des blocs militaires ou, si à plus forte raison ils refusent totalement à de nouvelles adhésions, ce serait un grand pas en avant”, a indiqué M.Poutine.»
• Les Russes semblaient particulièrement encouragés par l’intervention, à Moscou même, de l’expert US Dimitri Simes, rapportée le 1er juillet 2009, rapportée par Novosti.
«L'administration américaine comprend qu'une importante réduction des armements stratégiques offensifs pourrait exiger à l'avenir un lien étroit avec le problème du bouclier antimissile (ABM), a estimé le président du Centre américain Nixon Dimitri Simes lors d'une conférence de presse au siège de RIA Novosti.
»Pour la première fois, un nouveau traité sur les armements stratégiques offensifs (START) est élaboré en l'absence de traité sur la défense antimissile (ABM). Moscou estime que les projets américains de déploiement des éléments du bouclier antimissile en Europe entravent le processus de réduction des armements offensifs stratégiques.
»“L'administration Obama n'estime pas que cette question (corrélation START-ABM) implique une solution absolument univoque. A l'étape actuelle, il faut proroger l'action du traité START et ce processus doit être achevé avant décembre lorsque ce traité expirera. Formellement, il sera difficile d'imposer un rapport entre les armements stratégiques et la défense antimissile mais je pense que l'administration Obama comprend que de profondes réductions des armements offensifs stratégiques exigeront l'établissement d'un rapport avec la défense antimissile. Et je ne pense pas que cette idée soit rejetée par l'administration américaine en place”, a expliqué l'expert américain.»
Pour les Russes, il s’agit sans aucun doute de l’argument central du débat, qui n’existait pas du temps de l’administration GW Bush parce que cette administration, agissant selon le gouvernement de “la politique de l’idéologie et de l’instinct”, ne reconnaissait aucune règle fondamentale et ne voulait s’en imposer aucune. Il y aurait, chez Obama, une tendance pour ce que Harlan K. Ullman nomme “le gouvernement de la raison”, par opposition à celui de “l’idéologie et de l’instinct”, qui le pousserait à recherche la référence des règlements et accords internationaux. De cette façon, estiment et espèrent les Russes, le système BMDE, qui implique des anti-missiles essentiellement déstabilisateurs et prédateurs de tout accord sur des systèmes stratégiques offensifs (les accords START, en cours de négociation dans leur version START-2), ne peut s’accorder en aucune façon avec un accord START, y compris dans les conceptions d’Obama telles qu’elles sont supposées être. Dans ce cas optimiste (pour les Russes), la logique de Simes aurait exprimé la réalité de la positon de l’administration Obama, la question restant à trancher étant de savoir comment Obama pourrait abandonner le BMDE sans paraître capituler ou faire preuve de faiblesse.
• Là-dessus est venue l’ultime péripétie… D’abord une déclaration d’Obama à Novaya Gazeta le 5 juillet 2009 (dans le Guardian du 6 juillet 2009): «In his interview, Obama acknowledged “Russian sensitivities” over the shield, but said it was needed to protect the US and Europe from a nuclear-armed Iranian missile. He made clear he would not accept Moscow's linkage between arms control and missile defence…»
C’est la réaffirmation par Obama que le BMDE est déployé pour contrer une menace iranienne et n’a rien à voir avec la Russie, ni avec le traité START-2 et la logique des relations stratégiques nucléaires USA-Russie par conséquent. L’argument nous ramène curieusement un an en arrière, du temps de GW Bush, ce qui n’est pas nécessairement en accord avec les “Change”, “Yes, we can” et ainsi de suite.
• Ensuite, la riposte russe, immédiate, un durcissement notable et remarquable à la veille de l’arrivée d’Obama, et cette fois venu de Medvedev que le côté US semblait, assez naïvement ou assez grossièrement, avoir identifié comme le “maillon faible” de la chaîne soi-disant bicéphale de la direction russe.
Dans le Times de ce 6 juillet 2009, quelques mots sur la sortie calculée mais extrêmement ferme de Medvedev, qui jette sur la table (“toutes les options sont sur la table”, comme disent les USA à propos de l’Iran) la pré-condition fondamentale: pas d’accord START si le BMDE reste en l’état.
«President Medvedev threw down the nuclear gauntlet on the eve of President Obama’s landmark visit to Moscow today, challenging him to roll back a planned missile shield in Eastern Europe in return for making huge cuts in Russia’s nuclear arsenal. The challenge came as the two prepared for historic talks on nuclear arms reduction with both already pledging major and reciprocal cuts. Mr Medvedev raised the stakes in an interview with Italian media in which he insisted that any agreement would have to include concessions on the European-based missile shield proposed by President Bush.
»“We believe that these topics are interrelated and for understandable reasons — because offensive nuclear capabilities do not exist by themselves,” Mr Medvedev said. “If we talk about reduction then we must understand how it correlates with defending against these capabilities, with what means we have for missile defence.»
L’habileté est parfois de ne l’être pas trop. En l’occurrence, Medvedev est habile, BHO ne l’est pas vraiment. Le premier met clairement les enjeux sur la table parce qu’il est temps d’être clair, Obama “slalome”, sur l’affaire BMDE comme sur d’autres, notamment en réaffirmant en derrière minute que le BMDE n’a rien à voir avec la Russie, donc rien avec les relations stratégiques USA-Russie, donc rien avec un éventuel START-2. Ces variations US dans l’esprit (l’argument iranien étant sorti du dossier BMDE depuis l’arrivée d’Obama) pourraient sembler habiles, pour renforcer une position de départ de négociations, mais ne l’est pas du tout, parce que nous sommes plutôt au terme d’une phase cruciale de la négociation.
Quoi qu’il en soit, les déclarations de Medvedev concluent une période d’avant-sommet extrêmement intense, en remettant au centre du jeu ce qui est l’essentiel pour les Russes. Du coup, la rencontre est “dramatisée” en substance parce que l’avertissement russe sur le BMDE est daté, puisque lié au traité START-2 qui doit être bouclé le 5 décembre prochain pour succéder à START-1. (Pas d'accord START-2 si le BMDE reste en l'état.) Il est difficile de penser que ce sommet restera comme une manœuvre dilatoire pour dissimuler un désaccord, donc une manœuvre de communication. Même s’ils signent une déclaration cosmétique de bonne intention sur les négociations nucléaires, Russes et Américains sont désormais prisonniers d’une décision qui ne peut être qu’un “oui” ou un “non”: le BMDE, comme les anti-missiles en général, ont ou n’ont-ils pas un “lien” avec START-2? Les Russes l’exigent, les Américains semblent ne plus l’accepter après l’avoir envisagé (formulation nécessairement vague vues les variations observées jusqu’ici du côté US).
C’est un sommet étrange, finalement assez inhabituel. D’habitude, dans tous les cas dans le rituel des “sommets” depuis la fin de la Guerre froide, cette sorte de rencontre est bouclée par avance, quelques jours avant qu’elle n’ait lieu, selon certaines lignes où les deux partis se mettent d’accord; les discussions laissent alors le champ ouvert aux échanges personnels où l’on discute ou pas des conceptions divergentes, des sujets en litige, avec la possibilité de les faire évoluer, parfois d’une façon inattendue et fructueuse; d’une façon assez courante, ces débats, s’ils sont importants, n’apparaissent pas dans le résultat du sommet et servent surtout à préparer l’avenir. Cette fois, au contraire, c’est la matière centrale du sommet elle-même, les négociations nucléaires entre les USA et la Russie, qui est en jeu sans qu’on sache vers où le cas évoluera finalement d’ici la fin du sommet. Cela fait de ce sommet un événement important quoi qu’il arrive, puisqu’il implique en lui-même un enjeu considérable. Même s’il ne donne aucun résultat, le sommet aura une grand signification, autant pour les relations USA-Russie que pour les positions des deux directions l’une vis-à-vis de l’autre, que pour la position de ces deux directions dans leurs pays respectifs (cela, essentiellement pour Obama à Washington).
La cause de tout cela, ironie du sort ou (et) continuité d’une politique américaniste de déstructuration systématique, c’est le legs de GW Bush; il s’agit du cadeau empoisonné du BMDE, ce système sans justification stratégique fondamentale pour lui-même, donc qui ne résout aucun problème, et qui, avec son projet d’installation, en a créé au contraire de nouveaux, artificiellement mais d’une façon dramatiquement pesante. Il n’est rien de pire que les faux-problèmes stratégiques qui prétendent être fondamentaux, car alors leur résolution repose sur l’essentiel sur des calculs d’influence, des positions d’apparence dépendant de l’effet et nullement de la substance de la chose. Le BMDE, on l’a déjà dit, est une pure création du système, qui emprisonne les créatures du système autant que celles qui prétendent sortir du système ou le maîtriser.
Les appréciations sont en général qu’il ne faut pas trop attendre de ce sommet, qui devrait moins tenir qu’il n’a semblé promettre, qu’au mieux les relations USA-Russie s’amélioreront peu à peu, ou bien qu’elles stagneront. Ce n’est plus vraiment notre avis après ces derniers événements. Ce sommet devient au contraire de plus en plus un sommet de tension et, quels que soient ses résultats, dans un sens ou l’autre, les effets même sur le court terme ne seront pas faibles ou anodins quel que soit le maquillage cosmétique utilisé à l’occasion de la rencontre. La possibilité très claire est plutôt, désormais, que le sommet ouvre l’alternative d’une amélioration importante des relations entre les USA et la Russie ou d’une détérioration brutale après la période de préparation optimiste et conciliante de l’administration Obama depuis février. Par exemple, si le traité START-2 devait ne pas être signé avant le terme de START-1 (en décembre), à cause essentiellement du BMDE, la tension entre la Russie et les USA pourrait conduire à nouveau à une crise.
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