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11181er septembre 2009 — Nous revenons sur l’information que nous commentions le 27 août 2009, qui a depuis été beaucoup commentée, sur le possible abandon des bases polonaise et tchèque du système BMDE. Nous y revenons avec principalement un article du New York Times du 29 août 2009 – article par conséquent écrit avec une grande précaution, puisque trois jours après l’article du journal polonais Gazeta Wyborcza lançant la spéculation. Compte tenu de ce que l’on sait du New York Times, de ce que l’on veut bien en admettre à propos de son rôle de porte-voix “officieux” de l’establishment de la sécurité nationale washingtonien, on peut considérer que cet article représente la position de l’administration Obama, telle que cette administration veut la faire connaître.
Il semble assuré, de toutes les façons, que nous soyons proches d’une décision, et il semble également assuré qu’Obama aimerait pouvoir en disposer à temps pour en faire part directement à Medvedev, lors d’une rencontre en marge de la réunion annuelle de l’Assemblée des Nations-Unies. («Administration officials said they hoped to complete their months-long review of the planned antimissile system as early as next month, possibly in time for President Obama to present ideas to President Dmitri A. Medvedev of Russia at a meeting in New York during the annual opening at the General Assembly of the United Nations.»)
Hormis cela, on assure à nouveau que rien n’est décidé, que tout est possible, compris bien sûr la confirmation du choix des bases en Pologne et en Tchéquie; mais qu’il existe effectivement des voies alternatives (qui ont déjà été évoquées). L’on comprend, par ailleurs, que c’est du sérieux – qu’effectivement, l’orientation initiale Pologne-Tchéquie pourrait être abandonnée.
«People following the review, including anxious officials in Eastern Europe, said they thought that the administration was preparing to abandon the Polish and Czech sites. “It is clear that Eastern Europe is out of the epicenter of this American administration,” said Piotr Paszkowski, a spokesman for Poland’s foreign minister. “The missile defense system is now under review. The chances that it will be in Poland are 50-50.”
»Dmitry O. Rogozin, Russia’s ambassador to NATO, said Moscow anticipated news from Mr. Obama in September. “I hope that Medvedev will take some good result from this bilateral discussion in New York, and maybe in October we will live in a new world in Russian-American relations,” he said.
»Administration spokesmen said it was premature to discuss what the review would conclude or when it would be finished. “Our review of our missile defense strategy is ongoing and has not reached completion yet,” said Philip J. Crowley, a State Department spokesman. […]
»Polish fears that the United States was having second thoughts were heightened after diplomats learned of a meeting last week in Huntsville, Ala., that included generals who oversee missile defense, including Gen. James E. Cartwright, vice chairman of the Joint Chiefs of Staff, and Gen. Kevin P. Chilton, head of the United States Strategic Command.
»“What was revealing about such a high-level gathering was that the speakers did not discuss how and when the missile shield would be deployed in Poland and the Czech Republic,” said Riki Ellison, chairman of the Missile Defense Advocacy Alliance, a Washington-based lobbying group, who attended the meeting.
»But administration officials rejected the assertion that a reformulated missile defense system would forsake Eastern European security. “We definitely are not abandoning our commitment to defend our European allies from a missile threat from Iran,” said one official, speaking on condition of anonymity because the review was not complete. “We are exploring options that will enhance the defense of our European allies.”»
Les extraits ci-dessus montrent combien la préoccupation est grande de la part des officiels de l’administration Obama qu’il ne soit trop vite conclu que la décision d’abandon du schéma Pologne-Tchéquie est prise. La répétition continuelle, par les deux journaliste scrupuleux qui ont écrit l’article, des mises en garde des “officiels”, de ne rien tenir pour acquis, est révélatrice. Par ailleurs, il y a, selon nous, plusieurs éléments qui militent pour considérer que la décision d’abandon du schéma Pologne-Tchéquie est désormais possible, sinon probable.
• La déclaration officielle du porte-parole du ministère des affaires étrangères fixant à 50-50 ces chances d’abandon est en soi assez peu ordinaire – essentiellement, justement, parce qu’elle est officielle. Elle constitue une spéculation officielle tenant pour acquis le fait que l’engagement US avec la Pologne n’est plus valable catégoriquement (alors qu'il a eu un accord officiel conclu le 14 août 2008); cela rend compte d’une position officielle très suspicieuse, qui en dit long sur le sentiment réel des Polonais. Ce “sentiment réel” est renforcé par l’appréciation qui accompagne la déclaration officielle («It is clear that Eastern Europe is out of the epicenter of this American administration»), qui constitue l’amorce officielle d’un jugement très défavorable sur l’attitude US vis-à-vis des relations avec la Pologne, presque une condamnation polonaise de cette attitude.
• …On peut d’ailleurs poursuivre et renforcer le point précédent en observant qu’aujourd’hui même, Vladimir Poutine et le Premier ministre Donald Tusk ont eu une rencontre, à Varsovie, qui s'est faite dans la meilleure humeur du monde – comme si la Pologne se préparait effectivement à prendre acte de ce “désintérêt” des USA pour l’Europe et commençait à en tirer les conséquences – savoir, un rapprochement avec la Russie… (Novosti, ce 1er septembre 2009: «Les relations russo-polonaises se trouvent actuellement au point le plus élevé depuis la chute du rideau de fer, estime le premier ministre polonais Donald Tusk. “Les relations entre la Pologne et la Russie sont actuellement meilleures que jamais. Peu importe la réduction de nos échanges en raison de la crise. Nous cherchons à les rendre beaucoup plus dynamiques”, a-t-il déclaré mardi lors d'une conférence conjointe avec son homologue russe Vladimir Poutine.»)
• L’annonce qu’Obama voudrait communiquer en personne à Medvedev la décision US, lors de leur rencontre à New York. On peut certes considérer ce point comme valable dans les deux sens; en cas de confirmation du choix Pologne-Tchéquie, Obama voulant tenter d’atténuer le choc auprès des Russes, mais il s’agit d’une option risquée car elle mettrait en évidence une décision anti-russe et conduirait sans aucun doute à une grave altération des relations Russie-USA, encore plus au travers des relations personnelles avec Medvedev, qui se jugerait discrédité. Il reste donc que l’interprétation selon laquelle Obama voudrait annoncer une décision favorable aux Russes (abandon du choix Pologne-Tchéquie), et capitaliser sur cette annonce, est plus probable. Dans ce cas, Obama chercherait d’une part à renforcer ses relations personnelles avec Medvedev, d’autre part à obtenir des engagements ou au moins un soutien plus ferme du Russe sur des sujets qui importent aux USA (Afghanistan, Iran, accord START-2), dans l’euphorie de l’annonce de l’abandon du choix Pologne-Tchéquie.
• Il faut revenir sur ce que nous disions le 27 août 2009. Dans l’article du NYT, comme on le voit, l’appréciation de Riki Ellison et la mention du séminaire à Huntsville que le même Ellison cite sont pris en considération comme des faits majeurs. Cela tend à confirmer que le lobby du complexe militaro-industriel, les militaires eux-mêmes, se satisferaient d’un changement d’option, à partir du moment où cela suppose pour eux des engagements ailleurs, notamment au niveau de bases militaires nouvelles, et, également, avec la promesse de développement de systèmes nouveaux pour l’occasion. (On cite effectivement, un peu partout comme Ellison lui-même, une version terrestre du missile SM-3 qui fait partie du système AEGIS embarqué à bord de croiseurs de l’U.S. Navy.)
La décision concernant les bases en Pologne et en Tchéquie du système BMDE est-elle prise ou sur le point d’être prise? Dans tous les cas, le climat évolue nettement dans le sens de considérer l’abandon de ce qui n’est plus qu’une “option” parmi d’autres. Politiquement, l’absence d’affirmation politique en faveur de ces bases de la part de l’administration Obama est un handicap grandissant pour leur installation, parce que justement cette installation a pris une dimension politique considérable. Si, demain, l’administration Obama annonçait qu’elle confirme l’“option” Pologne-Tchéquie après avoir laissé filer toutes ces supputations sur son abandon et créé un climat politique dans ce sens, elle provoquerait presque à coup sûr une crise grave avec les Russes. Pour le coup, les Européens de l’Ouest type France et Allemagne, qui ont jusqu’ici plutôt joué à l’autruche dans cette affaire, seraient obligés de prendre position – et l’on sait dans quel sens puisque, pour ces deux pays, les bonnes relations avec la Russie priment tout.
Disons que, pour cette raison finalement (on en a vu d’autres plus haut), l’abandon de l’“option” Pologne-Tchéquie nous semble très possible, plus que le “50-50” dont parle officiellement le ministère polonais des affaires étrangères. C’est alors que certains problèmes commenceraient à se poser pour Obama à Washington, puisqu’il serait instantanément accusé de s’incliner devant la Russie. (C’est alors qu’on pourrait ressortir l’interview de Biden, pour l'apprécier à sa juste valeur et en goûter la saveur.)
Ces observations conduisent à s’interroger à nouveau sur le comportement politique d’Obama, ou de l’administration Obama. La voie politique finalement choisie est la pire de toutes puisqu’elle réserve, quelle que soit la décision, un foyer de tension supplémentaire avec l’un ou l’autre camp. On retrouve le principal caractère du président US, qui devrait être une qualité mais qui s’avère plutôt un travers: fonctionner avec prudence, en ménageant tout le monde, dans une époque où un tel comportement n’est plus possible si l'on veut poser de réelles décisions, avec le désavantage qu’on ne sait pas très bien dans quel sens va sa politique, tout cela dissimulant peut-être une certaine forme d’indécision ou de crainte de la décision.
Qu’on compare la situation US actuelle dans le cas où Obama abandonnerait finalement l’“option” Pologne-Tchéquie à celle où le président aurait annoncé solennellement, très vite dans les premiers mois de son mandat, l’abandon de ces bases dans le but proclamé d’établir de nouvelles relations avec la Russie, d’établir un nouveau système de sécurité en Europe, etc.; qu’on mesure alors le poids politique qu’il aurait acquis, y compris auprès des Russes. Certes, il se serait aliéné certaines forces, la bureaucratie, les groupes de pression néo-conservateurs, les pays d’Europe de l’Est, etc. Mais fera-t-il mieux cette fois, avec les précautions qu’il a prises, toujours selon le cas de l’abandon de l’“option” Pologne-Tchéquie? Il sera tout de même accusé d’être une sorte de Chamberlain face à la terrifiante menace d’abandonner toute l’Europe de l’Est aux panzers de Medvedev et ainsi de suite. Il n’aura pas la stature politique pour renvoyer ses adversaires à la niche, contrairement à l’hypothèse d'une décision très rapide.
Inversons l’observation en évoquant l’autre hypothèse, qui serait la confirmation de l’engagement envers la Pologne et la Tchéquie. Après toutes ces spéculations vers l’abandon, la crise avec la Russie serait certainement très dure et pousserait Obama dans une situation maximaliste qui ferait de lui l’otage des extrémistes washingtoniens, qui le soutiendraient comme la corde soutient le pendu.
L’une des ironies de cette affaire du BMDE est que son évolution actuelle pourrait la conduire à devenir une nouvelle cause d’affrontement intérieur aux USA, principalement à cause de la façon dont l’administration Obama l’a conduite depuis qu’elle est au pouvoir. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que, par sa “méthode”, Obama peut être conduit à gâcher les effets positifs pour lui-même de décisions qui peuvent être, dans certains cas, très intéressantes.