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1229La notoriété du “bon docteur Paul”, le parlementaire républicain du Texas Ron Paul, passe au cran supérieur. Elle atteint maintenant la culture mainstream européenne, comme le montre cet article de Stephen Foley, dans The Independent du 2 décembre 2009. L’article s’attache certes aux idées de Ron Paul mais également à la montée de sa popularité dans toutes les couches de la société US. C’est ce dernier point qui est intéressant.
«The 74-year-old Congressman from Texas, with his skinny frame and his hangdog face, is about as unlikely a poster child for the future of the Republican party as you are likely to find, but his ideas have struck chords with libertarian-minded college kids. Dismissed last year as the token nutjob in the line-up of Republican presidential candidates, his insurgent campaign proved surprisingly tenacious. Young people at music festivals wore "Dr Paul cured my apathy" badges, he spawned an internet fund-raising movement that had echoes of Barack Obama from the other side, and to this day he has a stronger YouTube presence than any other Republican politician.
»To the extent that Paul is known outside the US, it is as the poor guy propositioned in a hotel room by a trouser-less Sacha Baron Cohen, in his movie Brüno. Paul flees, shouting: “he's queer, he's crazy, he hit on me”. But in the US, his books now become instant best-sellers and he tours university campuses pushing a libertarian agenda. Where once he believed he was seeding the ground for a movement that would triumph well after his own career is over, to his own astonishment, policies he has espoused to almost universal ridicule for decades might just be about to go into law.
»And this is why the economic and political establishment fears Ron Paul as one of the most dangerous men in America. His innocuous-sounding plan to subject the US central bank to a regular audit of its activities is a Trojan horse for the wider aim to End the Fed – the title of his latest book. Behind the liberal-sounding policies lies an audacious agenda to erase 100 years of economic orthodoxy and take the US back to a Nineteenth-century version of every-man-for-himself capitalism. Inch by inch, he is making progress. “The college kids I think are interested in the anti-war position, in personal civil liberties and allowing them to do with their own lives what they want – but I tell them, if you ruin your own life don't come begging the government to take care of you.”» [..]
»Paul's apocalyptic vision of a post-empire America, bankrupt and swept clean of federal government welfare and war spending, seems less fanciful with every day the dollar declines on the global currency markets. Foreign governments are mulling creating new currency units for trading oil and other commodities and for storing as reserves. The Texan Congressman is only saying the same things he has always said, but now fewer people think he sounds mad. And on America's wars he is certain of one thing: they will end.»
@PAYANT Il y a, dans cet article à la gloire de Ron Paul, mais écrit sur un ton étonné, avec un zeste de scepticisme qui rend cette gloire ambigüe, il y a une incompréhension de l’événement, certainement par inadvertance, par simple paresse de confronter les faits relevés par ailleurs dans le même article. Il suffit d’aligner les trois citations suivantes…
• D’abord ce constat : «And this is why the economic and political establishment fears Ron Paul as one of the most dangerous men in America.» …
• Puis, cette déclaration de Ron Paul où le “bon docteur” nous confie qu’il ne fait rien que mettre au jour un immense mouvement qui bouillonne sous la surface en apparence conforme des choses: «What was boiling out there I just brought to life. This material has been available in a quiet way on the internet and from a few libertarian think-tanks, but I was pretty shocked when college kids started calling out “End the Fed, End the Fed.”»…
• Enfin, cette remarque dont tout le monde devrait désormais connaître la très forte réalité puisque 313 députés des 435 de la Chambre des Représentants soutiennent la loi HR 1207 de Ron Paul sur (ou plutôt contre) la Federal Reserve, qui vient d’être approuvée par la puissante commission des affaires financières de la Chambre par 43 voix contre 26: «Every year for decades, Paul has introduced a bill calling for an audit of the Fed, but it was only this year, amid public anger over the Fed-financed bailouts of Wall Street, that Paul has found a rag-bag of politicians rallying to his cause.»
“Rag-bag” (“ramassis”, “pot-pourri”) de politiciens, 313 députés sur les 435 que compte la Chambre? Nous parlerions plutôt d’une très confortable et honorable majorité. Jusqu’à nouvel ordre, la Chambre fait partie de l’establishment, de cet “establishment économique et politique [qui] craint Ron Paul comme l’un des hommes les plus dangereux de l’Amérique” («…the economic and political establishment fears Ron Paul as one of the most dangerous men in America»). Ainsi y a-t-il dans cette apparente contradiction – l’une des structures de l’establishment soutenant aussi majoritairement l’homme que craint le plus l’establishment – la marque d’une l’incompréhension du “phénomène” qu’est la popularité de Ron Paul – cette popularité, signe des temps logique bien plus qu’un “phénomène”…
Ron Paul, lui, par contre, ne s’y trompe pas, et c’est certainement un point de plus à mettre au crédit de son honnêteté intellectuelle. Il ne dit pas nécessairement que tous les Américains sont des libertariens extrémistes qui s’ignoraient (c’est-à-dire des adeptes du marché libre intégral) mais plutôt que lui, Ron Paul, par certains aspects de son programme, concrétise un bouillonnement, une rage froide qui parcourt aussi bien l’opinion publique que, d’une certaine façon, l’establishment lui-même, ou une partie de cet establishment. Il n’y a, dans cette agitation, nul complot ni vaste dessein, non plus qu’une révolte organisée. Il y a d’abord un immense désordre qui est la caractéristique sous-jacente de ce système de l’américanisme sans colonne vertébrale régalienne, sans aucun sens collectif du bien public; il y a ensuite un non moins immense désarroi qui se développe contre les effets catastrophiques de cet immense désordre, comme le montre l’enquête PEW que nous commentons ce même 4 décembre 2009. Tout cela fait que les uns et les autres, y compris les gens de l’establishment, évoluent dans une sorte de double comportement; d’une part la défense de l’“ordre établi” – mais l’expression “désordre établi” conviendrait mieux; d’autre part, un comportement de révolte contre les effets constatés chaque jour de l’action du système et de son “désordre établi”, des échecs, de la paralysie, de la crise financière et de la crise économique, etc. Et insistons là-dessus: même des membres éminents de l’estblishment ressentent cela et montrent ce double comportement.
Le mal est si profond qu’il ne s’agit évidemment pas d’une simple question de programme. Même si Ron Paul et la Chambre arrivent à avoir la peau de la Fed et à mettre à jour ses turpitudes, rien ne sera réglé. Le désordre sera encore plus grand, et le constat qu’à partir de ces turpitudes de la Fed, d’autres turpitudes sont à mettre à jour, et ainsi, détricotant toute la structure du système… Les mots inspirent la pensée: “détricoter” la structure, c’est-à-dire déstructurer. L’aventure ne peut conduire, dans sa logique d’enchaînement, qu’à la mise en pièces du système, se traduisant dans la réalité politique et géographique (plutôt que “géopolitique”, qui implique une certaine forme d’organisation de puissance d’un mouvement alors qu’il s’agit d’une dynamique centrifuge incontrôlée) à un besoin de rupture, de dislocation, de l’entité monstrueuse que sont les Etats-Unis d’Amérique. C’est tout le mal qu’on peut souhaiter à la situation du monde.
Mis en ligne le 4 décembre 2009 à 13H48
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