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120412 décembre 2011 – L’exhibition du QR-170 de la CIA “capturé” par les Iraniens, ou bien “pris en charge” électroniquement par les Iraniens, ou bien encore “détruit” par les Iraniens (selon Loren B. Thompson dans les premières heures après l’annonce de la chose), tout cela selon l’avalanches de “sources” venues de tous les côtés à l’intérieur d’un bloc BAO qui n’a jamais été aussi bavard, présente un cas intéressant d’imbroglio. On y voit les deux sous-systèmes du Système, – le système du technologisme et le système de la communication, – œuvrant de concert pour transformer ce que nous nommions “the fog of war” en un épouvantable brouillard londonien où l’on ne voit plus littéralement à un mètre.
On a vu effectivement (malgré le brouillard), notamment dans les deux textes de la rubrique Analyse que nous avons consacrés à l’événement, les 7 décembre 2011 et 9 décembre 2011, combien cet événement concernait à la fois le système de la communication et le système du technologisme.
Le système de la communication a réagi dans un mode très “sensationnaliste”, en donnant effectivement une dimension publique dramatique à l’événement. Il faut noter qu’une majorité de sites spécialisés, ceux qui auraient dû réagir en priorité, – des sites comme Aviation Week & Space Technology (AW&ST), AOL.Defense.com, DoDBuzz.com, EPL.com, etc., n’ont réagi que d’une façon très mesurée, sinon modeste, se contentant au mieux de reprendre des informations publiées par ailleurs et n’avançant que très rarement des hypothèses, parfois même ne disant mot de l’évènement. (Seul le site Danger Room, mais surtout à cause de sa spécialisation en électronique, a réagi de façon assez substantielle. Hors USA, DEBKAFiles a réagi substantiellement, surtout à cause des implications de la chute du RQ-170 pour Israël.) Il est probable que certaines revues spécialisées (AW&ST) reviendront sur le problème, mais au terme d’enquêtes approfondies auprès des services officiels et industriels concernés, donnant donc des explications techniquement justes mais politiquement orientées selon les options choisies par ces milieux (soit dramatiser l’affaire pour obtenir des aides supplémentaires pour développer de nouveaux systèmes ; soit “dédramatiser”, en minimisant au maximum les dégâts causés et les capacités iraniennes).
D’une façon générale, c’est la presse-Système standard (New York Times, Los Angeles Times, et le reste) qui a traité la question jusqu’à maintenant, en faisant certes appel aux “experts” habituels mais en donnant à l’ensemble des dimensions à la fois polémiques et politiques marquées. Pour le système du technologisme, avant même d’être le problème d’un accident technologique de première grandeur, il s’agit de l’Iran, problème politique, polémique et idéologique.
Le résultat a été une réelle cacophonie dans les appréciations de l’évènement, d’ailleurs conduite par les hésitations et les voltefaces, voire les appréciations différentes des différents services officiels. Il s’en est dégagé une perception de grande incertitude qui s’est greffée très rapidement, par entraînement habituel de la psychologie obsessionnelle caractérisant le Système en général, sur la sensation d’un incident d’une extrême importance, pouvant introduire des bouleversements fondamentaux dans les situations stratégiques et dans l’emploi des technologies. En effet, toute l’affaire a été perçue sur le fond d’une certitude affirmée des très grandes capacités du RQ-170, en capacités opérationnelles autant qu’en emport de masses d’informations d’une extrême sensibilité, par conséquent de l’importance à mesure de la “prise” pour les Iraniens. C’est à ce point que l’on passe au point de vue du système du technologisme.
Ce point de vue, nous en avons parlé plus précisément dans notre Analyse du 9 décembre 2011. Il s’agit de la nécessité, pour les bureaucraties inscrites dans la logique du système du technologisme, et qui se trouvent à son service, de suivre absolument les prescriptions absolutistes du système du technologisme pour l’usage des systèmes qui assurent l’“opérationnalité” des technologies. C’est la logique même de la surpuissance, qui se traduit en termes stratégiques par des concepts de plus en plus mécaniques, de plus en plus centralisés, de plus en plus ambitieux au niveau du contrôle et de la domination des situations dans des espaces toujours agrandis, de plus en plus éloignés en termes spatiaux et techniques du contrôle humain.
Avec le RQ-170, UAV bien entendu sans pilote (Unmanned Air Vehicle), qui fait partie d’une génération de systèmes opérationnels intégrant cette logique absolutiste, évidemment mécaniste puisqu'il n'y a aucune intervention humaine immédiate en lieu et temps réels à l’intérieur du système, cette logique joue à plein. Nous avons décrit dans des termes de plus en plus paradoxaux et contradictoires, sous forme d’un gigantesque sophisme mariant la nécessité de la perfection du fonctionnement jusqu’à l’obsession, et l’alimentation du doute quant à cette perfection jusqu’au point ultime du “doute ultime”, subsistant même lorsque la raison dit que la perfection est atteinte, à cause de cette obsession que nous signalons, – et signalions dans le texte référencé, – cela, sous la forme suivante :
«Le système du technologisme, dans sa surpuissance majestueuse, ne peut effectivement, comme on l’a dit, ne prendre aucun risque de laisser quelque place que ce soit à l’hypothèse, au hasard, à la probabilité, même extrêmement limitée, même infiniment minime. Le système du technologisme embrasse le monde et, par conséquent, ne se satisfait que de la perfection dans son domaine qu’il doit maîtriser absolument ; cette recherche de la perfection est nécessairement une quête sans fin car il n’existe aucune référence absolue qui garantisse de la perfection ; ainsi la recherche de la perfection devient-elle obsession, c’est-à-dire une pathologie de la psychologie, qui implique désarroi, anxiété et ainsi de suite, qui se développent à mesure inverse de la progression dans la réduction du doute qu’implique cette recherche de la perfection que nécessite le système du technologisme… Au plus on croit s’approcher de la perfection dans la recherche de la perfection qu’implique la certitude de l’accomplissement parfait de la surpuissance du système du technologisme, au plus cette recherche nourrit la crainte du doute qu’on ne pourra pas complètement supprimer, jusqu’au doute ultime, le plus infime, ce grain de sable final qui, au bout du compte, vous fera douter de cette perfection elle-même, exactement lorsque votre raison vous dira que vous l’avez atteinte... Dieu doutant de Dieu, en quelque sorte.»
Il est évident que, dans le cas de l’incident iranien du RQ-170, l’interférence entre les deux systèmes (de la communication et du technologisme) est extrêmement forte. Les deux systèmes ont des buts et des intérêts différents, qui ont été extraordinairement mis en évidence dans cette affaire. Le goût, sinon le besoin du sensationnalisme, les interférences idéologiques et publicitaires (de la part des experts), constituent des facteurs très déstabilisants qui élargissent sans cesse le débat vers un nombre d’hypothèses toujours plus grand et multiplient les perceptions à mesure, qui accroissent par conséquent monstrueusement, par ses effets de communication, la faiblesse psychologique du système du technologisme. Cette psychologie du système du technologisme est plongée dans la recherche obsessionnelle de la perfection pour justifier l’emploi absolu des technologies, et l’accomplissement de la surpuissance, et cette perfection requiert un contrôle absolu, c’est-à-dire parfait (variante de la perfection, là encore) de l’opérationnalité de la perfection et une réduction à zéro du nombre d’alternative(s) par rapport à la perception lisse et parfaite de sa surpuissance que ce système veut susciter.
Le système de la communication a entretenu le développement du maximum d’interprétations et d’alternatives sur le sort du système, sur ses capacités, sur les conditions de son destin (destruction ou pas, capture ou pas, etc.), et jusqu’à l’élément complètement nouveau d’une hypothèse de plus en plus acceptable que les Iraniens, seuls ou avec l’aide d’autres (dont les Russes), possèdent des capacités technologiques très avancées, notamment pour contrer les capacités US. Face à cela, le système du technologisme s’est replié dans le déni, le silence ou l’incohérence, parce qu’il s’est trouvé complètement ramené à une seule question qui est le sort d’un seul QR-170 et des renseignements et systèmes qu’il contient, comme seul argument concernant la réelle valeur de sa surpuissance.
Le résultat est qu’un doute fondamental, – le “doute ultime” devenu structurel dans ce cas, – s’est introduit à propos de cette surpuissance, doute qui alimentera évidemment la dynamique d’autodestruction qui est l’alternative obligée à la surpuissance, qui apparaît dès que la perfection même de la surpuissance est mise en doute. Les agences et officiels du système du technologisme, notamment aux USA où les contacts sont entravés par les concurrences et les défiances, ne savent pas exactement ce que contenait ce QR-170 mais savent qu’il contenait beaucoup, sinon plus encore; ils ne savent pas ce que les Iraniens ont fait du QR-170, c’est-à-dire comment ils l’ont récupéré ; ils ne savent pas enfin ce qu’ils en ont tiré… Ils sont complètement dans le “brouillard de la guerre”, notamment à cause de l’écho suscité par la puissance du système de la communication, entraînant les réactions d’exploitation de l’affaire par les Iraniens.
Tout cela permet d’observer les caractères de la situation générale du Système dans cette occurrence, concernant les systèmes de technologies militaires avancées à capacités stratégiques maximales dans les opérations militaires telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui. Encore par “opérations militaires” entend-on, dans ce contexte d’automatisme, d’utilisation jusqu’à l’extrême des hautes technologies, d’une politique faite à la fois de dissimulation et de brutalité illégale, qui caractérise la stratégie elle-même, la sécurité dans son sens le plus large, – et, selon une logique de l’inversion, “la sécurité dans son sens le plus large” réduite à ce type d’“opérations militaires” telles que nous les avons définies… Ainsi, en parlant d’“opérations militaires” telles que le représentent le RQ-170 et son aventure iranienne, nous parlons finalement de la politique de sécurité dans son ensemble, absolument absorbée par ces matières d’automatisme, d’utilisation jusqu’à l’extrême des hautes technologies, etc.
Ainsi comprend-on, avec le cas du RQ-170 dans le contexte le plus large où il est évoqué, que jamais la modernité militaire n’a été aussi concentrée dans les types de systèmes automatisés qu’elle engendre ; jamais la modernité militaire n’a été aussi complètement centralisée dans un certain type de systèmes militaires, qui sont eux-mêmes concentrées dans une centralisation de maîtrise et d’opérationnalité d’une exceptionnelle puissance ; jamais le contrôle de cette centralisation n’a été aussi éloignée du théâtre où opèrent les systèmes qui sont sous son contrôle, autant que de son maniement… Cela signifie que ce qui conduit et détermine aujourd’hui la politique de sécurité nationale et ce qu’on nomme encore “stratégie” n’ont jamais été aussi dépendantes de systèmes aussi spécifiques, aussi concentrées, et d’une puissance aussi considérable, laquelle puissance s’effondre totalement avec la destruction ou la capture d’un tel système comme dans le cas iranien. (On doit rappeler les précisions de DEBKAFiles concernant le RQ-170, qui n’ont pas nulle part été démenties, directement ou indirectement : «Western and Israeli war planners now have cause to fear that Iran has penetrated the heart of their most secret intelligence and electronic technological hardware for striking its nuclear infrastructure. […] …not only […] the secrets of the Sentinel's stealth coating, its sensors and cameras, but also with the data stored in its computer cells on targets marked out by the US and/or Israeli for attack…»)
En un sens, à la lumière de l’analyse de DEBKAFiles, il s’agit d’une situation qui, pour un théâtre d’opérations au moins, correspond au système financier, – à part que l’habituel bail-out de la Fed est impossible : lorsque la banque Lehman Brothers est tombée en faillite le 15 septembre 2008, elle devait entraîner tous les autres s’il n’y avait pas eu de bail-out ; si les informations “encryptées” du RQ-170 sont “décryptées” par les Iraniens (et l’on sait que la bureaucratie est toujours obligée de supposer le pire), c’est tout le plan d’attaque de l’Iran qui tombe puisqu’aucun bail-out n’est possible… Il s’agit d’un tournant complet par rapport à l’organisation des anciens outils technologiques de la stratégie, où chaque véhicule était enfermé dans une autonomie propre, mais réduite à sa propre capacité, à son seul objectif, et n’impliquant nullement les plans ou les capacités de la stratégie générale. Aujourd’hui, l’autonomie d’un RQ-170, qui devient indépendance destructrice en cas de perte de contrôle, implique l’exposition à l’ennemi éventuel, avec ses éventuelles capacités, de toutes les caractéristiques de la stratégie générale.
Ainsi peut-on mesurer les caractères de la surpuissance quasi absolue du système du technologisme dans ce domaine, mais aussi sa vulnérabilité opérationnelle quasi absolue telle qu’elle apparaît comme une contrepartie diabolique. Là-dessus, et c’est pour nous le plus important, les intérêts conflictuels entre le système du technologisme et le système de la communication, tels que décrits plus haut, haussent l’affrontement à un niveau jamais atteint à cause de ce rapport surpuissance-vulnérabilité opérationnelle du système du technologisme. Ainsi peut-on considérer que jamais le système du technologisme dans son fonctionnement n’a été aussi fortement menacé par le système de la communication, par la valeur même de l’enjeu. Il s’agit d’un événement extrêmement réduit dans ses apparences diverses, ne serait-ce que par les dimensions du RQ-170, et ce caractère extrêmement réduit lui-même incite le système de la communication au sensationnalisme, à la polémique, etc., avec cette sorte de conviction psychologique inconsciente que cette dimension même conduit à penser qu’on ne met pas en cause la surpuissance elle-même. Le système de la communication aurait nécessairement une autre attitude s’il s’agissait de la destruction d’un porte-avions de 100.000 tonnes ou de deux (trois) tours de Manhattan. (L’effet psychologique immédiat sur les sapiens serait aussi fondamentalement différent, mais il s’agit d’un autre sujet puisque nous étudions ici les seuls rapports entre les sous-systèmes du Système.) Or, il est acquis que les dégâts faits à la surpuissance du système du technologisme peuvent être aussi grands que dans les deux autres cas cités (et, à partir du moment où existe cette possibilité, c’est comme s’il s’agissait d’une certitude selon l’équation “perfection-obsession-doute” qu’on a rappelée plus haut).
Ce qui doit être mis en évidence, c’est que cette multiplicité de l’attaque indirecte du système de la communication par mercantilisme et tendance psychologique au sensationnalisme influence directement le système du technologisme au niveau de sa bureaucratie, en accélérant et en poussant à l’extrême ses caractères d'obsession et de schizophrénie de la perfection mécaniste du système soumis ainsi à l’épreuve impossible à accomplir de ce que nous avons nommé “le doute ultime”, ou “le grain de sable”… On retrouve alors, confirmée, l’hypothèse mentionnée plus haut : l’activité du système de la communication dans ce cas est une incitation majeure à un processus interne d’autodestruction du système du technologisme par extension démesurée et schizophrénique de ses tendances naturelles...
Avec l’affaire du RQ-170, on dispose d’une démonstration éclairante. Il s’agit d’un cas extrême, éclairé par plusieurs variables caractéristiques du Système (la technologie extrême, l’illégalité opérationnelle, l’abstention du facteur humain, l’obsession anti-iranienne) où la surpuissance du Système qui s’exprime dans système du technologisme bascule, à cause du système de la communication, dans sa course autodestructrice.
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