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128017 septembre 2012 – Les Russes ne perdent pas leur temps et lorsqu’une bonne balle passe à portée, ils s’en saisissent, même s’il s’agit d’un autre terrain que le Moyen-Orient, la Libye et la Syrie… C’est le cas de Poutine, s’emparant avec une alacrité remarquable des remarques de Romney qui a fait de “la Russie ennemie géopolitique n°1 des USA” un thème de campagne, pour en déduire : voilà donc la preuve irréfutable que le réseau antimissiles en train d’être installé en Europe ne sera pas destiné à l’Iran mais bien à la Russie. Poutine pourra remercier Romney et ses amis divers et variés, des mormons aux neocons, du cadeau objectif qui lui est ainsi fait, – hors de tout soupçon de montage et indice de complot.
Démonstration impeccable : lorsqu’on installe un tel système aux portes de son “ennemi géopolitique n°1”, en plus équipé de missiles à profusion, ce n’est certainement pas pour s’occuper d’un pays qui est manifestement un “ennemi géopolitique” d’une classe inférieure, qui n’a guère de missiles, qui n’est tout de même pas aux portes de l’OTAN et ainsi de suite. Dans tous les cas, même si Romney n’est pas élu en 2012, la question reste diablement pendante : un républicain animé des mêmes intentions pourrait l’être en 2016 et le problème stratégique n’en sera alors que plus aigu… Enfin, un pays, une puissance comme les USA n’a qu’une seule stratégie, et les remarques de Romney la fixent dans toute sa potentialité, – et cela suffit aux Russes, – et qui ne les comprendrait ?
Poutine s’exprime dans des termes d’une extrême politesse, y compris vis-à-vis de Romney… Dans Russia Today, du 12 septembre 2012, on lit le rapport sur l’intervention de Vladimir Poutine.
«Vladimir Putin said that Mitt Romney's remarks on Russia, which he dubbed America’s “number-one geopolitical foe,” have validated Moscow’s stance towards the US missile defense program. “[Romney] has again confirmed the correctness of our position on missile defense problems,” Putin told reporters after a meeting with Serbian President Tomislav Nikolic. “It's not just us that he has convinced of this but, I think, the international community and our European partners as well.”
»Romney's statements "serve to bolster our positions in negotiations on this sensitive issue," the Russian leader said. “What is most important for us is that even if Romney does not win these elections, he or a man with similar views could come to power in four years, and we should bear this in mind by planning our security according to a long historical perspective,” Putin noted. […]
»In weighing the comments made by President Barack Obama’s main challenger in the November elections, Putin described the “negative aspects” of Romney’s statements, while also saying that this proved him to be a “sincere man.” “Every situation has its positive and negative aspects,” he added. “That Mr. Romney considers us enemy number-one and apparently has bad feelings about Russia is a minus, but, considering that he expresses himself bluntly, openly and clearly, means that he is an open and sincere man, which is a plus.”
»“We will be oriented toward pluses, not minuses,” Putin said. “And I am actually very grateful to him for formulating his position in a straightforward manner.” He reiterated that he would be willing to work with Romney if he becomes the next US president. “Despite the fact that Mr. Romney considers Russia enemy number-one, if he is elected president of the US, certainly we – myself included – will work with him as an elected head of state,” he said.»
…Bon prince, Poutine observe que les déclarations de Romney relèvent en bonne partie de la “rhétorique électorale”. Mais, qu’importe à la logique de la situation politique, “quoi qu’il en soit, et toute rhétorique mise à part, la situation reste ce qu’elle est” (et les déclarations de Romney ce qu’elles sont). Il est évident que Poutine ne tient pas à laisser aller un tel cadeau sans en faire une aubaine. Romney a fait la démonstration dans le cadre du système de la communication que le programme antimissile, notamment dans sa composante européenne (BMDE), a toutes les potentialités que soupçonnent et dénoncent les Russes depuis plusieurs années, y compris la plus grave d’entre elles. Que ce ne soit qu’un candidat n’importe guère, puisqu’il est désormais officiellement investi et, par conséquent, l’un des deux hommes qui, officiellement, peut devenir président des Etats-Unis le 6 novembre prochain. Dès ce moment existe pour les Russes la possibilité que sa “rhétorique électoraliste” devienne la véritable stratégie des Etats-Unis.
On ignore depuis quand les Russes ont fait ce rapprochement qui constitue une analyse intellectuelle d’une très grande force, et d’une superbe logique, mais le moment choisi montre bien qu’il y a une stratégie de communication délibérée de leur part. Le candidat investi officiellement a répété, à la convention républicaine de Tampa, que la Russie est l’“ennemi géopolitique n°1” des USA, et donc il a officialisé la situation que décrit Poutine. La question est maintenant clairement posée, et la menace, de la part des Russes, complètement explicite. Pour eux (pour les Russes), il est officiellement démontré, d’un point de vue dialectique, que le réseau antimissile peut parfaitement devenir une arme stratégique contre la Russie et que dès lors, selon la logique stratégique, cela devient objectivement sa fonction désormais irréfutable et inévitable... Et cela concerne tout le monde : “Ce n’est pas seulement nous qu’il [Romney] a convaincu de cela, mais, je pense, la communauté internationale et nos partenaires européens aussi bien”. Ce dernier point, l’allusion aux Européens, devrait peser lourd désormais dans la stratégie de communication de la Russie, manière de dire aux Européens : “Observez ce que Romney, c’est-à-dire, un jour ou l’autre, n’importe quel Président, et évidemment le Pentagone, ont derrière la tête avec le réseau antimissile : un cas de tension et d’affrontement considérable en Europe”. Cette situation rejoint certains aspects de possibilités de tension entre partenaires du bloc BAO si Romney était élu, comme nous le suggérions le 10 septembre 2012 : «Dans ce cas de la “politique extérieure”-système, l’élection de Romney est la plus intéressante. Les cartes seraient plus clairement sur la table, parce que la rhétorique du parti républicain est directement belliqueuse, au lieu des dissimulations de type libéral-publicitaire de l’administration Obama. Cela pourrait conduire à des malaises et à des tensions au sein du bloc BAO, et à une attitude durcie anti-américaniste des forces antiSystème.»
En attendant de voir les prolongements internationaux, chez les Russes eux-mêmes, chez les Européens, entre les Russes et les Européens, le problème immédiat se pose à Romney et, d’une certaine façon, à Obama également. Le candidat républicain va-t-il en rajouter dans le sens qu’il a suivi jusqu’ici, ou bien va-t-il mettre une sourdine ? La pression de ses conseillers, en général tous des neocons bon teint, n’est pas précisément vers la nuance subtile de l’apaisement ; quand il y a un clou qui peut aggraver les tensions et la situation en général, ils sont les premiers à réclamer qu’on tape dessus, avec le plus de vigueur possible, – c’est là toute la rhétorique américaniste depuis 9/11, et particulièrement du côté républicain où l’on affectionne beaucoup de parler haut. Il est même possible, pour cette sorte d’esprit, que les déclarations de Poutine soient interprétées et présentées comme une provocation, voire une attitude belliciste. Tout est possible avec ces psychologies hypomaniaques et terrorisées à la fois, et particulièrement l’extrême de la rhétorique.
Obama n’est pas tellement plus à l’aise. Lui qui a déjà laissé entendre qu’il chercherait un arrangement avec Poutine, il devrait profiter de cette situation pour accuser Romney d’irresponsabilité. S’il fait cela, il est complètement probable qu’il sera aussitôt recouvert d’un torrent d’invectives et d’insultes pour sa tendance à capituler devant les Russes… “Tout est possible avec ces psychologies…”, etc. Comme, de son côté, Obama a bâti tout son comportement en fonction de l’univers du système de la communication et nullement de la politique ou de la stratégie pour ce qu’elles valent, il est complètement probable qu’il raisonnera comme s’il fallait effectivement qu’il craigne une telle mise en accusation des républicains. Lui aussi devrait donc se trouver face à un problème important avec cette question des antimissiles.
Les Russes, eux, tiennent un excellent argument qui interfère dans la campagne présidentielle sans véritable risque, pour susciter indirectement des malaises et des polémiques, bref pour semer “la discorde chez l’ennemi”. Ils ajoutent à la complication générale qui s’est déjà emparée de cette campagne avec la crise générale du Moyen-Orient, ce troisième “embrasement du monde arabe” en vingt mois, et encore une fois aux dépens de Washington si l’on observe la situation d’une façon générale. Cette tension au Moyen-Orient s’inscrit dans la campagne électorale et ouvre le champ de la politique extérieure. Le paradoxe est que, dans ce champ, Romney (et aussi Obama) est assez mal à l’aise pour choisir des axes francs, – comme le remarque Pepe Escobar : «…And it helps that the Republicans also don’t have a Middle East policy… […] [N]o, the Obama administration was caught in the crossfire because they do not even know who they’re allied with in the Middle East anymore.» Dans une telle situation et s’il faut parler politique extérieure, Romney peut d’autant plus songer à exploiter son thème antirusse, choix particulièrement clair et simple. Dans les circonstances décrites, les Russes ne s’en plaindront pas…
Le caractère très particulier de cette situation est que l’on se trouve dans une matière hautement stratégique, extraordinairement sensible, concernant les armes les plus importantes au plus haut niveau, et qu’il ne s’agit de rien d’autre que de communication. En effet, lorsqu’on ramène la situation aux faits qui semblent la justifier, on ne trouve qu’un enchaînement rhétorique de narrative assez grotesques et grossières, placées en regard d’un effort considérable de production et de déploiement d’armements stratégiques dont la seule réalité jusqu’ici se résume à ses effets “collatéraux”, mais à des effets “collatéraux” considérables : un énorme apport d’argent pour l’industrie du complexe militaro-industriel, qui reste la principale force derrière le développement de ce réseau antimissiles spécifique depuis l’origine ; divers pays de l’OTAN, spécialement à l’Est (la Pologne principalement) engagés sur une voie politique qui les place dans une situation de plus en plus inconfortable vis-à-vis de leurs voisins russe ; un pays de l’OTAN du Moyen-Orient (la Turquie), également engagé dans le projet avec une station-radar, et qui se trouve ainsi dans une position politique de plus en plus délicate avec deux pays importants pour lui, l’Iran et la Russie.
Les narrative qui accompagnent le réseau antimissile dans l’occurrence que nous décrivons, à partir des remarques de Poutine, sont principalement au nombre de deux. Les deux additionnés, mélangées et malaxées permettent effectivement à la Russie de développer la position qu’a exprimée Poutine, tandis qu’elles placent les USA dans une position contradictoire et antagoniste d’elle-même. (D’une façon générale, les psychologies américanistes sont totalement indifférentes à cette sorte de contradiction puisqu’elles n’obéissent qu’à leur seule logique, qui est totalement faussée et biaisée dans le sens qu’on sait. En l’occurrence, dans une situation où les USA n’exercent plus du tout leur situation d’influence et de terrorisation, notamment sur leurs partenaires, cette “avantage” d’une psychologie faussaire peut effectivement et complètement se retourner contre eux.)
• Dès l’origine, le réseau antimissiles en Europe (BMDE) est présenté comme étant un réseau contre des menaces extérieures à l’Europe, spécifiquement contre la “menace iranienne”. Cela est absolument péremptoire pour l’argument de communication, même si le cas stratégique est complètement fumeux, vaseux et absolument improbable… L’essentiel est que l'argument entre dans la narrative plus vaste de l’Iran, État-voyou, menaçant Israël de dévastation absolue (thème de l’Holocauste attribué au président iranien, avec les filouteries de traduction de ses discours qui vont avec…). En effet, seule cette partie de la narrative, et nullement le nucléaire iranien en tant que tel, soutient le cas de la diabolisation de l’Iran au nom de ce que nous estimons être une sorte de “métaphysique de l’Holocauste”. Puisqu’il en est ainsi, puisque l’Iran est ce qu’on dit, il est impossible que ce pays monstrueux n’aient pas les moyens du dessein funeste dont il est chargé ; non seulement la Bombe, mais les missiles qui la porteront, qu’il s’agit de détruire avant qu’ils accomplissent leur sinistre besogne. La logique inversée et subvertie de la narrative, la logique-Système, triomphent absolument. Le réseau antimissile, et notamment sa composante BMDE, est absolument justifié contre l’Iran selon une logique posée comme principe, et c’est bien la seule justification et la justification fondamentale qui rendent son développement absolument inarrêtable. Dans ce cadre, personne à l’OTAN n’oserait élever la moindre réserve.
• Pour des raisons purement électorales (dans le cas de Romney), c’est-à-dire essentiellement le besoin de présenter dans sa campagne un argument de politique extérieure qui lui confère une certaine “originalité” tout en rassemblant le maximum de forces activistes de la droite US, voire de certains groupes des libéraux interventionnistes (liberal hawks), l’antagonisme antirusse est la formule idéale. Il attaque aussi bien une force structurante au Moyen-Orient, une force concurrente de l’OTAN en Europe, une force offrant une alternative structurante en Europe et une force défenderesse des principes structurants de type antiSystème. Le thème antirusse apporte à Romney un maximum de soutien des groupes d’argent, notamment les groupes financiers et les forces favorables à la globalisation. L’argument de communication antirusse porte aussi bien sur l’aspect culturel (“agression douce”) que sur la situation au Moyen-Orient selon l’argument que la politique russe générale au Moyen-Orient a empêché et continue à tenter d’empêcher le succès de la politique de “démocratisation” initiée par la formule GW Bush-neocons. Peu importe ici la validité des arguments, dont la plupart sont dérisoirement faussaires et évidemment grotesques ; seule compte une tendance psychologique intégrant une narrative générale instituant la Russie comme force principale s’opposant à l’américanisation.
Les deux narrative sont de pure rhétorique, sans aucune cohésion opérationnelle, sans aucune complémentarité concrète bien entendu. Elles n’impliquent aucune “stratégie” rationnelle et inscrite dans l’évolution fondamentale des dangers et des menaces caractérisant la crise générale du Système, c’est-à-dire une dynamique cohérente et substantielle qui pourrait accepter des variations à cause de leur force structurelle propre. Pour cette raison, justement, de n’être que des représentations de communication, elles ne peuvent être amendées et doivent être menées de front. C’est-à-dire qu’elles continueront à être développées au maximum de leurs possibilités dialectiques, ne cessant d’accroître le fossé de contradiction entre elles deux, tel que l’a mis à jour Poutine dans son intervention. Il n’y a aucun besoin d’application stratégique, la contradiction logique induite par les deux narrative suffit effectivement à développer un débat contradictoire qui implique les conceptions stratégiques et politiques fondamentales. D’ores et déjà, Poutine a averti les Européens, y compris et surtout ceux de l’OTAN, et les plus proches de la frontière russe, comme la Pologne par exemple (lorsqu’il dit : « It's not just us that he has convinced of this but, I think, the international community and our European partners as well»). Poutine ne fait que poursuivre, à cet égard, la réflexion du président polonais (voir le 14 août 2012).
Effectivement, le hard power est balayé par le soft power. Il n’est nul besoin d’avoir un missile antimissile explicitement déployé contre les forces russes ; il suffit d’en considérer un installé en théorie sur son lanceur avec l’étiquette : “objectif : les missiles iraniens”, pour que plus personne n’y croit plus, pour que la narrative perde tout crédit, et pour que l’on s’alarme à juste raison contre une résurgence d’une pression agressive contre la Russie, qui est déstabilisation pure s’ajoutant au chaos général, – mais au plus haut niveau de risque stratégique, en raison des potentiels stratégiques des acteurs impliqués. Cette nouvelle réalité touchera tout le monde, un peu à la manière du “printemps arabe” et là, exactement d’une façon complémentaire et logique. L’argument de Poutine place un Obama réélu devant la nécessité de rompre l’orientation du complexe militaro-industriel en obtenant une révision fondamentale du programme antimissile, d’une façon ou l’autre, – s’il y parvient, et bon vent pour cela. Si Obama n’obtient pas de résultat satisfaisant pour les Russes, ou si Romney est élu, les Russes pèseront de tout leur poids et leur logique emportera tout parce qu’elle impliquera dans son développement le passage à une situation stratégique réelle d’antagonisme au cœur de l’Europe. Le Parlement européen devra alors s’occuper des missiles antimissiles plutôt que des Pussy Riot. Les directions politiques européennes seront placés devant des réflexions déstabilisantes et, peut-être, la nécessité de décisions bien douloureuses. On peut avancer que le président russe ne lâchera plus son os ; il ne peut pas se le permettre outre que, sans doute, il n’y tient guère...
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