Le camouflet à peine camouflé de Medvedev à Washington

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Les négociations pour le traité START-II de limitation des armes stratégiques entre les USA et la Russie ont repris à Moscou.

• Du côté US, l’optimisme est de rigueur sinon pressant. Les déclarations du chef de la délégation US sont caractéristiques à cet égard (Novosti, le 14 janvier 2010).

«La Russie et les Etats-Unis parachèveront la résolution du reste des questions relatives au nouveau traité de réduction des armes stratégiques offensives (START) dans les prochaines semaines, a annoncé jeudi le sous-secrétaire d'Etat américain William Burns en visite à Moscou. “Il nous reste à résoudre encore quelques questions, cela prendra quelques semaines”, a estimé le haut responsable américain. Selon lui, il est normal que l'élaboration de ce nouveau traité ait pris du temps: “Ce retard est dans l'intérêt des deux parties. Depuis le sommet qui a réuni en juillet à Moscou les présidents Medvedev et Obama, nous avons fait des progrès considérables et nous sommes à la veille de la signature d'un nouveau traité”.»

• Du côté russe, optimisme également, mais plus de forme et assorti de déclarations précises sur certaines conditions. Les déclarations de Medvedev, du 16 janvier 2010 (Novosti), sont caractéristiques à cet égard. La condition qu’énonce le président russe de la nécessité d’une ratification simultanée du traité par les deux pays représente une réserve sérieuse et, in fine, un camouflet en douceur pour le pouvoir politique washingtonien.

«La ratification du nouveau traité START doit s'opérer simultanément à Moscou et à Washington, sinon ce processus n'aura pas lieu, a déclaré samedi le président russe Dmitri Medvedev. “Il s'agit d'une entente paritaire qui répond aux intérêts des deux Etats: soit nous ratifierons simultanément ce document qui reflètera notre vision commune de l'avenir des forces stratégiques nucléaires, soit ce processus n'aura pas lieu”, a-t-il souligné. “Nos partenaires américains ne doivent pas l'ignorer”, a ajouté le chef de l'Etat.»

Notre commentaire

@PAYANT Camouflet, sans aucun doute, parce que cette condition implique le peu de cas qu’on fait à Moscou de la signature du président des USA. Le traité, s’il est conclu, sera paraphé par les deux chefs d’Etat puis devra être ratifié par les deux Parlements. La condition émise par la Russie s’adresse directement au pouvoir US, pour lui dire: “Nous n’avons aucune confiance dans la signature du président Obama, non pas parce que nous l’estimons indigne de confiance mais parce que nous estimons qu’il n’est pas le pouvoir US à lui seul, qu’en cette matière des traités il n’est même qu’une partie mineure du pouvoir”. Leçon des choses par les Russes…

La Russie a la mémoire tenace, fût-ce celle de l’URSS. Elle se rappelle que le traité SALT-II fut signé en juillet 1979 (Brejnev-Carter à Moscou) et qu’il ne fut jamais ratifié par le Sénat US après deux ans d’auditions et de polémiques interminables (alors que le Soviet Suprême, toujours arrangeant, s’était exécuté pour ratifier du côté de l’URSS). L’administration Reagan abandonna le traité SALT-II (portant sur la limitation des armes stratégiques – Strategic Arms Limitation Talks) et passa à la formule START (portant sur la réduction des armes stratégiques – STrategic Arms Reduction Talks). START-I fut signé en juillet 1991 et ratifié en janvier 1996, alors qu’il était entré en vigueur par accord des deux gouvernements en 1994. (Mais ces délais avaient, dans ce cas, plus à voir avec la situation de l’URSS, qui disparut, se fractionna en plusieurs Etats nouvellement indépendants, avec d’autres pays que la Russie possédant de facto des armes nucléaires de l'ex-URSS dont il fallut négocier le transfert vers la Russie.) Encore les dégâts de la non ratification de SALT-II de juillet 1979, qui reste la principale référence négative à cet égard, avaient-ils été limités par le sérieux des administrations US à cette époque de Guerre froide: le président Carter avait ordonné que les forces stratégiques US s’alignassent sur les chiffres de limitation du traité, en attendant la ratification.

Mais aujourd’hui? Qui peut dire si le Sénat ne va pas s’abîmer dans un débat interminable – alors que tout nous annonce déjà qu’il va le faire? Qui peut dire si le traité sera jamais ratifié avant la fin du mandat de BHO, si celui-ci sera réélu, s’il ne sera pas remplacé par une Sarah Palin ou un général Petraeus dénonçant le traité paraphé mais non ratifié? La condition émise par Medvedev constitue donc une sérieuse mise en cause du pouvoir d’Obama et une non moins sérieuse hypothèse portant sur le désordre du pouvoir aujourd’hui à Washington. Si ce n’est un camouflet…

Les Russes sont des réalistes, c’est bien connu, mais avec un sens historique propre à la culture que donne une véritable nation. Ils ont senti à la fin 2008 qu’Obama représentait une chance d’un tournant radical aux USA, et ils lui ont fait confiance. Cela a duré jusqu’à la fin de l’été et cela était judicieux – effectivement, BHO avait encore un potentiel d’action, selon l’audace qu’il montrerait. Tout cela s’est évanoui en fumée dans les quatre derniers mois, parce qu’Obama a décidé, ou s’est convaincu devant les pressions du système de jouer le jeu de la politique du système conduite par la seule mécanique des forces bureaucratiques en action. Sa décision sur l’Afghanistan marque sa capitulation générale, et les Russes ont senti cela. (Voir notre F&C du 6 janvier 2010.) Depuis, ils sont sur leur garde et considèrent Obama dans toute sa faiblesse, d’une part prisonnier du système, d’autre part confronté à une opposition intérieure multiple. Dans sa situation, Obama a besoin de START-II, alors qu’un débat féroce devrait démarrer à Washington dès l’accord signé – s’il est signé. Alors, il lui impose une condition également féroce – férocité contre férocité: imposer START-II au système. Si Obama accepte, il deviendra un président doublement, triplement prisonnier: du système, de l’opposition washingtonienne, des Russes… (Chaque fois, enchaînement des situations, des intérêts contradictoires, avec tous les problèmes qui naissent de ces situations.)

Obama pourrait-il ne pas accepter? Il n’envisage sans doute pas le problème dans les termes où nous l’exposons. Il est d’ores et déjà un président assiégé par les multiples pressions auxquelles son attitude politique l’a conduit à devenir vulnérable. Il tente de répondre au coup par coup parce qu’il n’a plus de ligne générale et il est conduit de plus en plus à traiter les problèmes qui s’accumulent pour ce qu’ils sont dans l’immédiat, sans les intégrer dans une vision générale. Son désir évident de parvenir à un accord START-II tient à sa volonté de sauver sa politique de réduction des armes nucléaires, qui constitue une affaire essentielle pour lui. De ce point de vue, il en a plus besoin que les Russes et l’on ne peut ignorer que l’accord qui devrait finalement en résulter, si c’est le cas, sera un immense sujet de controverse et de polémique à Washington, où des forces différentes s’apprêtent à le contester – de l’opposition polémique et systématique des républicains aux critiques expertes d’un système tout entier dominé par le poids et les exigences du Pentagone. La personnalité d’Obama, dont la brillante intelligence a comme revers une trop grande confiance en lui et une assurance de pouvoir convaincre sinon vaincre ses adversaires par le seul brio de sa dialectique, le pousse effectivement à ne pas s’attarder aux conséquences lointaines de ses actes pour s’en remettre aux circonstances qu’il est trop sûr de maîtriser. L’expérience de ces derniers mois montre qu’il n’y parvient plus guère, et de moins en moins; il n’y a aucune raison que l’affaire START-II échappe à cette nouvelle règle en train de s’imposer.

“Les Russes sont des réalistes” (bis). Ils ont été déçus par Obama, par rapport à la confiance qu’ils mettaient en lui, mais sans lui faire le procès de mauvaises intentions. Ils constatent simplement un considérable affaiblissement de son pouvoir et exigent des garanties. Du coup, ils font de facto d’Obama un homme lié à leur propre politique aux yeux de l’opposition au président US, l’affaiblissant d’autant. Ils ont, vis-à-vis d’Obama, une attitude complètement différente de celles qu’ils eurent avec Nixon (voir l’analogie Nixon-BHO), qu’ils soutinrent et aidèrent jusqu’au bout malgré sa position désespérée à Washington. Cette fois, ils s’en lavent les mains. Les temps sont bien différents, où toutes les grandes choses ne passent plus par Washington, où le président US n’est plus “un partenaire privilégié”, où le système américaniste en voie de désintégration apparaît de plus en plus comme une contrainte qui réduit à peu de choses les capacités d’intervention des hommes dès lors qu’ils ont écarté, comme l’a fait BHO, la voie de l’affrontement frontal et de la rupture avec le système.


Mis en ligne le 18 janvier 2010 à 00H45