Le candidat Obama attaque le président BHO

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Le candidat Obama attaque le président BHO

BHO, président des USA, a fait le 23 mai un étrange discours, à la National Defense University. On aurait dit le candidat du printemps 2008, le sénateur Barack Obama, critiquant le président Bush, celui-ci ayant pris le masque du président BHO pour poursuivre, sinon aggraver sa propre politique entre 2009 et 2013. C’est ainsi que l’orateur Barack Obama a abordé toutes les grandes questions très polémiques de sécurité nationales (la Guerre contre la Terreur, la guerre des drones, la politique d’incarcération arbitraire et de torture comme à Guantanamo, etc.), pour à la fois en justifier assez faiblardement le principe, tout en mettant en doute leur légalité. Même le site WSWS.org, qui n’est jamais tendre avec BHO et a toujours vu, parfois d’une façon obsessionnelle, dans chacun de ses actes une manœuvre machiavélique, reconnaît qu’il s’agissait d’une “défense tortueuse” (ou “torturée”, pour être plus précis dans la traduction, malgré l’ironie malvenue du rapprochement avec le sujet traité) de sa propre politique par BHO, admettant même que le discours pourrait refléter une crainte réelle d’une perte de légitimité de la part du gouvernement US et de l’establishment.

Antiwar.com, sous la plume de John Glaser le 23 mai 2013, met en évidence les étonnantes contradictions de ce discours. Il passe en revue les divers cas exposés par le président, en observant et en détaillant la difficulté de résoudre les contradictions entre leur illégalité foncière et l’apparente volonté du président de leur faire réintégrer le cadre de la légalité. Glaser signale effectivement cette étrange situation qui nous ferait croire au retour du candidat-Obama/2008 attaquant le président Bush déguisé en président-BHO/2009-2013...

«President Obama managed to deliver a speech on Thursday in many ways reminiscent of the rhetoric employed by candidate Obama, condemning the recklessness of the previous administration, hailing the rule of law, and citing James Madison’s warning that “No nation could preserve its freedom in the midst of continual warfare.” But whereas Obama made the right sounds, history shows his words fall far short, and often contradict, his actions as president. When he wasn’t using such rhetoric, he was dodging the truth on issues including drone warfare, Guantanamo Bay and indefinite detention, the AUMF, and how to prevent terrorism so as to not always be fighting it.»

... Et voici un cas de la contradiction entre Obama-candidat et BHO-président à propos de la loi de 2001 sur l’Authorization for the Use of Military Force (AUMF) : «But “America’s actions are legal,” Obama insisted. “We were attacked on 9/11. Within a week, Congress overwhelmingly authorized the use of force. Under domestic law, and international law, the United States is at war with al Qaeda, the Taliban, and their associated forces.” This is another dubious claim.

»The AUMF empowered the president “to use all necessary and appropriate force against those nations, organizations, or persons he determines planned, authorized, committed, or aided the terrorist attacks that occurred on September 11, 2001.”

»In Senate hearings last week, top Pentagon lawyer Robert Taylor kept using the words “associated forces” to justify the legality of the drone war under the 2001 AUMF. Until Senator Angus King of Maine told him those words never appear in the text of the AUMF. “You guys have invented this term, associated forces, that’s nowhere in this document,” King said. “It’s the justification for everything, and it renders the war powers of Congress null and void.”

»Even as Obama used the AUMF to justify his dramatic expansion of the drone war, he warned of its dangers: The AUMF is now nearly twelve years old. “The Afghan War is coming to an end. Core al Qaeda is a shell of its former self. Groups like AQAP must be dealt with, but in the years to come, not every collection of thugs that labels themselves al Qaeda will pose a credible threat to the United States. Unless we discipline our thinking and our actions, we may be drawn into more wars we don’t need to fight, or continue to grant Presidents unbound powers more suited for traditional armed conflicts between nation states. So I look forward to engaging Congress and the American people in efforts to refine, and ultimately repeal, the AUMF’s mandate. And I will not sign laws designed to expand this mandate further. Our systematic effort to dismantle terrorist organizations must continue. But this war, like all wars, must end. That’s what history advises. That’s what our democracy demands.”

»I don’t think the President can have it both ways here. Either the AUMF is an overly expansive blank check for perpetual war, or it is the foremost legal instrument of the completely lawful drone war. Which is it? It will be interesting to see in the near future if President Obama follows up on his pledge to “refine, and ultimately repeal, the AUMF’s mandate,” or whether it will become another unfulfilled promise, like closing Guantanamo Bay within one year of his election in 2009.»

Nous l’avons dit, WSWS.org prend, sous la plume de Joseph Kishore ce 24 mai 2013, une position très inhabituelle par rapport à son intransigeance courante de jugement à l’encontre d’Obama. (Fidèle à la tradition issue du marxisme de critique des courants libéraux et progressistes “bourgeois”, le site trotskiste a souvent montré bien plus d’appréciation critique de la politique soi-disant “de gauche modérée” des démocrates, dénonçant en plus de la référence commune à l’impérialisme capitaliste, l’hypocrisie de l’étiquette libérale-progressiste.) C’est donc à cette lumière d’une vision en général sans la moindre concession qu’il faut apprécier le caractère extraordinaire de l’appréciation de WSWS.org, décrivant une politique “tortueuse” et reconnaissant finalement (dernier paragraphe de conclusion) qu’il y a peut-être une réelle volonté de la part de certains centres de pouvoir de la direction politique US de ne pas rompre complètement avec le cadre de “la démocratie bourgeoise” de crainte de perdre toute assise de légitimité dans le chef de la population. Il y a là une reconnaissance complètement inhabituelle d’une certaine sincérité dans les réserves qu’Obama fait lui-même sur sa propre politique... On lui reconnaît même une certaine nervosité, qui est celle de tout politicien au standard-Système lorsqu'il est obligé d'exposer une vérité peu agréable.

«In his speech yesterday at the National Defense University in Washington, DC, US President Barack Obama offered a tortured defense of extra-judicial assassinations, for the first time publicly acknowledging the killing of Anwar al-Awlaki, a US citizen, in September 2011. Obama’s remarks were characterized by an essential contradiction. He sought to defend drone assassinations, while at the same time essentially acknowledging their illegality and the illegality of much of what the American government has done over the past decade.

»A tone of nervousness and defensiveness pervaded Obama’s remarks, reflecting awareness within the ruling class that what they are doing is not only illegal, but also increasingly unpopular. Significantly, the speech was repeatedly interrupted by a woman who denounced the administration’s policy on drone assassinations and the detention center at Guantanamo Bay. [...]

»Obama’s speech expresses the deep crisis of the American state as it carries out a violent and definitive break with bourgeois democracy. At least within sections of the ruling class, there is a fear that the state as a whole risks losing any legitimacy in the eyes of the population of the United States and of the world. This fear is entirely justified.»

Est-ce “son” discours sur le complexe militaro-industriel ?

Pour l’occasion, il nous semble qu’on puisse considérer une hypothèse bien précise, qui tient d’ailleurs dans cette phrase selon laquelle il y a “une certaine sincérité dans les réserves qu’Obama fait lui-même sur sa propre politique”. Si c’est le cas ici de parler de “sincérité” de sa part, alors on peut poser la question de savoir si cette politique est “sa propre politique”. En d’autres termes, il s’agit de savoir si ce discours d’Obama n’est pas son discours “à-la-Ike”, comparable au très fameux discours du 17 janvier 1961, où le président Eisenhower, à trois jours de son départ de la présidence, dénonça en des termes très précis le développement du complexe militaro-industriel (CMI). On aurait pu, à lui aussi, à Eisenhower, lui faire la remarque qu’après tout il était en théorie responsable pour une bonne part de ce développement puisqu’il avait conduit la politique pendant hui ans.

Certes, les termes employés par Obama n’ont pas la vigueur ni la clarté de ceux qu’employa Eisenhower. Il y a beaucoup de différences de position, entre un président âgé, chargé de gloire militaire, achevant son mandat trois jours après son discours, et le “jeune” Obama, de plus en plus fragilisé par diverses attaques, scandales, etc., et président controversé par excellence. (Il y a d’autre part une ambiguïté profonde chez Obama, qu’il n’y avait pas chez Eisenhower. Le caractère d’Obama, qui n’est pas exempt de vanité, le pousse à sembler prendre en charge tous les aspects de la politique de sécurité nationale de son gouvernement, y compris par conséquent les plus sordides. Obama n’a pas une sorte d’ingénuité comme avait Eisenhower, qui poussait ce dernier à accepter de paraître effectivement, autant que de l’être, dans une situation où il ne contrôlait pas tout de la politique US. Du coup, les tentatives d'Obama de dénoncer implicitement des politiques qu’il n’a pas vraiment voulues sont marquées de cette ambiguïté, et peuvent paraître suspectes, si bien qu’on reste incertain quant au fondement de sa démarche.) Il y a aussi des différences de situation par rapport aux années 1950, avec un CMI beaucoup plus puissant aujourd’hui, parce que plus insaisissable et étendant ses ramifications vers la communication dans son sens le plus large, vers l’industrie de l’entertainment, vers divers réseaux sécuritaires, les liens hors des USA avec des groupes illégaux, de crime organisé, de trafic, voire de terrorisme jouant des jeux doubles et triples et ainsi de suite ; avec une situation extrêmement confuse, idéale pour toutes les manipulations, avec le terrorisme, des crises telles que la Syrie, une situation intérieure (aux USA) très tendue, etc.

D’autre part, ces différences de situation constituent des arguments, en sens inverse, pour comprendre qu’Obama puisse tenter de se dégager de l’emprise du CMI et Cie, si c’est le cas. On observera que cette hypothèse est renforcée par la démarche qu’Obama a faite auprès de Poutine (voir le 17 mai 2013) montrant qu’il est loin de contrôler parfaitement sa politique de sécurité nationale puisqu’il propose d’établir des canaux directs entre le président russe et lui. Si donc ce discours peut être assimilé, en beaucoup moins éclatant, en beaucoup moins affirmé, à celui d’Eisenhower, on doit se demander dans quelle mesure cette tentative peut conduire à un changement de situation. Les chances sont extrêmement minces, sinon nulles. Ce à quoi s’attaquerait Obama, c’est à une entité constituée, un constituant fondamental du Système, un système lui-même de type anthropotechnique ou anthropotechnologique, ou/et anthropobureaucratique, avec des composants très divers, qui a déjà montré une réelle capacité d’autonomie, d’animer des politiques, de monter des résistances et des obstacles quasiment infranchissables à toute tentative de le contrecarrer. (On peut d'ailleurs noter que dans un passage de son discours, d'ailleurs cité ci-dessus, Obama indique que la Guerre contre la Terreur a une fin, deux jours après que des représentants du Pentagone aient laissé clairement entendre que cette guerre devait être considérée comme n'ayant pratiquement pas de fin en vue. Manifestement, le Système, dans sa composante CMI, a un autre avis que le président.)

Enfin, on mentionnera un dernier élément qui différencie Obama d’Eisenhower. Par son action, ou par l’apparence de son action, par une certaine passivité et une tendance trop grande au compromis, voire par une responsabilité, sinon une culpabilité dans certains cas, Obama a nombre d’aspects qui le font également comparer à Nixon. Cela suppose une position d’une extrême faiblesse, alimentée aujourd’hui par des pressions de divers scandales et des offensives lancées ici ou là pour que l’un ou l’autre de ces scandales deviennent une sorte de “Watergate-II” pouvant enfermer Obama dans une situation complètement bloquée.

Il reste alors à constater qu’il émerge de tout cela un élément qui nous paraît assuré, qui est exprimé en partie par WSWS.org. Il s’agit de l’élément selon lequel Obama, qu'il ait parlé ou pas au nom de la direction politique générale de Washington en plus de lui-même, exprime l'inquiétude de voir la légitimité de la politique du gouvernement mise en péril par une politiquer de sécurité nationale de plus en plus arbitraire, illégale et cruelle. L’argument peut d’ailleurs être retourné pour le cas que nous évoquons, où ce serait cette direction politique dans son ensemble, qui serait, à l’image d’Obama, préoccupée par une politique qu’elle ne contrôle plus et qui lui cause effectivement un grand tort en réduisant considérablement sa légitimité, cette politique émanée de l’entité signalée plus haut, anthropotechnologique et anthropobureaucratique. On voit dans tous les cas, dans la profusion des hypothèses et des analogies historiques qu’on peut désigner, que ce discours très étrange peut figurer comme le signe d’un réel trouble et d’une incertitude profonde et inquiète régnant à Washington.


Mis en ligne le 24 mai 2013 à 17H47