Le cas Freeman et les relations Israël-USA

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Le cas Freeman et les relations Israël-USA

Concrètement mais aussi symboliquement, il s’agit d’une affaire sérieuse pour les relations entre les USA et Israël. On parle ici de la nomination de Charles (Chas) Freeman comme adjoint au DNI (Director, National Intelligence), l’amiral Dennis Blair; en tant que tel, Freeman prend le poste très sensible de président du National Intelligence Council, qui fournit au DNI la synthèse des analyses et prospectives de tous les services de renseignement US.

Or, il se trouve que, par rapport à la norme du poulailler américaniste, Freeman est un homme brillant, libre d’esprit, sans crainte de parler haut; comme il est spécialiste des affaires moyennes orientales, c’est dans ce domaine qu’il exerce sa liberté de jugement principalement. C’en est bien assez pour qu’il soit haï, le mot n’est pas trop fort, du lobby pro-israélien de Washington (désigné “le Lobby” avec une majuscule et sans précision, parce qu'il est une référence), – et de l’establishment israélo-washingtonien en général. Ainsi commence une affaire intéressante.

• Arnaud de Borchgrave, sur NewsMax.com le 4 mars: «A rarity in Washington, the secret was kept well until the announcement from National Intelligence Director Dennis C. Blair: His deputy as chairman of the National Intelligence Council is Charles “Chas” W. Freeman Jr., a Chinese-speaking iconoclast with a brilliant analytical mind that is anathema to the Israel lobby and the neocons.

»Lucky for former Ambassador Freeman that Judaism, in contrast to Christianity, does not believe in mortal sins. But his sin is beyond redemption in Washington. Freeman is convinced that U.S. and Israeli strategic interests are not necessarily one and the same. This triggered a cascade of name-calling, ranging from from “Saudi puppet” to “Chas of Arabia linked to Saudi cash” to “China-coddling, Israel-basher.”»

• Bernd Debusmann, de Reuters, le 5 mars: «“The brutal oppression of the Palestinians by the Israeli occupation shows no sign of ending … Israel no longer even pretends to seek peace with the Palestinians, it strives to pacify them … American identification with Israel has become total.” These are excerpts from a 2007 speech by Charles (Chas) Freeman, a former U.S. ambassador to Saudi Arabia, whose appointment as chairman of the National Intelligence Council was announced on February 26 and is turning into a test case for the strength of Washington’s right-wing pro-Israel lobby.»

Comme on l’a vu à plus d’une reprise, il y a des choses intéressantes en cours dans les relations entre les USA et Israël. La nomination de Freeman confirme effectivement cette tendance, cette fois d’une façon extrêmement concrète et “opérationnelle”. La fureur des pro-israéliens à Washington est un signe convaincant à cet égard.

Ainsi, un des critiques de la nomination de Freeman, Gabriel Schoenfeld, resident scholar au Witherspoon Institute de Princeton, rédateur en chef de Commentary jusqu’en 2008, auteur de The Return of Antisemitism et neocon notoire, a une moue de dégoût et un hoquet de nausée bien compréhensible. Il observe gravement que Freeman a travaillé avec le Middle East Policy Council (MEPC), qui reçoit de l’argent de forces d’influence (la famille royale saoudienne), ce qui est vraiment un cas extraordinaire et insupportable de mémoire de partisan d’Israël à Washington; que le MEPC a, horreur et damnation, édité le très infamant travail de John Mearsheimer of the University of Chicago and Stephen Walt of Harvard sur The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy ; et ainsi de suite se poursuit la litanie des indignations pro-israéliennes, payées rubis sur l’ongle.

Bernd Debusmann note encore, pour bien fixer nos idées sur la liberté de penser qui accompagne ce débat: «[Stephen] Walt, who blogs at Foreign Policy magazine, weighed into the Freeman debate as it gathered steam even before the actual appointment. Apart from trying to get it revoked by Dennis Blair or get Freeman to withdraw, Walt said, the anti-Freeman campaign had a third aim. “Attacking Freeman is intended to deter other people in the foreign policy community from speaking out on these matters. Freeman might be too smart, too senior and too well-qualified to stop, but there are plenty of younger people eager to rise in the foreign policy establishment and they need to be reminded that their careers could be jeopardized … if they said what they thought.”

»But the Obama administration appears to have no problem with people who say what they think about U.S.-Israel ties. Take Samantha Power, the former Harvard professor whose outspoken views echo those of Walt and Mearsheimer. Obama gave her an important job on the National Security Council.»

L’action possible du Congrès, où le Lobby est archi-puissant, est nécessairement limitée, nous dit Borchgrave: «Mercifully for Freeman, his job is not subject to Senate confirmation. Had it been, he would have been axed with a nod from the American Israel Public Affairs Committee. But Blair made clear where he stood. His statement said Freeman will be responsible for overseeing a variety of intelligence reports.»

Mais laissons cette humeur de Lobby et de vertu extraordinaire entourant les activités pro-israéliennes à Washington. La profondeur de l’ignominie tranquille et impudente du domaine représente le cas constant d’une surprise continuée pour qui observe Washington. L’on observe ainsi que l’administration Obama semble prendre ses distances de la chose, avec un certain art consommé. La présence de Rahm Emmanuel comme secrétaire général de la Maison-Blanche ne semble pas interdire la manœuvre, contrairement aux prévisions faites à ce propos.

Cette évolution est évidemment plus qu’intéressante, elle est potentiellement très importante. Bernd Debusmann s’interroge: «Does that mean the days of unquestioning American support for Israel are coming to en end? Probably not. But the furious reaction to Freeman’s appointment from some of the most fervent neo-conservative champions of Israel points to considerable concern over the possible loss of clout»

On pourrait avancer l’observation que cette fureur, évidemment excessive et choquante dans nombre de ses manifestations, pourraient engendrer des effets de plus en plus négatifs à mesure qu’elle se manifeste. L’impudence de l’action d’un tel lobby, ses interférences avec la politique de sécurité nationale, voire avec la souveraineté nationale elle-même, pourraient avoir comme effet de durcir la “ligne Obama” dans cette affaire des relations entre les USA et Israël. Le dossier compte désormais un nombre suffisant de pièce pour pousser à la conclusion qu’il représente un changement notable de politique, et un changement délibéré évidemment; la cause probable est solide, puisqu’elle renvoie au besoin urgent d’apaiser les relations internationales et les situations de tension, pour pouvoir mieux se consacrer à la lutte contre la crise intérieure. Dans ce cas d’une politique construite, nullement l’effet d’un accident de parcours ou d’un test sur une possibilité à explorer, les interférences grossières et injustifiées pour modifier la nouvelle orientation ont plutôt pour effet de renforcer cette politique.


Mis en ligne le 6 mars 2009 à 14H36