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1121Dans notre texte de ce même 28 octobre 2013, nous donnions quelques notes concernant un dernier développement de la question spécifique des écoutes de la chancelière Merkel par la NSA, dans le cadre plus large de la crise transatlantique concernant les écoutes de la NSA, dans le cadre encore plus large et majestueux de la crise Snowden/NSA. Il s’agit de ceci :
«Hier [27 octobre 2013], le quotidien allemand Bild publiait des “révélations” selon lesquelles Obama avait été mis au courant par la NSA des écoutes de Merkel depuis 2010. [Voir le Guardian du 27 octobre 2013.] La source est un “officiel de la NSA”, ce qui nous fait sortir du domaine Snowden et devrait nous apparaître comme une indication bien significative d'un affrontement en train de prendre forme entre la NSA et la Maison-Blanche. Bob Woodward notait le même 27 octobre 2013 : “Bild is a tabloid that does not have a reputation for journalistic excellence. Even so, if a conflict between the NSA and the White House is escalating, then an NSA source might turn to this type of publication as a way of making a veiled threat. The report has the effect of sowing doubt about Obama’s statements even if NSA officials now make dismissive responses, pointing out the unreliability of the press.”»
Depuis, de nouveaux éléments son apparus, notamment un démenti US des informations parues dans le Bild, mais venant de la NSA et non de la Maison-Blanche. Ces divers points sont d’un très grand intérêt d’interprétation, si l’on accepte le cadre, que nous proposons, selon lequel la crise Snowden/NSA, comme nous l’observons dans le même texte référencé, «s'est constituée d'autorité comme la manifestation principale de la crise d’effondrement du Système, puisqu’elle se manifeste au cœur du Système». Notre “intérêt d’interprétation” est résumé par cette remarque, qui doit être nécessairement lue en forme d’hypothèse très insistante : «... Il y a là le cas d’un affrontement potentiel, peut-être décisif, sans aucun doute fratricide, entre divers éléments du Système. Le moins intéressant n’est pas celui qui se dessine, à Washington même, entre la présidence et la NSA elle-même.»
Nous allons rapidement reprendre les éléments faisant évoluer l’interprétation de cette affaire des écoutes-Merkel qu’on a successivement pu donner, en l’acceptant plus ou moins, par rapport à ce que savait ou ne savait pas le président des États-Unis.
• Mercredi 23 octobre, à la veille du sommet de l’UE à Bruxelles, Merkel téléphone personnellement à Obama. La presse vient de publier un document du fonds Snowden selon lequel le téléphone portable personnel de la chancelière allemande a été (est) sur les écoutes de la NSA. Selon le rapport général de l’entretien, Obama lui répond qu’il peut lui assurer qu’elle n’est pas et ne sera pas sur écoute de la NSA ; il ne dit pas qu’elle n’a pas été sur écoute de la NSA.
• Le Spiegel, qui est un des relais “officiels” directs du fonds Snowden, précise le lendemain qu’Obama a lui-même précisé à Merkel qu’il n’était pas informé qu’elle était sur écoute de la NSA (avant, toujours selon Obama, qu’elle ne le soit plus, ce qui invite à l’hypothèse que lui, Obama, dès qu’il en a été informé ... par la presse relayant le fonds Snowden, le 23 octobre, a donné ordre de mettre fin à cette opération – hypothèse très fondée, tant cette affaire entraîne de dégâts dans les relations diplomatiques avec l’Allemagne/l’Europe).
• Un autre élément apparaît le 26 octobre 2013 : la précision que la chancelière a été sur écoute de la NSA depuis dix ans. Le Spiegel, qui fait cette révélation, publie le 27 octobre 2013 un dossier très complet sur l’aspect essentiellement allemand de la crise Snowden/NSA.
• Hier, 27 octobre 2013, comme on l’a vu plus haut, c’est l’annonce faite par le quotidien allemand Bild. On a lu ce qu’n dit Woodward, qui n’est pas faux («Bild is a tabloid that does not have a reputation for journalistic excellence...»). On ajoutera que ce quotidien lancé par le puissant patron de presse allemand Axel Springel et qui dépassait les 5 millions d’exemplaires dans les années 1960, était férocement anticommuniste et proaméricaniste, avec les contacts qui vont avec, en Allemagne où les services US sont très présents ; le groupe Springer agissait notamment pour faciliter le passage à l’Ouest d’Est-Allemands, mais aussi la neutralisation de dirigeants gauchistes, avec notamment la neutralisation, en avril 1968, de Rudi Dutschke, grièvement blessé d’une balle dans la tête par un jeune militant anticommuniste, dans des circonstances suspectes ; on alla jusqu’à évoquer, sans réelle surprise, d'éventuels liens de Springer-Bild avec les réseaux Gladio... Bild suit toujours cette ligne (désormais ligne-Système pour nous), dans la tendance ultra-libérale, dénonciatrice de la “menace islamiste” globalisée, et par conséquent toujours proaméricaniste. Il n’y a aucune raison pour penser que le groupe ait mis fin de quelque façon que ce soit avec ses contacts de la Guerre froide et qu’il ne se range pas “d’instinct” et d’une façon pavlovienne du côté de la droite US et de tous les services de sécurité, – et, dans ce cas de la NSA, plutôt pour la NSA et contre Obama puisque se dessine un affrontement Obama-NSA. Du coup, on comprend le sens et l’intérêt de la “source” (un “officiel de la NSA”) qui a lancé l’affirmation qu’Obama avait été mis au courant des écoutes-Merkel, personnellement par Alexander, en 2010 ; une affirmation qui discrédite (discréditerait) complètement Obama aux yeux des dirigeants allemands. (Cette affaire, comme elle est envisagée ici, rappelle la “fuite” non-Snowden publiée par The Independent et venue sans doute du GCHQ britannique, destinée, elle, à plutôt discréditer Snowden, et que Greenwald avait démontée et mise à jour dans le Guardian le 23 août 2013. Même technique, avec suspicion de “fausse fuite”.)
• Finalement, ce même 27 octobre 2013 au soir (The Independent), Washington démentait l’information de Bild : «But in a statement on Sunday night, the NSA denied the Bild report. Gen. Alexander, “did not discuss with President Obama in 2010 an alleged foreign intelligence operation involving German Chancellor Merkel, nor has he ever discussed alleged operations involving Chancellor Merkel. News reports claiming otherwise are not true,” it said.»
Ceci est un point intéressant : le démenti est venu de la NSA et non de la Maison-Blanche. On ne fera pas l’injure à la NSA de penser que c’est par goût de la vertu, et surtout de la vertu du POTUS Obama, qu’elle s’est fendue de cette intervention qui, dans les milieux qui comptent, représente un recul piteux quoiqu’on puisse le juger de pure tactique. L’explication alternative est évidente : un ordre venu de la Maison-Blanche et à destination de la direction de la NSA de remettre les choses au point, sans doute substantivé par divers documents ou autres que la Maison-Blanche devrait posséder sur la NSA, sur le comportement du général Alexander, voire sur le contenu d’éventuels compte-rendu(s) directs du général Alexander au président Obama, – s’il y en a eu, – concernant le contenu de ce qu’Alexander a vraiment dit à Obama. (En effet, la “source” de Bild est claire à cet égard : c’est Alexander lui-même qui aurait informé, d’une façon spécifique et directement, en 2010, le président Obama des écoutes-Merkel. Dans ce cas, c’est la Maison-Blanche qui détient le contenu de tels entretiens, – s’ils ont eu lieu, – et donc une arme de communication éventuelle, si le document va dans le sens du démenti de la NSA, – et si un tel document n’allait pas dans ce sens, pourquoi la NSA aurait-elle démenti ?)
Mais arrêtons-là les spéculations, pour constater plusieurs points d’une certaine importance, qui font penser qu’existe la possibilité du démarrage d’une nouvelle phase de la crise Snowden/NSA, – qui serait, et de loin, la plus importante, et la plus déstabilisatrice.
• Avec l’affaire des écoutes-Merkel, d’une part à cause de la réaction allemande et de Merkel elle-même, d’autre part à cause de l’importance de l’Allemagne et des liens fondamentaux de sujétion de l’Allemagne aux USA, on entre dans une phase où l’administration, et le pouvoir washingtonien en général, estiment brusquement que la crise Snowden/NSA peut avoir des conséquences extrêmement graves dans le réseau d’alliance de sujétion qui fondent l’influence, ou ce qu’il en reste, des USA. Brusquement, l’aspect extérieur de cette crise, jusqu’ici considérée comme accessoire, commence à prendre des allures fondamentales.
• La position de la NSA, et partant avec des effets dramatiques sur la nébuleuse de sécurité nationale dont elle fait partie, conduit cette agence à sembler s’engager dans des opérations d’influence et de pression qui mettent en question, directement, le pouvoir civil washingtonien, et le président personnellement. C’est un schéma qui a souvent été esquissé avec tel ou tel président (on a évoqué dans notre texte de ce 28 octobre 2013 le cas Kennedy-CIA). C’est une occurrence de même intensité, mais avec des perspectives à envisager d’une importance beaucoup plus larges, – “beaucoup plus larges”, si l’on ose dire, que le seul destin d’un président, parce qu’affectant toute la stabilité et l’équilibre du Système à Washington.
• Il semble, dans une telle hypothèse générale, que la Maison-Blanche et BHO lui-même pourraient se trouver dans une position où ils ne pourraient plus échapper à ce qu’ils ont évité jusqu’ici, qui est un conflit interne entre la présidence et l’un ou plusieurs services ou agences de sécurité nationale. S’il se confirme, par exemple, que BHO caresserait l’intention d’une réforme de la NSA, cette hypothèse spécifique d’un affrontement BHO-NSA (et, plus généralement, BHO-communauté de sécurité nationale) acquerrait énormément de substance. D’autre part, si Obama veut éviter la prolifération des affaires qui pourrissent les relations des USA avec leurs alliés et diminuent radicalement l’influence extérieure des USA, comment pourrait-il ne pas se résoudre à tenter de lancer une réforme de la NSA pour réduire à la fois la puissance, l’autonomie et l’action destructrice de l’agence ?
Sur ces divers points, nous jouons sur un terrain sérieux, qui est celui de l’histoire particulièrement fournie de la violence extrême aux USA, violence politique et violence-Système. On comprendra qu’il est possible que, dans cette affaire de la NSA, l’un et l’autre partenaire-adversaire, y compris d’un côté le prudentissime Obama, commencent à comprendre qu’il est impossible de faire autrement que jouer leur va-tout, et pour Obama que sa prudence proverbiale n’est plus aujourd’hui suffisante s’il y a affrontement avec la NSA. On se rappellera ces déclarations que nous citions, le 25 juin 2013, déjà dans le cadre de la crise Snowden/NSA, déclaration venue d’un homme sérieux, l’officier de la CIA devenu dissident Ray McGovern, – mais déclaration qu’il faut prendre désormais selon l’idée que, dans les circonstances évoquées, Obama pourrait être conduit à conclure que sa pusillanimité consécutive à la crainte qu’il évoque, même cela ne le protège plus, et qu’alors autant aller au charbon...
«... Which leads to the question, why would [Obama] do all these things? Why would he be afraid for example, to take the drones away from the CIA? Well, I’ve come to the conclusion that he’s afraid. Number one, he’s afraid of what happened to Martin Luther King Jr. And I know from a good friend who was there when it happened, that at a small dinner with progressive supporters – after these progressive supporters were banging on Obama before the election, “Why don’t you do the things we thought you stood for?” Obama turned sharply and said, “Don’t you remember what happened to Martin Luther King Jr.?” That’s a quote, and that’s a very revealing quote...»
Mis en ligne le 28 octobre 2013 à 11H31