Le contraire de la Guerre froide

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Le contraire de la Guerre froide

20 mars 2014 – L’expression “Guerre froide” est partout dans les bouches, dans les talking point, dans les déclarations impromptues, dans les commentaires des experts et des pundit. Si vous tapez “Retour Guerre froide” sur l’aimable Google, vous obtenez 2 680 000 résultats qui, certes, n’ont pas tous un rapport avec la situation présente, mais certainement dans leur énorme majorité (il y en avait 1 200 000 le 16 mars, voyez le rythme...) ; si vous limitez le champ de la recherche en y ajoutant le mot “Ukraine”, qui doit normalement restreindre dramatiquement la perspective, vous obtenez tout de même 294 000 résultats (284 000 le 16 mars, là aussi augmentation, mais beaucoup moins marquée, ce qui montre que l’idée du “retour à la Guerre froide” marque essentiellement les relations bloc BAO-Russie et non plus la seule crise ukrainienne réduite à l’Ukraine)... Sans aucun doute, l’expression est décisive dans la compréhension, ou soi-disant compréhension de la situation, et le système de la communication s’en fait le relais absolument obligé.

Il nous semble qu’il s’agit là d’un sujet d’une particulière importance, tant les mots et les expressions conditionnent la pensée, et surtout les mots et les expressions triviaux et communs, dans le sens effectivement d’un “conditionnement” absolument dommageable à la compréhension des choses. Cette remarque vaut absolument pour notre époque où le système de la communication domine, où la majorité des esprits se contentent d’en accepter passivement le flot. Nous allons donc étudier la validité de l’expression “nouvelle/néo-Guerre froide”, ou “Guerre froide continuée”, à la lumière de l’analyse de situation impliquée par l’expression “Guerre froide”. Bien entendu, cet exercice s’appuie sur le constat que nous avons fait que l’emploi de l’expression est totalement inapproprié pour désigner la situation présente, jusqu’à en être le contraire. Par conséquent, cet emploi est trompeur et faussaire à la fois, autant qu’il témoigne de l’ignorance ou de l'inattention des esprits qui le proposent autant que de ceux qui l’acceptent.

L’expression “Guerre froide” désigne la période allant de l’immédiat après-guerre à la date symbolique du 9 novembre 1989 (chute du Mur de Berlin). On peut faire débuter cette période au discours de Churchill de Fulton, sur “le rideau de fer” du 5 mars 1946 (symboliquement), au “coup de Prague” de février 1948, ou encore à l’explosion de la première bombe atomique soviétique en 1949. Ces indications sont données à titre documentaire et ne font pas ici l’objet d’un débat pour déterminer leur véracité respective, – parce que ce débat est, pour notre propos, complètement accessoire bien qu’il soit tout à fait justifié sur le fond. Les années 1950 ont opérationnalisé les caractères de cette période, avec au départ une situation de confrontation marquée par des tensions extrêmes, avec des groupes ou des individus cherchant à profiter d’un éventuel avantage pour déclencher unilatéralement une attaque nucléaire. (Voir le cas du général LeMay, le 15 mai 2001.) A partir de 1958 (visite de Krouchtchev aux USA) et, surtout, après la crise des missiles de Cuba d’octobre 1962 et l’entente Kennedy-Krouchtchev (malgré leurs sorts successifs, assassinat de Kennedy, déposition de Krouchtchev), la Guerre froide se codifia dans une sorte de règlement tacite, transcrit en doctrine par l’Américain McNamara en 1964 (MAD, ou Mutual Assured Destruction), selon laquelle tout affrontement direct entre les USA et l’URSS, même au plus bas niveau, devait être évité pour écarter tout risque d’escalade conduisant à la possibilité d’un échange nucléaire stratégique pouvant signifier la fin de toute vie sur la planète. Divers avatars au plus haut niveau marquèrent les années de Guerre froide, des accords stratégiques de limitation et une coopération dans les échanges commerciaux, ou au contraire des crises aigues (25 octobre 1973 et mise en alerte DefCon 3 des forces US, l’automne 1983 avec la destruction du Boeing 747 de Korean Airlines le 1er septembre à l’installation des premiers euromissiles US en Europe en novembre) ; dans un sens ou l’autre, la règle fut toujours respectée. Au plus haut de la crise de novembre 1983, lorsqu’il apprit d’un transfuge du KGB soviétique l’état de nervosité extrême de la direction soviétique craignant une attaque US par surprise et la mise en alerte du KGB, Reagan ordonna l’annulation de l’exercice Able Archer-83 de simulation d’une guerre nucléaire par crainte que Moscou l’interprète comme les prémisses d’une attaque nucléaire. (Voir le document «La “1983 Soviet War Scare” vue par la CIA», sur ce site, le 21 septembre 2003.)

(Bien entendu, toute la période de Guerre froide fut marquée de multiples guerres régionales, actions subversives, manipulations, terrorismes manipulés, etc., mais toujours selon la règle qu’à aucun moment un soldat US ne devait se trouver d’une façon voyante et authentifiée en face d’un soldat soviétique, dans la position de devoir engager un combat. Bien entendu, de telles occurrences eurent lieu, mais elles furent constamment dissimulées, comme lorsque des pilotes soviétiques furent engagés sur des MiG-15 contre les F-86 de l’USAF durant la guerre de Corée. Cela ne fut reconnu que des décennies plus tard.)

Un point très important pour faire progresser notre raisonnement est qu’il y a souvent des confusions sur l’emploi de l’expression “Guerre froide”, durant la Guerre froide elle-même. Différentes expressions furent employées pour désigner différentes phases de la période, – notamment “containment” au début de la période, “coexistence pacifique” puis “détente”, mais aussi, dans l’autre sens, “seconde Guerre froide” à partir de 1975, quand les USA durcirent leur politique de sécurité nationale et leur posture vis-à-vis de l’URSS. Ce dernier terme de “seconde Guerre froide” est intéressant car il contient en lui-même une distorsion des interprétations historiques, et ce n’est certes pas un hasard qu’il ait été introduit par un groupe dur antisoviétique aux USA (démocrates et républicains), rassemblé dans le Committe on the Present Danger, dans lequel les neocons, encore démocrates autour du sénateur (démocrate) Scoop Jackson, tenaient une place importante. Cette idée de “seconde Guerre froide” impliquait qu’il y en avait eu une “première” qui s’était achevée, ce qui est une distorsion historique puisque l’expression désigne toute la période. Ce glissement sémantique impliquait un grand programme (plutôt que projet) politico-belliciste qui a effectivement débouché sur l’après-Guerre froide (la vraie) jusqu’à nos jours : faire prendre la Guerre froide comme essentiellement caractérisée par l’affrontement hors de toute règle, l’“affrontement à mort” qui était la seule formule envisageable, les périodes “régulées” (type-“détente”) étant assimilées à une capitulation des USA. Le programme “pré-neocon” ne fut qu’en partie appliqué, notamment avec des opérations telles que le développement du mouvement islamiste en Afghanistan, contre le régime communiste puis contre l’URSS, ou l’aide à Solidarnosc contre le régime communiste en Pologne (mais d’autres opérations du même type avaient eu lieu dans les périodes précédentes, ce qui diminue d’autant leur signification spécifique). Sur l’essentiel, qui est “la règle du jeu” au plus haut niveau et impliquant USA et URSS, et malgré une évolution doctrinale impliquant la disgrâce de la doctrine MAD, la règle fondamentale de la Guerre froide prévalut, y compris durant la présidence Reagan où d’importants accords furent signés, dont le seul accord jamais signé entre les deux superpuissances de la Guerre froide de destruction complet d’une catégorie d’armes nucléaires importantes (l’accord TNF sur les armes nucléaires de théâtre de longue portée, de décembre 1987).

Il n’empêche, cette intervention des neocons signalait effectivement la sémantique faussaire à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui avec l’idée d’une “néo-Guerre froide”, ou encore du constat à-la-McCain que “la Guerre froide n’a jamais cessé”. Cette “opération sémantique” comme on pourrait désigner la chose, est d’une importance capitale, parce qu’elle recèle peut-être la cause profonde de la tendance antirusse qui s’est installée au cœur des troupes du Système, qui a la force d’un emportement hystérique exerçant son empire sur une psychologie malade et impuissante à recueillir les signes de la vérité de la situation du monde. Cette tendance antirusse s’est manifestée d’une façon opérationnelle de deux façons depuis la fin de la Guerre froide : la mise à l’encan de la Russie avec Eltsine par le capitalisme sauvage, la dénonciation de la Russie “néo-impérialiste” et dictatoriale avec Poutine, avec une poussée concomitante constante vers la Russie (OTAN et UE). Ainsi peut-on mieux comprendre comment, à partir des années 1970, et d’ailleurs avec l’aide involontaire et faussée à cette occasion de l’angélisme de la présidence Carter exploitant la première la doctrine du droitdel’hommisme né du juridisme de l’accord d’Helsinki de 1975, est passé de l’antisoviétisme à la russophobie, et cela contre toute logique et justice historiques. (La Russie a été la première victime du communisme, selon un cas historique beaucoup plus tranchant et indubitable avec le “coup” des Bolchéviques largement minoritaires du 7 novembre 1917 que celui de l’Allemagne, où le nazisme arriva au pouvoir selon des procédures démocratiques.)

Il faut considérer comme très importante cette “opération sémantique”, ce “coup de force sémantique” de la part de ce courant radical rénové né aux USA dans les années 1970, avec les neocons comme avant-garde (sorte de réplique sismique de l’“avant-garde du prolétariat” que constituait le bolchévisme, – et ainsi le “coup de force sémantique” renvoyant au “coup de force politique” de novembre 1917). “Opération sémantique” et “coup de force sémantique” ne signifient pas une intentionnalité consciente et planifiée pour en arriver à ce renversement de la signification historique de la Guerre froide, – basculement de la régulation USA-URSS à l’affrontement des USA/bloc BAO contre l’URSS devenant Russie. La démarche a été faite par automatisme dans le cadre de l’exploitation maximaliste du système de la communication qui commençait alors à acquérir une dimension politique et idéologique explicite, plus selon des arguments de relations publiques et de technique publicitaire avec maquillage idéologique à mesure, que selon un jugement acceptable d’une vérité stratégique renvoyant aux rengaines de la géopolitique. Littéralement, les neocons fonçaient sans savoir ni où ni pourquoi, s’affublant au passage, selon les mêmes techniques RP/publicité, de divers oripeaux de prestige, dont la philosophie de Leo Strauss est le plus prestigieux. (Lorsqu’il se battait contre Richard Burt du département d’État pour favoriser une politique antisoviétique maximaliste, Richard Perle, du département de la défense, se fichait bien des thèses de Leo Strauss : il suivait l’entraînement irrésistible des affrontements bureaucratiques qui se situent eux aussi au sein du système de la communication. [Voir le 8 janvier 2002, à propos du roman à clef HardLine, de Richard Perle].)

Durant ce processus qui prit toute sa signification dans les années 1990, avec l’aide de l’interprétation d’un verdict de condamnation sans appel de la Russie selon le constat scandalisé comme l’on est scandalisé d’un comportement de relaps qu’avec Poutine en 1999 la Russie avait décidé de réagir contre la peste déstructurante et dissolvante du capitalisme, le Système installé à visage découvert et dans toute sa surpuissance annexa cette dynamique sémantique. Ce faisant, il intronisait les neocons en “idiots utiles” de première catégorie. Si le moteur de cette évolution est de l’ordre de la communication, la transmutation a véritablement été de l’ordre de l’essence métahistorique. Cela explique que l’antagonisme du bloc BAO contre la Russie, devenu dans cette évolution de l’ordre du réflexe pavlovien, avec liberté d’esprit et intelligence à mesure, cet antagonisme qui est devenu une des structures essentielles de nos psychologies constitue un facteur fondamental de l’évolution du Système depuis la fin de la Guerre froide et du XXème siècle. Par conséquence antagoniste, cet antagonisme est aussi un moteur fondamental de l’efficacité des forces antiSystème dont la progression du Système suscite l’émergence, et de l’excitation de la dynamique de surpuissance du Système jusqu’à des extrêmes ou sa propre transmutation en dynamique d’autodestruction apparaît et s’accélère.

La ronde folle des nabots en jabot

Notre “néo-Guerre froide” est donc un simulacre complet. Elle a pour effet de légitimer a posteriori une interprétation faussaire de la Guerre froide, et donc de légitimer pour notre temps présent, formidablement contracté et décisif, l'idée implicite mais extrêmement puissante d'une attaque sans possibilité de compromis (l’“affrontement à mort”) de la Russie. Si Poutine a choisi une “doctrine de Cortez” dans sa stratégie dans la crise ukrainienne (voir le 4 mars 2014), le bloc BAO est conduit par une psychologie complètement sous l’empire de sa pathologie-Système à cette même “doctrine de Cortez” poussée jusqu’à ses extrêmes concevables, dans la plus complète inconscience de la vérité de la situation et même de la vérité du monde : aucune possibilité de retour, aucune possibilité de compromis, aucune possibilité d’armistice (Moscou doit suivre Kiev dans sa chute, selon McCain le 15 mars 2014), – littéralement, la Russie doit disparaître dans le trou noir du Système qui siphonne tout. Bon vent...

L’appellation de “néo-Guerre froide” est même un double simulacre. D’une part elle légitime “une interprétation faussaire de la Guerre froide”, d’autre part elle légitime l’action présente, notamment et essentiellement en Ukraine, du label institutionnalisé de “Guerre froide”, qui résonne de références à la liberté, au Monde libre, etc. C’est là une action bien dans la manière des publicistes et professionnels de la communication que sont les différentes sortes de neocons en action. Ainsi apparaît la tactique, irrésistible, habile, cynique, extrêmement efficace, – et d'une complète inconscience de l'enjeu, certes. Mais on ne peut s’arrêter là et il nous faut aller beaucoup plus loin ; c’est alors que nous entrons dans une effrayante terra incognita.

La réinterprétation de l’expression “Guerre froide” s’est faite principalement en défigurant complètement le sens de l’expression, en la châtrant littéralement. Nous n’avons aucune affection particulière pour cette période, qui constitua également, par rapport à aujourd’hui, une mise en scène soigneuse pour dissimuler l’installation de plus en plus totalitaire du Système opérationnalisée par l’hégémonie d’influence du système de l’américanisme et la globalisation. Pour autant, nous ne devons pas écarter la vertu de régulation qu’elle avait su installer, pour le meilleur et pour le pire, concernant les instruments les plus dangereux du système du technologisme. Le danger ultime de l’holocauste nucléaire gouvernait toutes les pensées stratégiques, et conditionnait les actes stratégiques. Ainsi l’expression “Guerre froide” signifiait-elle “guerre qui ne peut devenir chaude”, c’est-à-dire guerre potentielle emprisonnée à double tour dans la maxime “guerre qui ne peut être faite”. D’où la régulation extrême de l’interdiction que se faisaient à eux-mêmes les deux partenaires-adversaires de ne jamais se trouver en position de s’affronter d’une façon ouverte, connue, engageant leur prestige et leur influence, c’est-à-dire dans une situation où aucun ne pourrait reculer sous peine d’une perte de prestige irréparable, c’est-à-dire dans une situation où l’escalade était la seule issue pour l’un ou pour l’autre d’éviter cette perte de prestige, c’est-à-dire l’escalade jusqu’à l’“impensable ” (“unthinkable”).

... “La réinterprétation de l’expression ‘Guerre froide’ s’est faite” sémantiquement en passant d’une interprétation conforme au système du technologisme à une interprétation conforme au système de la communication. La référence est passée du technologisme (la menace nucléaire) à la communication (l’idéologie, façon publicitaire/RP) ; ainsi passant du “frein” (éviter à tout prix l’holocauste nucléaire) à l’“accélérateur” (imposer une idéologie selon les normes de la publicité). L’“accélérateur” a effacé le “frein”, et l’on a littéralement oublié ce que signifie le plus haut degré de l’escalade, l’affrontement nucléaire. Les générations actuelles au pouvoir, passées au stade de l’employé-Système, n’ont aucun souvenir, aucune expérience, aucune culture qui leur permettraient de ranimer ce que furent les grandes crises nucléaires de la Guerre froide, et comment elles préfiguraient littéralement les menaces d’anéantissement commun jusqu’à susciter des mouvements de communication d’une ampleur considérable. (The Day After, le téléfilm US qui alluma une formidable vague antinucléaire en 1981-1982 aux USA en figurant l’“hiver nucléaire” du “jour d’après”, qui alla jusqu’à convaincre Reagan de chercher dès que l’occasion s’en présenterait un arrangement pour désamorcer les risques d’affrontement nucléaire.) L’amnésie de ce que fut vraiment la Guerre froide a ainsi conduit à écarter la représentation du risque d’affrontement nucléaire et a ouvert la voie à cette crise ukrainienne qui comporte sans doute plus qu’en aucun autre moment depuis qu’existe la Bombe, le risque de l’affrontement nucléaire... (Le scénario est évident, entre une situation se dégradant et dégénérant en chaos en Ukraine, avec intervention russe pour protéger les minorités russophones de l’Ukraine orientale, déploiement de forces de l’OTAN, forces US en tête en Ukraine occidentale face aux Russes, etc. Il est alors évident que l’on retombe sur le cas nourrissant l’escalade que la régulation implicite de la Guerre froide empêchait à toute force.)

On l’a déjà lu sous la plume de Loren B. Thompson, les durs-à-cuire qui gardent un peu des souvenirs de la Guerre froide évoquent avec horreur la possibilité d’un face-à-face entre des soldats russes et des soldats US .(Voir le 14 mars 2014.)

«Russia has the ability to utterly destroy America. Local conflicts have a way of getting out of control when foreign powers intervene. In any military confrontation between U.S. and Russian forces, there is a danger of escalation not only to conventional combat, but beyond — in other words, to the use of nuclear weapons. That may sound like an improbable scenario, but it’s no more outlandish than an assassination attempt by Serbian nationalists leading to a World War, and yet that actually happened — in the same region. Russia has thousands of nuclear warheads, and the only defense America has against such weapons is retaliation in kind. Think of the possibilities.»

Il est intéressant de noter que Thompson, en évoquant cette possibilité, se réfère évidemment à Sarajevo-1914, ce qui est non seulement tentant à la lumière du centenaire, mais encore très pertinent. Un affrontement de ce type apocalyptique qu’on décrit aurait tout, effectivement, du caractère de l’incompréhensibilité, de l’inexplicabilité, par rapport à une vision normale et rationnelle de la situation politique, des intérêts des uns et des autres, des risques à ne pas courir, etc. En ce sens, il s’agirait des mêmes conditions incompréhensibles et inexplicables que celles qui présidèrent à l’enchaînement conduisant au déclenchement de la Grande Guerre. Mais on sait que notre explication de la Grande Guerre est fort différente (voir notamment le 2 janvier 2014), et que son déclenchement correspond pour nous à un grand moment de vérité d’une situation métahistorique, à côté de son incompréhensibilité et de son inexplicabilité historiques et opérationnelles. Ainsi en est-il, en un certain sens, des perspectives absurdes et incroyables d’un risque d’un affrontement nucléaire à l’occasion de la crise ukrainienne. Selon cette interprétation, que nous avons déjà suggérée, ce risque devient alors l’expression logique et normale de la crise d’effondrement du Système, comme le déclenchement de la Grande Guerre fut une réplique sismique il y a cent ans de notre crise, tout cela à partir du déchaînement de la Matière.

Dans ce cas, les grands mécanismes décrits ont tout le champ pour jouer leur rôle, et notamment le système de la communication : autant il a permis aux “idiots utiles”, neocons et autres, de jouer leur rôle de faussaire du concept de “Guerre froide”, autant ils devraient jouer également leur rôle d’“idiots utiles” d’un système de la communication s’invertissant selon sa logique de Janus, et provoquant des effets antiSystème ... Le principal d’entre eux serait que cette même crise ukrainienne qui fait renaître le risque de l’holocauste nucléaire, provoquât la secousse finale vers l’effondrement du Système, – et la réalisation de ceci (“risque de l’holocauste nucléaire”) pouvant être effectivement la réalisation de cela (“secousse finale”).

Nous avons déjà évoqué cette possibilité le 3 mars 2014 et nous ne voyons rien qui, depuis, contredise cette perspective. Dans cette évocation se trouvait effectivement, et essentiellement, la référence analogique à la Grande Guerre d’il y a cent ans, c’est-à-dire un autre “grand moment de vérité d’une situation métahistorique, à côté de [l’]incompréhensibilité et de [l’]inexplicabilité historiques des événements concernés”. En d’autres mots, si cette analogie symbolique et centenaire est juste, le destin de cette crise ukrainienne, qui est pleine de tromperies, qui usurpe les mots et les références, ne peut se terminer dans l’apaisement et dans l’arrangement puisqu’aucun de ses fondements n’a la force de la vérité qui lui permettrait effectivement de maîtriser ou de détourner un “grand moment de vérité d’une situation métahistorique”. Toujours selon cette analogie, la crise ukrainienne ne peut se terminer, en tant que telle et par rapport à nos références courantes, que dans le paroxysme. Il apparaît de plus en plus que l’un des paroxysmes est le risque de l’affrontement nucléaire ; il est à la fois “classique” et inattendu, mais son évocation, sinon sa possibilité commence à désormais se répandre dans les commentaires et les appréciations, et avec lui la terreur absolue qu’il suscite, – consciemment pour quelques-uns, inconsciemment pour les autres. C’est dire que nous jugeons de plus en plus évident que la dimension psychologique de la possibilité de l’holocauste nucléaire, comme nous l’évoquons justement dans le texte déjà référencé (le 3 mars 2014), devrait devenir rapidement l’élément central de ce facteur (la possibilité de l’holocauste nucléaire), et l’holocauste nucléaire qui est un élément dépendant du système du technologisme s’insérant alors de facto dans le système de la communication qui est la principale force en action dans le conflit, par le biais de la perception de sa possibilité et ses effets sur la psychologie. Dans ce contexte précisément, il nous apparaît très possible sinon probable que les répercussions sur le Système devraient rapidement devenir de plus en plus fortes, de plus en plus menaçantes en ce qui concerne la stabilité et la solidité de l’ensemble (du Système). Ces chocs compléteraient ceux qui sont déjà assénés au Système par les intentions, les prospectives diverses envisagées, qui se réfèrent également à des possibilités catastrophiques.

(On se réfère par exemple aux déclarations du conseiller économique de Poutine Sergei Blazyev [voir le 18 mars 2014], un “dur” dans l’entourage de Poutine dont l’influence augmente, sa position qui commence à se répandre en raison des événements étant celle d’un tournant radical russe hors de l’attraction du bloc BAO vers une position d’autarcie de la Russie : «He told the RIA Novosti news agency Russia could stop using dollars for international transactions and create its own payment system using its “wonderful trade and economic relations with our partners in the East and South.” Russian firms and banks would also not return loans from American financial institutions, he said. “An attempt to announce sanctions would end in a crash for the financial system of the United States, which would cause the end of the domination of the United States in the global financial system,” he added.»)

... Ainsi ne s’agit-il nullement d’une “nouvelle Guerre froide”, où l’on s’installe dans des campements de campagne pour une phase historique longue, en comptant miner l’adversaire avec le temps. (Il y a des analystes prospectifs économiques qui vous démontrent que l’orientation d’une autarcie de la Russie, comme celle que préconise Blazyev, n’a aucune chance de tenir sur le terme de 10-15 ans, – autant nous parler du prochain millénaire, au rythme où vont les choses, avec ce temps historique en constante contraction, avec les formidables enchaînements d’effets que provoquent les événements...) Au contraire, cette très-fausse “nouvelle Guerre froide” nous apparaît avoir tout d’une blitzkrieg, promise à aller très vite comme elle a fait jusqu’ici, à évoluer comme l’éclair, et aussi insaisissable que ce phénomène naturel, en ayant comme enjeu, tout aussi nécessairement, le Système lui-même. Il s’agit du contraire de l’événement qu’on veut solliciter comme modèle, avec le secret espoir, – ceci expliquant cela, – qu’il se terminerait comme le précédent (défaite de la Russie comme il y eut la défaite de l’URSS). Nous nous approchons à grands pas du chapitre de conclusion, parce que le Système, lorsqu’il pousse sa phase de surpuissance comme il fait actuellement, fait naître parallèlement, à une vitesse également prodigieuse dont nous n’avions sans doute pas conscience, les éléments de son autodestruction.

Ces différentes affirmations, tournant notamment autour de l’idée de la rapidité des événements et de la fragilité du Système qui pourrait se trouver assez secoué pour risquer l’effondrement, notamment avec l’aide des psychologies malades de ses serviteurs, sont confortées à notre sens par le retour aux évidences du sens commun. Justement, le regard en arrière, sur la Guerre froide que nous sommes censés prolonger ou relancer, démontre combien notre comportement politique, encore plus que notre politique, est fou, insensé, complètement et monstrueusement déformé par une sorte d’hybris de bazar, l’hybris de la postmodernité, caricature du vrai mais au moins tout aussi destructeur. S’attaquer ainsi à la Russie, qui est la puissance qu’on sait, dans les conditions qu’on sait, pour les arguments qu’on connaît qui sont d’une légèreté, d’une puérilité politique si grandes, selon des situation si complètement suspectes et faussaires, tout cela représente un cas effrayant et quasiment surréaliste de la démonstration de l’effondrement de l’esprit. A côté des nabots en jabot qui prétendent gouverner comme des fantômes caricaturaux de l’art politique, les dirigeants en scène durant la Guerre froide, qui n’étaient pourtant ni des Talleyrand ni des Machiavel, paraissent des géants de la raison et de la mesure, – sans parler, par pitié, d’un de Gaulle qui est littéralement d’un autre monde. Ces choses simples doivent être relevées en conclusion : elles fixent la simplicité du diagnostic qu’on pose sur cette civilisation qui se noient dans ses propres marécages d'inconséquence et de néantisation de l'esprit. Alors apparaît, tout aussi simple, la conclusion : s’ils en sont là, les nabots en jabots, c’est qu’ils sont totalement prisonniers du Système, – et de un, – et que le Système est vraiment en train de s’autodétruire, sorte de dinosaure devenu fou, – et de deux ... Pour l’instant, cela suffit.