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761…Et ces termes de “paralysie et impuissance” ne s’appliquent pas vraiment au général James Jones, qui démissionne de son poste de directeur du National Security Council (conseiller du président pour les questions de sécurité nationale, ou si l’on veut, “ministre personnel des affaires étrangères et de la défense” du président). Pourtant son départ, derrière les grotesques déclarations d’autocongratulation officielles, est accompagné d’appréciations critiques d’une rare intensité, portant sur l’effacement de Jones, son incapacité à conseiller efficacement le président, à affirmer sa prééminence sur les questions de sécurité nationale, – bref, ce qui est désigné comme sa “faiblesse”, mais cela en termes bureaucratiques certes. Il est remplacé par son adjoint, Tom Donilon, qui travailla comme lobbyist pour l’énorme conglomérat de prêts Fannie Mae, jusqu’à ce que cet organisme soit au bord de l’effondrement à l’automne 2008.
On donnera comme référence sur cet événement, notamment le texte de Paul Woodward, de War in Context, ce 8 octobre 2010. Nous apprécions beaucoup Woodward et son texte est d’autant plus intéressant pour notre propos qu’il est très défavorable à Jones, alors que nous ne le sommes pas du tout. Effectivement, il regroupe, d’une façon intelligente, les diverses critiques contre Jones signalées plus haut. Nous serions, pour notre part, tentés, après avoir essayé de rendre justice à Jones, de voir dans son départ (et dans la nomination de son adjoint) un signe puissant de la paralysie et de l’impuissance qui règnent dans l’administration Obama, dans la politique de sécurité nationale des USA, chez les critiques d’Obama et ainsi de suite, – c’est-à-dire partout dans tous les organismes et réseaux du pouvoir US.
@PAYANT On connaît bien le général Jones en Europe (il a été commandant en chef suprême des forces de l’OTAN, il est né en France et parle couramment le français, etc.). C’est un homme qui se méfie des fonctions de pouvoir dans un système aussi bureaucratisé qu’est Washington. Il avait refusé des postes de responsabilités de sécurité nationale, parce que trop “bureaucratisés” dans une administration (Bush) discréditée et qu’il n’aimait pas ; il avait vivement conseillé à son compagnon d’arme, le général des Marines Pace, de refuser en 2004 la fonction de président du Joint Chief of Staff, pour les mêmes raisons. Il changea donc d’avis avec Obama. La raison en est maintenant classique, puisque partagée par l’un ou l’autre au départ de l’administration Obama : l’espoir qu’avec Obama, les choses allaient changer, peut-être décisivement, et que le pouvoir réussirait à se dégager de l’étreinte des bureaucraties et des centres de pouvoir concurrents. De ce point de vue, comme on le sait d’une façon générale, l’échec est patent.
La plupart des reproches qu’on fait à Jones n’ont rien à voir avec sa pensée, ses conceptions, ses projets, etc., mais avec son incapacité de se dégager lui-même de l’emprisonnement bureaucratique, et sa faiblesse se situe effectivement dans son incapacité de mener cette sorte de bataille bureaucratiques. D’un point de vue objectif, nous dirions que cela ne condamne pas l’homme mais le système, et les “faiblesses” de Jones seraient plutôt des qualités… Une fois de plus, on observe le caractère inexpugnable et la puissance du système, d’autant plus avec un président qui a complètement capitulé de ce point de vue. Jones avait, dans la mesure des conceptions possibles à Washington, d’assez bonnes idées. Il voulait une détente avec la Russie (il y a contribué d’une façon ponctuelle au printemps 2009, mais tous ces acquis sont aujourd’hui presque complètement noyés par la reprise en main tentaculaire de la bureaucratie) ; il voulait réduire l’influence extrémiste et illégale des Israéliens à Washington, plaidait plutôt pour une option de désengagement progressif en Afghanistan, – bonnes idées et, par conséquent dirions-nous en constatant quelque chose d’inéluctable, échec complet… (L’interprétation selon laquelle il s’en va parce qu’il a recommandé l'actuelle “offensive” contre le Pakistan alors que cette offensive est un échec est contredit par le fait que son départ est évoqué depuis longtemps, d’une part ; que cette offensive est, d’autre part, complètement réclamée depuis longtemps et prise en compte par diverses bureaucraties de sécurité nationale, et par Obama lui-même alors qu’on décrit les liens entre Obama et Jones comme extrêmement lointains, distendus, et Jones sans influence sur Obama. De toutes les façons, rendre Jones qui s'en va responsable de l'échec actuel vis-à-vis du Pakistan est de bonne guerre de la part de ceux qui restent et qui ont effectivement recommandé cette offensive...)
Les jugements de Woodward sur le rôle de Jones, dans son livre Obama’s Wars devenu la bible de l’histoire immédiate de cette administration, le montrent enrageant et impuissant devant le “Politburo”, la “Mafia” entourant Obama, et, par conséquent, l’impossibilité où il se trouvait d’approcher Obama. Impuissance ? Peut-être, mais alors la puissance dans ce cadre ne signifie rien d’autre que l’acceptation des règles du système, de la concurrence féroce et prédatrice qui y règne, et auxquelles le président lui-même ne cesse de céder puisqu’il ne parvient pas lui-même à distinguer et à imposer un conseiller qu’il jugerait important. Jones eût-il été un “guerrier bureaucratique” efficace que cela n’eût abouti à rien d’autre qu’à perpétuer les catastrophes en cours puisqu’il eût été obligé de soutenir effectivement les politiques catastrophiques imposées par la bureaucratie. Le départ de Jones n’a pas grand’chose à voir avec ses “faiblesses” mais avec celles d’Obama, et il confirme que le président et son administration sont à la dérive ; mais, de toutes les façons, les critiques de l’administration et l’opposition étant eux-mêmes à la dérive, nous sommes évidemment dans le cas que nous ne cessons de signaler d’un système général aux abois. Simplement, certains ont plus à y perdre que d’autres.
Le remplaçant de Jones est déjà vilipendé de tous les côtés, y compris par les increvables neocons, gardiens vigilants de la très grande stupidité du système dont ils sont les plus fidèles “idiots utiles”, et sans aucun doute fiers de l’être, avec un zèle constant et bien rétribué. Donilon, qui était étranger aux milieux de la sécurité nationale depuis qu’il avait servi au département d’Etat sous Clinton, qui est détesté par Gates et les militaires, apporte une certaine incompétence dans le domaine dont il serait censé être l’un des principaux acteurs pour le compte d’Obama. Par contre, on lui reconnaît une capacité de lier les questions de sécurité internationale aux questions de politique washingtonienne, c’est-à-dire la capacité de bien “vendre” des politiques auxquelles, dit-on, il n’aurait rien à dire et auxquelles il ne comprendrait guère. On serait donc sur la pente du mal en pis, sans surprise aucune, – à moins qu’il y ait au contraire, par accident imprévu, une surprise avec Donilon… En effet, au-delà de sa position d’amateur, Donilon dédaigne radicalement les habituelles procédures bureaucratiques (ce pourquoi les militaires le détestent) et pourrait provoquer l’un ou l’autre incident intéressant. Dans tous les cas, son arrivée ne va faire qu’encore accroître les batailles internes dans l’administration.
Mis en ligne le 9 octobre 2010 à 09H43