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12353 septembre 2010 — Le “peak oil”, on le notait hier, “est de retour”. On en parle dans Ouverture libre, dans ce sujet du 2 septembre 2010 concernant un article du Spiegel, lui-même concernant un rapport alarmiste du think tank de la Bundeswehr (l’armée allemande).
Non que nous soyons impressionnés au point de commencer à stocker du combustible pour notre parc de puissants véhicules et le réchauffement de nos vieux os cet hiver. (A cet égard, nombre de points énoncés par le rapport sur la réalité et les conséquences de cette crise auraient pu être énoncés, – et ils l’ont été, pour certains, – dès le printemps 1973, lorsque les premiers bruits d’embargo pétrolier au Moyen-Orient couraient dans les milieux stratégiques et politiques ; embargo que nous eûmes effectivement, à partir de novembre 1973, avec nos “dimanches sans autos” qui étaient fort agréables. Ce seul point montre bien l’évidente insaisissabilité du facteur eschatologique dans l’analyse stratégique dépendant de la seule raison humaine, qui en vient toujours aux mêmes appréciations.) Par contre, oui, nous avons été, sinon impressionnés du moins fortement intéressés par le passage dont nous faisons citation, sur l’influence que pourrait avoir ce rapport, quasi-immédiatement, sur la politique du gouvernement allemand ; et pas n’importe quelle politique, par les temps qui courent, puisqu’il s’agit des relations avec la Russie d’une part, avec les pays du Moyen-Orient, dont Israël et l’Iran d’autre part… Et tout cela, on sait dans quel sens puisque le rapport recommande d’assurer de bonnes relations avec les pays exportateurs d’énergie.
@PAYANT …C’est ainsi, effectivement, que les crises eschatologiques continuent à poursuivre leur irruption massive dans la crise du monde, laquelle est ainsi de moins en moins dépendante des seules actions humaines et manœuvres plus ou moins arrangeantes de la raison humaine. (Pour rappel, voici ce que nous disions le 23 juin 2008 dans un texte où nous identifions quelques prémisses de ce même phénomène de l’incursion décisive de l’eschatologie dans les crises dépendantes directement des actions humaines, de type géopolitique, crises qui appartiennent de plus en plus à un passé révolu et perçu obligeamment comme rationnel : «
Dans le cas allemand qui nous sert de fil rouge ici, il est évident que la politique russe, la politique israélienne et la politique iranienne de la chancelière Merkel vont être encore plus influencées par un facteur qui n’a rien à voir avec la “lecture” politique de ces relations. Est-ce à dire, pour ce cas précis, qu’elles vont basculer ? Sans doute pas, – et même, certainement pas, parce que d’autres facteurs vont interférer, qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement ordonnés par la seule analyse rationnelle, qui eux aussi interfèrent d’une façon insaisissable… (Que va dire la vox populi du “parti des salonards”, droits de l’homme et droits de la femme en bandouillère, si Merkel condamnait abruptement Israël et tendait une main angélique et chargée de “pétro-euros” au président iranien ?) Mais ces politiques “classiques” vont être encore moins sûres aujourd’hui qu’elles n’étaient hier, et elles seront encore moins sûres demain. Un élément d’incertitude dépendant d’un facteur insaisissable (le crédit que la direction allemande accorde à ce rapport) s’est mis en place, – un de plus, parmi la foule grossissante des “facteurs insaisissables”. Vous multipliez ce facteur d’incertitude par autant de rapports qui apparaissent, dans autant de gouvernements et d’establishment politiques qu’on peut envisager, avec autant de degrés d’influence variable, concernant autant de possibilités de crises eschatologiques (crise de l’énergie, crise des ressources, crise environnementale, crise climatique, etc.), et vous aurez une mesure de l’influence que ces questions eschatologiques commencent à exercer sur la politique générale.
Pour poursuivre le cas allemand, il va devenir de plus en plus difficile et surtout de plus en plus chaotique de déterminer l’évolution et la logique de la politique allemande, par exemple vis-à-vis de la Russie et vis-à-vis de l’Iran, selon les facteurs classiques à cet égard. Des évènements en apparence complètement hors du sujet jouent un rôle potentiel effectif grandissant, selon les pressions du système de la communication sur les dirigeants. Il suffit d’un hiver rigoureux, ou toute autre situation donnée qui mette en évidence la nécessité de garantir et de verrouiller à tout prix les livraisons d’énergie, cela répercuté par la pression médiatique et la puissance du système de la communication, pour qu’un accord, – fût-ce un accord stratégique sans rapport avec l’énergie, – en cours de négociation avec la Russie soit brusquement bouclé par les Allemands pour tenter d’améliorer décisivement leurs relations avec la Russie. Une semblable interférence, également selon une logique de cause à effet qui n’est pas identifiable par avance, pourrait jouer un rôle d’interférence similaire dans une phase de la crise sans fin avec l’Iran. (Il faut bien tenir pour essentiel, dans cet exemple allemand, que la question de l'énergie est imposée “de l'extérieur”, hors des calculs politiques, ce qui est bien le caractère des crises es eschatologiques. Il y a déjà eu, il y a toujours eu des politiques influencées par des calculs sur l'accès à tel ou tel matières premières, parce que c'est un point important du développement d'une nation; mais la direction politique initiait et maîtrisait la démarche. Désormais, la chose est perçue comme imposée de l'extérieur, elle est perçue comme imposée d'urgence, etc. Les conditions psychologiques sont absolument différentes et elles conditionnent tout le reste.)
Bien entendu, on ne peut s’en tenir un pétrole, non plus qu’à l’Allemagne, ni aux relations de l’Allemagne avec la Russie et avec l’Iran, etc. Cette situation d’incertitude très dynamique et grandissante existe dans bien d’autres domaines potentiels, sinon effectifs, de crises eschatologiques, où la logique de la crise est bien mal identifiables dans ses prémisses, et ses effets sur une ou des politiques encore plus difficiles à déterminer. Par exemple, Arnaud de Borchgrave rapportait, le 20 août 2010, dans un texte qu’il publiait pour UPI sur la “catastrophe biblique” que constituent les inondations du Pakistan, cette remarque du général de l’U.S. Army Douglas Lute, coordinateur pour l’Afghanistan et le Pakistan à la Maison-Blanche : «Every dimension of our relationship, politics, economic and security is going to see major shifts as a result of this historic disaster.»… De quelle façon ce “strategic shift”, dans quel sens, avec quelle amplitudes respectives, etc., – autant de questions sans réponses.
On doit insister sur la mise en évidence de la rapidité de l’évolution des situations d’interférence des crises eschatologiques, sans qu’il soit nécessaire que ces crises existent (cas du pétrole et de l’hypothétique “oil peak”), et sans qu’il soit possible que ces crises puissent être prévues en aucune façon (cas des inondations pakistanaises). De ce point de vue, on comprend combien la principale activité de la raison humaine dans cette sorte d’occurrence, – la prospective ou la capacité de prévisibilité, – n’a aucune importance dans le chef de sa justesse ou non, – ce qui, justement, est censé être toute sa vertu. Que nous importe que la prévision du think tank de la Bundeswehr soit juste ou pas dès lors que le gouvernement Merkel y prête attention, en est influencé, que sa bureaucratie tienne compte en général du facteur “oil peak” pour ses recommandations de politique… Or, qui peut dire dans quelle mesure cette bureaucratie ingurgitera ce facteur, qui peut dire si un ministre, ou la chancelière elle-même, brûlant sa bureaucratie, ne fera pas figurer cette préoccupation dans les facteurs principaux qu’elle aura à l’esprit pour sa prochaine rencontre avec Medvedev ? On fait ces suppositions et ces hypothèses, dans ce sens de donner de l’importance à de tels facteurs, parce que les événements se pressent de plus en plus pour accroître l’inquiétude des dirigeants divers à cet égard. (Successivement, ces quatre derniers mois, des événements majeurs comme le “oil spill” du Golfe du Mexique, les grands incendies de forêt de Russie, les inondations du Pakistan, sont à classer dans cette sorte d’événements. Cela fait beaucoup en abondance et en volume de pressions dans des sens politiques divers.)
Cette diffusion des nouvelles craintes, des nouvelles menaces, des nouvelles obsessions, dont il faut prendre en compte les effets sans pourtant savoir ce que peuvent être ces effets, entraîne une obsession rationaliste pour tenter de reprendre le contrôle de ce qui échappe manifestement à la rationalisation de la perspective. Chaque “crise” est dotée et va donc être dotée de son appendice prospectif sur l’intervention des facteurs eschatologiques, justement pour tenter de “rationaliser” la perspective. Par exemple, la situation sur la frontière mexicaine des USA est désormais promise à devenir “explosive”, – comme si elle ne l ‘était déjà, – à la lumière d’un rapport de l’American Security Project (voir le Washington Times du 1er septembre 2010). Ce rapport annonce que le flot des immigrants vers les USA, qui s’est fortement ralenti ces deux dernières années à cause de la crise économique aux USA (sans pour autant apaiser la crise en cours sur la frontière, tant s'en faut), va atteindre ces prochaines années des proportions inquiétantes sinon affolantes à cause des populations poussées à l’émigration vers le Nord supposé dans une situation d’abondance, à cause des conditions économiques engendrées en Amérique du Sud par l’évolution vers les extrêmes des conditions naturelles, sous l’influence de la crise climatique. Le rapport de l’American Security Project n’est qu’une manifestation de cette tendance générale de la tentative de “rationaliser” la perspective avec l’intervention des facteurs eschatologiques, avec le résultat objectif d’accroître la perception de l’importance de cette perspective sans en lever en aucun cas le mystère. La aussi, compte moins la justesse des prévisions que le facteur d’incertitude qu’elle accroît prodigieusement, dans une situation générale qui témoigne de l’effectivité de l’intrusion du facteur eschatologique dans les crises, – ce qui pousse à prendre sérieusement ces prévisions qui ne sont en rien assurées d’être justes.
Nous ne sommes qu’au début d’un processus de diffusion accélérée du désordre, non seulement dans les conditions sociales, démographiques et ethniques, mais aussi et surtout, dans les conditions d’évolution des politiques et des relations internationales. Il devient de moins en moins possible d’identifier et de tenir une seule ligne d’évolution politique et une seule conception des relations internationales, à cause d’interférences désormais majeures, complètement eschatologiques, – inattendues dans leur surgissement, inappréciable dans leur déroulement, imprévisibles dans leurs effets, – et pourtant considérées avec un sérieux toujours plus affirmé. Le pire de cette situation tendant vers une sorte de “désordre ordonné” (désordre sous l’apparence d’ordre qu’on voudrait désespérément lui donner) est évidemment dans le fait de l’interconnexion de ces interférences avec des politiques qu’on voudrait contrôlées et maîtrisées par les directions politiques, les centres d’expertise et les bureaucraties.
La conséquence évidente de ces évolutions est que les facteurs tels que domination politique, influence politique, alliances politiques, coordination politique, ainsi par ailleurs que tous les facteurs dépendant des idéologies et de la solidarité que ces idéologies prétendent insuffler au nom de facteurs jugés élevés par l’analyse rationnelle (facteur moral en général, qui compte beaucoup dans les conditions d’apparence imposées par le système de la communication), figurent de façon de plus en plus chaotique. Ils existent encore, sinon plus que jamais, mais ils ne peuvent plus être organisés de façon rationnelle, par une conception centrale ou une direction centrale, ni, et même moins encore, par les systèmes qui caractérisent notre appareil général de contrôle, par un système anthropotechnologique comme le Pentagone par exemple.
Il apparaît par conséquent complètement vain de réfléchir de façon rationnelle sur des situations politiques classiques des relations internationales pour caractériser et tenter de comprendre la situation actuelle, d’ores et déjà, et plus encore son évolution. Par exemple et exemple évidemment important, il apparaît complètement vain de réfléchir à propos de la domination des USA sur le reste du monde per se, puis de la réduction éventuelle ou pas de cette domination ; la raison en est que ce bouleversement qu’on décrit entraîne que l’on sait de moins en moins ce qu’est cette domination parce qu’on sait de moins en moins ce qu’est une telle “domination” et comment on l’exerce en réalité dans les conditions nouvelles qu’on décrit. Il ne s’agit pas de l’apparition d’une situation de chaos général mais, plutôt, d’une pression constante pour empêcher que puisse se développer ou s’installer des relations d’ordre basées sur les seuls facteurs politiques connus aujourd’hui ; une situation de “désordre organisé”, si l’on veut, mais “organisé” par une série de pressions et d’interventions de faits objectifs et imprévisibles hors de tout contrôle de la raison humaine.
Cette occurrence est d’autant plus possible, sinon probable, sinon même inéluctables, à cause des conditions de tension de la situation politique et stratégique actuelle, notamment depuis 9/11, avec sa violence, son extrémisme, etc., surtout exprimées dans ces termes du système de communication qui sont particulièrement contraignants pour forcer à tenir certaines lignes politiques contre l’évidence du bon sens et de l’apaisement. La situation politique actuelle, construite sur des données extrêmement tendus, inclinées à suivre des orientations de “montées aux extrêmes”, est contraire à une position d’ouverture et d’adaptabilité qui permettrait de mieux appréhender les événements inattendus des crises eschatologiques. Lorsque la méfiance idéologique exacerbée jusqu’à l’hystérie à cause du système de la communication existe entre des blocs et des régions, comme par exemple entre le monde musulman et l’Ouest, entre la Russie et certains pays anti-russes en Occident, entre la Chine et les USA, etc., on se trouve dans une situation particulièrement délicate pour juger d’éventuelles possibilités d’entente, d’adaptations, etc., devant des événements inattendus de crises eschatologiques. On se trouve d’autant plus dans une position délicate que cette méfiance idéologique est moins fondée sur des faits politiques et géopolitiques identifiables, que sur des artefact de communication qui renforcent les obsessions et les tendance déraisonnables propres aux jugements rationnels confrontés à cette sorte de pression, avec une forte intervention de la psychologie. (A cet égard, on voit une confirmation de plus que la psychologie et la communication, l’ère psychopolitique, ont complètement supplanté la géopolitique.)
La puissance, selon nos perceptions rationnelles en réalité marquées par l’obsession du système de l’“idéal de puissance” et du “déchaînement de la matière”, n’a plus du tout la même valeur de contrainte directe et identifiable qu’elle avait auparavant. Cela vaut particulièrement pour l’appareil de la puissance militaire des USA, qui entretient un réseau global de puissance mais qui a et aura de moins en moins la capacité de mener une politique adaptée à ce réseau, alors que ce même réseau, souffrant déjà de handicaps énormes, se trouvera devant des situations de plus en plus complètement inattendues, pour lesquelles cet appareil est complètement inapte à intervenir. La présence pesante de cet appareil dans le monde, combinée à son inefficacité grandissante, ne fera que renforcer les tensions, les conditions défavorables à cet appareil, et renforcer par conséquent la dégradation accélérée de la notion classique de “puissance”, de son effet, de son efficacité, etc., tout cela rejaillissant sur les capacités d’influence de toutes sortes des USA, – économiques, commerciales, culturelles, de communication, etc. (Inutile d’ajouter, parce que tout le monde doit avoir la chose à l’esprit, que la situation de désordre intérieur des USA, qui touche autant la population que l’appareil du gouvernement, renforce cette tendance d’une façon massive.)
L’orientation est donc vers un désordre grandissant, et grandissant très vite, d’un système dont l’ordre n’est que d’apparence mais répond en réalité à des contraintes de puissance que nous tenons depuis longtemps comme déstructurantes. Nous sommes donc toujours placés devant les mêmes mouvements antagonistes, avec des positions inversées par rapport aux apparences. L’“ordre” que le “désordre” des intrusions eschatologiques menace est en réalité un faux “ordre”, et plutôt une dynamique déstructurante du système de puissance (technologisme et communication) ; du coup, l’apparent “désordre” eschatologique acquiert par effet indirect des vertus structurantes évidentes, – qu'on ne connaît pas, qu'on n'identifie pas, et qui s'imposeront ainsi avec d'autant plus de force.
Dans cette évolution, les concurrences et les classements nationaux ou régionaux, les arrangements classiques à cet égard, tous conçus selon les normes d’une politique déstructurante de l’“idéal de puissance”, – y compris chez ceux qui y sont rétifs, comme la Russie et la Chine, même s’ils se tiennent dans une certaine réserve sur le fondement de la chose, – tendent et tendront à disparaître très rapidement. Les interférences des situations différentes de nature, principalement eschatologiques et avec tout ce qui va avec, avec les tensions internes très fortes dans nombre de pays et d’entités, accélèrent le processus. C’est la déstructuration en cours de l’ordre lui-même déstructurant qui domine d’une façon furieuse et extrémiste depuis la fin de la Guerre froide, et surtout depuis 9/11. La fameuse règle algébrique (“moins plus moins égale plus”) tout comme notre affection pour la tactique du “contre-feu”, ne peuvent que nous conduire à nous réjouir d’un tel “désordre”, qui s’avère effectivement “organisé” puisque son effet est de déstructurer un fonctionnement trompeusement rationnel, au nom d’une raison humaine pervertie, pour conduire à un affaiblissement dramatique d’un système déstructurant.
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