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97831 juillet 2010 — Le Washington Times a titré son article principal : “Premier round pour les Feds”, signifiant par là qu’il s’agit d’un match qui se ferait sur le terme, en plusieurs manches. (Voir l’article, le 28 juillet 2010 ; voir aussi dans notre rubrique Ouverture libre, ce 29 juillet 2010.) Après la décision, en partie favorable à l’administration fédérale, de la juge Bolton, sur la loi sur l’immigration (SB 1070) de l’Etat de l’Arizona, se pose la question de savoir s’il ne s’agit pas d’une “victoire à la Pyrrhus”, qui ouvre la boîte de Pandore plutôt que la voie vers une régulation conforme aux structures de l’américanisme. “Force reste à la loi ?”
@PAYANT Il est des cas où la Loi se montrerait plus habile en ne montrant pas trop sa force. Peut-être est-ce le cas de l’Arizona et de sa loi SB 1070, dont le contexte est d’une complexité à la fois considérable et explosive. Le cas n’est nulle part évident ni tranché et une position relative, appuyée sur un engagement idéologique, se trouve très vite en contradiction avec ses propres conceptions, ses propres principes et ses propres intérêts lorsque l’on développe les effets et les conséquences. L’essentiel, dans ce cas, est bien de déterminer “l’ennemi principal”, et aucun des acteurs ou des parties n’y parvient.
Par certains côtés, la décision de la juge Bolton nous renvoie à Ponce-Pilate. La plainte concernait surtout l’aspect tapageur, du racisme, des droits de l’homme, etc. ; elle est traitée surtout sur l’annonce qu’on jugera sur le fond du conflit entre la prétention de l’Etat d’Arizona d’avoir sa propre politique d’immigration et l’affirmation par le pouvoir fédéral d’être le seul maître de cette politique. (La juge laisse entendre que la seconde affirmation a tout lieu d’être rencontrée. Cela n’a rien pour étonner dès lors que le corps impliqué est celui de juges fédéraux qui, en se référant aux textes, ont pris l’habitude de les interpréter dans ce sens, d’ailleurs avec le rappel constant de la consigne de faire de la sorte.) Le cheminement est assez logique et risque de placer l’Etat de l’Arizona devant une décision qui limite fondamentalement ses pouvoirs (ou réaffirme fondamentalement les limites extrêmes de ses pouvoirs.)
Ceux qui ont applaudi bruyamment au jugement, les progressistes et les immigrés au travers de leurs associations, ont constamment applaudi une force, — le gouvernement fédéral, – dont ils dénoncent en permanence la forfaiture, ou dont ils sont les victimes directes. Les progressistes ont dénoncé depuis 9/11 les constantes transgressions des libertés publiques et civiles du gouvernement central dans le cadre de la Guerre contre la Terreur, la prolifération extraordinaire de l’appareil de sécurité nationale, le soutien systématique au prix d’un endettement colossal de Wall Street et des “plus riches” contre les “plus pauvres”. Les immigrés hispaniques (mexicains) soutiennent la force centrale qui a installé le système, – l’ALENA pour prendre la chose la plus identifiable, – qui les force à immigrer dans des conditions économiques et sociales épouvantables, après avoir mis leur pays (le Mexique) dans des conditions économiques et sociales épouvantables, et ainsi de suite.
Les démocrates ont soutenu évidemment Obama, c’est-à-dire le “centre” dont la politique économique et sociale tend à étrangler les Etats, à laisser proliférer le chômage, à accroître la pauvreté, cela dans des conditions qui sont proches de la Grande Dépression ; le même “centre” qui poursuit les guerres extérieures aux dépens des efforts intérieurs nécessaires, aux dépens d’une politique affirmée, soit de prévention du désordre, soit de lutte contre le désordre sur la frontière mexicaine. Ils soutiennent également, dans ce cas, une minorité (les Hispaniques) contre ce qui est encore une majorité WASP, mais de plus en plus terrorisée devant ce qu’elle juge être une invasion migratoire. Ce faisant, ils se placent, vis-à-vis de leurs électeurs, dans la position de défendre la Loi qui ne fait objectivement qu’entériner les désordres installés par la politique du “centre”.
Les républicains, eux, ont suivi une attitude un peu ambiguë, mais réclamant tout de même, par intérêt électoral, une plus grande compréhension pour le droit des Etats à la sûreté d’une sécurité dont le “centre” veut garder l’exclusivité mais pour laquelle il ne fait rien de fondamental. Ces mêmes républicains ont suivi, au moins depuis dix ans, une politique massive de sécurité du “centre”, tant au niveau intérieur qu’au niveau extérieur, avec les mêmes faiblesses qu’ils reprochent aujourd’hui à Obama (pas de sécurité sur la frontière mexicaine).
Quant aux acteurs directs… Quant à la gouverneur Brawler, qui défend la loi SB 1070, elle agit par pur intérêt électoral, ayant vu sa popularité augmenter considérablement depuis cette décision RB 1070. Il n’y a aucun projet cohérent dans son attitude, aucune idée concernant le droit des Etats par rapport au “centre”, mais simplement une réaction électoraliste. Quant à l’administration Obama, sa position ferme, voir extrême dans ce débat, avec la perspective d’être soutenue par les juges fédéraux (surtout une juge désignée par l’administration Clinton), la place potentiellement dans la position finalement délicate de devoir montrer très rapidement qu’elle peut faire ce qu’elle n’a pas su faire jusqu’ici : assurer la sécurité sur la frontière, pour laquelle elle n'a pas les moyens, et mettre en place une nouvelle législation sur l'immigration, pour laquelle elle n'a pas un Congrès uni. Même si les chiffres disent ce que les statisticiens aiment à leur faire dire (chute des actions criminelles), ce qui compte est le sentiment d’insécurité et, aussi, le fait rarement dit que la chute des actions criminelles sur la frontière vient aussi de la “concession” faite aux cartels mexicains de la drogue d’une zone frontière de plus en plus grande en Arizona, qu’ils occupent de factoet qui ne leur est plus contestée.
Ces diverses considérations mesurent la complexité du problème et les positions contradictoires d’à peu près tous les acteurs. La crise de la loi SB 1070, qui ne sera sans doute pas conduite à son terme avant un an si elle va, comme c’est probable, devant la Cour Suprême, – et cela, en ne tenant pas compte des imprévus, – cette loi est pour l’instant enveloppée du manteau de la Loi, vers laquelle se tournent tous les acteurs, parce qu’ils sont tous dans l’état d’esprit américaniste qui s’en remet à la Loi. Cette référence sacrée pour la psychologie américaniste est sollicitée pour apporter l’apaisement dans une affaire qui a fait passer un problème qu’on voudrait local à un niveau national, en le rendant avec ce processus infiniment plus complexe. Il est admis que les forces de sécurité de l’Arizona, qui sont conduites par des sheriffs musclés (dont le fameux sheriff Arpaiao), ont un comportement professionnel et des coutumes d’intervention qui ne seraient guère différentes si la loi entrait en vigueur. Mais cette loi était nécessaire comme un effet d’annonce pour la gouverneur Brawler parce que Brawler est candidate à sa réélection, et que cette candidature passe par un ralliement de la population autour de l’apparence d’un durcissement du pouvoir pour lutter contre l’insécurité.
Cette “apparence de durcissement” a conduit à un réel durcissement de la crise, ou plutôt à la transformation du cas de l’Arizona en une crise, et une crise nationale, avec implications humanitaires et socio-psychologiques à forte résonnance dans notre époque de trouble (racisme, immigration, question de l’identité, etc.). L’appareil du système américaniste a aussitôt réagi à cette tension au niveau national en se tournant vers la Loi. Dans ce cas comme dans nombre d’autres, la Loi a répondu avec ce qui fait le credo des Etats-Unis d’Amérique, et son principal problème également : la question du droit des Etats face au pouvoir fédéral. Ainsi le jugement, qui est en fait une suspension temporaire, a été rendu sur la question du droit des Etats beaucoup plus que sur les questions humanitaires qui étaient le fond de la première plainte de l’administration Obama. (Une seconde plainte porte sur le droit des Etats par rapport au pouvoir de l’administration centrale, la question de l’immigration étant regardée par Washington comme de la compétence exclusive du “centre”. C’est en fonction de ce jugement sur cette deuxième plainte que la juge justifie le caractère temporaire de sa décision.) Quoi qu’il en soit, on observe qu’un conflit entre le “centre” et un Etat, dès lorsqu’il monte au niveau national et devient une crise, débouche inévitablement sur cette question également centrale du droit des Etats.
Comme on l’a vu, tout cela se passe dans la confusion des positions où les uns et les autres tiennent des positions contradictoires en elles-mêmes par rapport à leurs divers intérêts et leurs divers engagements. Cela ne s’appelle pas un “conflit politique” mais bien un “désordre politique”. L’intervention de la Loi, bien loin de remettre de l’ordre dans l'immédiat, accentue ce désordre en mettant en avant la seule dimension de la querelle qui peut conduire à un affrontement fondamental, et qui s’appuie sur des tensions bien réelles. Si l’on en arrive à cet affrontement fondamental, alors on pourra se compter et, en un sens, l’ordre sera rétabli avec un affrontement bien net. Il s’en déduit que la seule façon de “ramener de l’ordre” dans cette affaire serait effectivement de la transformer en une crise majeure, en la faisant passer dans le domaine de la crise centrale latente des USA qui est celle de l’unité du pays.
Bien entendu, cette évolution est renforcée, accélérée par la tension née des élections, qui, dans le climat actuel, conduit les uns et les autres à des positions extrêmes. La gouverneur Brawler ne peut laisser courir cette affaire, par exemple en abandonnant l’appel, parce qu’elle veut être réélue. L’administration Obama veut des décisions “dures” parce qu’elle se juge en très mauvaise posture et qu’elle a besoin de conforter, sinon de récupérer l’électorat US d’origine hispanique. Dans toutes ces radicalisations, on trouve des effets pervers qui accroissent encore les tensions. L’antagonisme, souvent artificiel, entre la gauche et la droite, en est encore alimenté, avec des répercussions sur la bonne marche des affaires à Washington, essentiellement avec la tension entre républicains et démocrates. Dans ce contexte effectivement complètement artificiel, on voit des républicains évidemment “centralistes” se ranger derrière la doctrine du droit des Etats dans cette affaire, y compris au nom d’une législation anti-immigrants renforcée, comme c’est le cas de John McCain, qui risque son poste siège de sénateur de l’Arizona. Il n’y a dans tout cela aucune conviction de quelque sorte que ce soit, mais les nécessités des diverses tensions en cours, et, par-dessus tout, celles de l’élection de novembre.
Ainsi, l’“apparence de durcissement” pourrait-elle conduire à un réel durcissement, ce qui serait d’ailleurs suivre une sorte de logique interne de la Loi. Aux USA, la Loi a en effet une sorte de position extrême, qui ne supporte guère le compromis quand des problèmes structurels sont en cause. Au contraire de la justice courante, qui est fondamentalement basée sur la négociation et le compromis par arrangements et par dédommagement financier, la justice constitutionnelle est absolument impitoyable parce qu’elle concerne la structure même de ce pays qui n’a aucune existence historique. En ce sens, on pourrait penser qu’aucun compromis n’est possible dans cette affaire de l’Arizona, en raison des conditions d’extrême fragilisation du pays à cause des crises multiples qu’il traverse. Le renvoi au problème de l’unité (droit des Etats contre “centre”) n’implique pas qu’il y ait la perception d’un problème à ce niveau, mais bien qu’en agissant ainsi on étouffe les crises ou velléités de crises dans d’autres domaines.
Par conséquent, le but ultime de la Loi, avec l’appui forcené de l’administration, sera de complètement nier le droit de l’Etat dans cette circonstance, – cela, sans rien faire de plus pour la sécurité puisque Washington n’en a pas les moyens. La réaction des habitants, de la direction de l’Etat de l’Arizona, pourrait alors être de monter à l’extrême également. C’est dans ce cas que des hypothèses également extrêmes peuvent être envisagées, comme celle qu’envisage Ray Hartwell (la constitution de milices d’Etat). C’est alors qu’on pourrait découvrir qu’en utilisant le droit des Etats comme outil pour noyer la contestation, la Loi, avec l’aide du “centre”, aurait effectivement fait surgir ce problème fondamental de l’unité. Mais certes, elle ne l’aurait pas suscité, ni “fabriqué”, elle l’aurait débarrassé de sa chape de plomb qui le tient dissimulé et le contraint à ne pas se signaler.
Bien entendu, aucune certitude n’existe quant à un tel développement ; c’est la nature même de cette situation, sa “vertu” même pourrait-on dire, que son caractère d’imprévisibilité ; c’est ce qui fait que cette situation peut progresser sans alerter personne... Mais il y a le constat que la succession des tensions amène de plus en plus d’opportunités que les problèmes fondamentaux des USA soient ramenés à la surface, d’une façon le plus souvent “accidentelle”, sans que personne ne l’ait spécifiquement recherché. C’est une situation typique de désordre où personne ne mesure plus les effets et les conséquences des positions prises et des actes posés. On ne s’étonnera pas d’observer que le courant historique général, qui semble ainsi animé d’une véritable impulsion autonome, pousse de plus en plus au surgissement des problèmes fondamentaux qu’on s’emploie en général à dissimuler.