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1674Depuis la crise libyenne, on a découvert quelle place importante, du point de vue de la puissance, le Qatar tenait dans la politique moyenne orientale dans son sens le plus large. Le Qatar a joué un rôle prééminent dans la chute de Kadhafi puis dans l’organisation des forces en présence en Libye après cette chute, dans une mesure qui a stupéfié les Occidentaux eux-mêmes,– pourtant experts dans l’art de l’implantation dans des pays étrangers, sans trop se soucier des questions de souveraineté. Cela vaut également pour la présence du Qatar dans la Libye post-Kadhafi, qui est d’un ordre quasiment structurel.
Ce rôle semble devoir se prolonger dans une autre crise, celle de la Syrie. L’intervention du Qatar pour le renforcement de l’opposition organisée et armée au président El Assad est considérable. Il s’agit d’éléments islamistes libyens, avec d’autres éléments de même tendance sunnite, où les Libyens islamistes se retrouvent avec des Irakiens extrémistes, des combattants rescapés d’al Qaïda de divers pays, etc… DEBKAFiles (le 27 décembre 2012) décrit cet ensemble de combattants comme une sorte de “force d’intervention sunnite”.
«The Qatar oil emirate, encouraged by its successful participation in the campaign to overthrow Libya's Muammar Qaddafi, has established a Sunni Arab intervention force to expedite the drive for Syrian President Bashar Assad's ouster, DEBKAfile's military sources report. The new highly mobile force boosts the anti-Assad Free Syrian Army, whose numbers have jumped to 20,000 fighters, armed and funded by Qatar and now forming into military battalions and brigades at their bases in Turkey. […]
»A force of 2,500 has been recruited up until now, our sources report. The hard core is made up of 1,000 members of the Islamic Fighting Group in Libya-IFGL, which fought Qaddafi, and 1,000 operatives of the Ansar al-Sunna, the Iraqi Islamists which carried out 15 coordinated bomb attacks in Baghdad last Thursday killing 72 people and injuring 200.»
La formation de cette “force d’intervention sunnite”, soutenue “discrètement” par les Occidentaux sans qu’il soit aisé de comprendre le sens stratégique de cette position, est loin de ravir tout le monde. L’Iran et le Hezbollah sont de ceux-là, bien entendu et sans surprise. Mais, note DEBKAFiles, Israël n’est pas plus rassuré pour autant, et entrevoit déjà de considérables difficultés avec l’émergence de cette force mobile et coordonnée : «Israel too must find cause for concern in the rise of a Sunni military intervention force capable of moving at high speed from one arena to another and made up almost entirely of Islamist terrorists. At some time, Qatar might decide to move this force to the Gaza Strip to fight Israel.»
DEBKAFiles signale que l’Arabie participe à l’effort du Qatar dans cette initiative, d’une façon qui semble à première vue assez logique. Pourtant et au contraire du sens général de l’initiative, diverses appréciations mettent en même temps en évidence des projets précis du Qatar contre l’Arabie, ou, dans tous les cas, contre la monarchie saoudienne.
• Un DVD particulièrement révélateur est désormais massivement diffusé sur Internet, montrant le Premier ministre du Qatar Sheikh Hamad bin Jassem Al Thani qui explique que le Qatar aurait l’intention d’occuper une partie orientale de l’Arabie, avec la ville de Qatif. Le site PressTV.com donne ces précisions sur le document (le 25 décembre 2011) :
«“The regime of King Abdullah bin Abdul Aziz Al Saud is exhausted and powerless to control the country and the army cannot confront the future changes,” he asserted. […] The Qatari premier also revealed that the United States and Britain wanted him to report back to them on the situation in Saudi Arabia. “They want to get rid of the Saudi regime while they are afraid of any new Islamic regime in the region," Sheikh Hamad said. “Therefore, Qatar has taken advantage to transfer US military bases to its country,” he added.»
• L’identification de ce document est pourtant mise en cause par Ali Al-Ahmed, directeur de l’IGA (Institute for Gulf Affairs, institut basé au Qatar), interviewé par PressTV.com les 27 décembre 2011 et 28 décembre 2008. Ali Al-Ahmed affirme que l’enregistrement, ou certaines partie dans tous les cas, remontent à 2008, et seraient extraites, ironiquement jugerait-on, d’une conversation du Premier ministre du Qatar avec Kadhafi. (Cela laisse bien des détails qu’on trouve sur l’enregistrement hors de notre compréhension, par rapport aux chronologies diverses, mais passons…) Pour le reste, Ali Al-Ahmed estime qu’effectivement, le Qatar a des vues incontestables et conquérantes vis-à-vis de l’Arabie, et qu’il semble réussir à convaincre les Occidentaux de l’appuyer… L’idéal, pour le Qatar, serait une fragmentation de l’Arabie où lui-même pourrait prendre sa part, l’ensemble de ces évènements lui laissant un leadership sur la région.
«It is very clear to me that the Qatari monarchy itself is planning, supporting, recruiting and courting many members of the ruling family and also of the Saudi military in order to repeat the Libyan scenario in Saudi Arabia, and maybe even take back part of Saudi Arabia that Saudi Arabia took away from Qatar, maybe even have some influence or control over the oil fields in the eastern region.
»So, maybe the same thing will happen in Saudi Arabia where the allies of Qatar in Saudi Arabia will take a leading role in the change in that country. If this happens, we will see a breakup of the country. And Qatar will be responsible for that breakup because that is the best scenario for the Qataris. They would like to see a divided Saudi Arabia, a weakened Saudi Arabia so Qatar's power will be supreme in that region.»
• Concernant la situation en Arabie elle-même, le même Ali Al-Ahmed considère que les troubles et la révolte ont d’ores et déjà commencé, qu’ils vont aller en s’amplifiant. La presse occidentale reste extrêmement discrète sur ces évènements, reflétant la position des pays du bloc BAO qui soutiennent la monarchie saoudienne dans ce cas, alors qu’ils ne sont pas indifférents non plus aux projets du Qatar de renversement de cette monarchie (là aussi, stratégie assez confuse avec ses options contradictoires).
«I've said this on your program before that the political and social upheaval in Saudi Arabia has started already. And we are just, you know, seeing it now in a limited area of the country. But we will witness a spreading of this movement, of this protest across the country. We saw this in the eastern part, but will see it move to the central and western part.w»
• Cette situation d’instabilité en Arabie est observée, de la part de nombre d’observateurs aux USA, comme l’annonce d’évènements plus graves sinon décisifs en 2012. C’est là un des thèmes des prévisions de Justin Raimondo pour 2012 (le 28 décembre 2011 : «We have already seen some of this in the Eastern, predominantly Shi’ite provinces, but the coming rebellion promises to be broader. There is simply no way for the Kingdom to block the influx of democratic-secular ideas flooding into the region, and the regime’s vaunted economic invulnerability is increasingly threatened by the global downturn. The emirates and sheikdoms of the Gulf have already been hit with protests, and what is happening in Bahrain may provide, in miniature, a look into the Kingdom’s future.»
La situation est donc compliquée, sinon chaotique, sans qu’on puisse distinguer et identifier des dynamiques d’influence précises et puissantes. Les pays en général parmi les plus affirmés et les plus puissants, comme Israël et l’Arabie, se trouvent dans des situations contradictoires, notamment par rapport au chaos syrien, et, par conséquent, par rapport aux ambitions du Qatar. Même un pays comme la Turquie, à la puissance nouvellement affirmée et qui dominait le débat au Moyen-Orient l’été dernier, semble soudain plus incertain, avec des politiques moins nettes, plus contradictoires par rapport à l’axe central de sa stratégie générale, notamment pour ce qui concerne la Syrie et le réseau anti-missiles de l’OTAN. L’Iran est une puissance majeure de la région, mais pour l’essentiel absorbée par un affrontement de puissance qui se situe à un niveau supérieur à tous les autres, qui est celui de l’affrontement de puissance avec les USA.
Dans ce contexte extraordinaire de désordre éclaté et insaissable, rampant et spectaculaire à la fois, le Qatar, ce minuscule émirat avec Aljazeera en bandouillère, semble acquérir soudain des dimensions de géant jusqu’à prétendre devenir un “modèle” pour la région et pour les pays arabes en général. Sur le site de l’Institute of Gulf Affairs (IGA), ce 29 décembre 2011, Alexandre Hawath, collaborateur de l’IGA, s’interroge sur la grave question de savoir si la Libye pourra adopter le “modèle qatari”. Mais pourquoi s'arrêter là, et ne pas citer l’Égypte, la Syrie, et bientôt l’Arabie, et ainsi de suite, comme candidats à ce même “modèle” ?
«The tiny, conservative gulf emirate Qatar, surrounded by the Iranian and Saudi giants, offered little promise of regional or world leadership even 20 years ago. Since then, however, Qatar has effectively manipulated its abundant resources, utilizing a dynamic leadership to reshape the Arab world through proactive foreign policy…» Suit un dithyrambe sur les vertus et le dynamisme supposés de l’émirat, jusqu’à suggérer que même le reste du monde pourrait s’inspirer du modèle, en vérité… «Though miniscule in size, Qatar’s rise to the forefront of the recent Libyan uprising has proven that the tiny emirate is in fact a rather monumental force. The Libyan uprising has become the shining star of Qatar’s foreign policy, and one that could be the start of a new era with regards to Qatari influence in the region (and possibly the rest of the world)…»
Bref, il est difficile de ne pas trouver, non pas le signe d’une réussite sans précédent et d’un changement fondamental, mais le signe du désordre profond où sont plongées désormais les relations internationales, notamment dans cette région du Moyen-Orient, et la diversité complètement inattendues de forces qui se forgent en quelques mois un statut de puissance quasi mondiale, – disons, pour au moins quelques mois… Le Qatar a Aljazerra, il a acheté le club de football Paris Saint-Germain, il organise la Coupe du Monde de Football en 2010, il a les gratte-ciels qui sont des tours qui sont les plus hautes du monde (en comptant large), il défait les dictateurs type Kadhafi… Ainsi s’organise aujourd’hui la puissance. Il est bien difficile d’y voir un gage de stabilité et de sagesse de gouvernement, quelles que soient les vertus nombreuses de la direction du Qatar. La modernité paradoxale de ce petit émirat lui a par ailleurs acquis les gracieusetés des dirigeants du bloc BAO aux abois, ces dirigeants s’imaginant que cette modernité perdue dans les sables et le pétrole est effectivement un signe de stabilité sur le sol si instable de cette région si agitée.
Un ordre nouveau au Moyen-Orient ? On se permettra de retenir sa plume et son souffle durant encore quelques mois, d’ici à ce que deux ou trois bonnes nouvelles crises aient encore fait leurs preuves et leurs œuvres, histoire de voir ce qu’il restera alors du “modèle qatari”. Par contre, ce dont nous sommes assurés, c’est que nous retrouverons, fidèle au poste, toujours bondissant, débordant d’énergie – le désordre, dans toute sa majesté.
Mis en ligne le 29 décembre 2011 à 15H47
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