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152831 janvier 2009 — Le terme est utilisé par Sean O’Grady dans The Independent de ce 31 janvier 2009: «Deglobalisation: What is it? And why Britain should be scared». Le terme désigne évidemment le mouvement inverse de la globalisation, actuellement en cours pour des raisons de protection, de prudence, de protection devant la violence de la crise. Cette situation peut être caractérisée également par la montée du protectionnisme. Mais l’emploi du mot, forgé pour l’occasion, de “déglobalisation”, implique de considérer ce renouveau de protectionnisme comme une mesure qui n’est pas seulement d’occasion, ni de simple réflexe, mais qui suggère un mouvement de mise en cause de la structure et de la philosophie de l’économie du monde, la crise elle-même suggérant cette attitude. Les Britanniques sont particulièrement concernés, et également préoccupés tant leur économie est fondamentalement orientée dans le sens de cette philosophie ainsi mise en péril, au niveau de sa structure même, dans tous les domaines de la vie nationale.
«The City of London is an obvious example of foreign labour and capital flowing freely and, until recently, was capable of generating huge wealth. But other financial and business services, from insurance to consultancy, also depend on those free international flows.
»Virtually the whole of our electricity supply and water utilities are owned by German, French and other foreign entities, many of our high street banks are owned by the Spanish Santander group and our leading car makers are Japanese, German, Indian and American – and they export 80 per cent of their output. Even the Post Office will be half-owned by the Dutch. There's also Heathrow, an international hub. Tourism and the creative industries, key to our prosperity, are both global trades. Look too at the Polish and Lithuanian builders and potato pickers, Nigerian taxi drivers and South African nurses all of whom have provided a net benefit to the British economy. Their contribution to lowering the cost of living and maintaining the NHS is scarcely noticed, let alone praised. Not to mention the emergence of chicken tikka masala as our national dish.»
Si l’on en revient au protectionnisme, qui est le signe le plus apparent, le plus spectaculaire de la “déglobalisation”, il faut savoir qu’il a d’ores et déjà une dimension politique et qu’il interfère d’ores et déjà sur les relations entre l’Europe et les USA de Barack Obama. A cause de cela, on commence déjà à s’interroger sur la réalité de cette nième “lune de miel” entre l’Europe et les USA (entre ROW et les USA), annoncée bruyamment avec le nouveau président, une grosse semaine après que ce président ait pris ses fonctions. La crise brouille toutes les cartes, et à son rythme, qui est étourdissant.
• Les Britanniques, les plus proches des USA, les “cousins” anglo-saxons, sont à nouveau sur le front, cette fois dans l’attaque contre les USA, sur le point précis de la réintroduction d’une forme de “Buy American Act” dans la loi sur le plan de relance (ou stimulus plan) en train d’être discuté à Washington. Le Business Secretary (nous laissons le titre dans sa langue originale tant la traduction en “ministre des Affaires” rend un son étrange) du gouvernement Brown, Lord Peter Mandelson, lance de Davos une critique violente contre Washington et les USA, rapportée par le Times de ce même 31 janvier.
«In a broadside against the plan, Lord Mandelson said national schemes to encourage countries' own consumers to buy products made at home created a serious danger of igniting protectionist trade confrontations. “I understand why people want to make their own choice. That is why if these ‘Buy American', or ‘buy this', or ‘buy that' campaigns get underway you will stand at risk of translating that into real barriers to trade, which is the last thing we need in the global economy,” he said. […]
»Lord Mandelson condemned what he said were emerging protectionism moves being taken by some governments across the 27-nation European Union. “We created the single market to sustain economic growth and not to start turning in on each other.” However, at a keynote lunch in Davos for British business leaders, he emphasised that the trend was evident not just in Europe but across the world. “Global trade is going to go backwards this year for the first time since 1982. I think that there is a real risk that governments and businesses will see protectionism as the necessary medicine in these conditions but it is also the poison as far as the recovery is concerned,” he said. “That is the lesson we should draw from the 1930s — mistakes we should not repeat in the 21st century.”
»Lord Mandelson reinforced an earlier warning from Gordon Brown over what he called “financial mercantilism” - an emerging trend that is seeing banks pull back billions from foreign markets to their national home bases.»
• Il est vrai qu’à Bruxelles, dans les différents milieux européens, la question de la renaissance du protectionnisme est désormais centrale. «A la Commission européenne, nous dit une source européenne, la perception de la crise continue à être étrangement cloisonnée, tant est grande la lourdeur de cette bureaucratie et développée son irresponsabilité politique. Mais la question du protectionnisme est celle par laquelle la grandeur de la crise est en train de pénétrer les esprits. Il y a une crainte immense, presque de la panique, de constater tous les signes de résurgence du protectionnisme, d’abord, bien sûr, aux USA…»
Cette préoccupation a un écho officiel, tel que le rapporte le EUObserver le 30 janvier, et cette préoccupation concerne effectivement l’attitude US, le “plan de stimulation”:
«The EU is watching closely to see whether a "Buy American" provision relating to steel will make it into the final version of the US stimulus plan bill to be signed by Barack Obama, fearing it will affect European exports. The provision forcing contractors to use only US-made steel in development projects funded by the proposed $825 billion (€630 billion) stimulus plan is contained in a version approved by the House of Representatives on Wednesday (28 January). The Senate is currently debating the bill.»
»
»Under the current proposal, foreign steel can only be used for infrastructure projects funded by the stimulus plan if the head of a federal department decides that using solely US steel would increase costs by more than 25 percent.
• Enfin et pour compléter notre choix de références, le site WSWS.org publiait hier une analyse générale de la situation du domaine, selon l’appréciation d’une montée générale du “nationalisme économique”. Comme toujours sur ce site, l’analyse bien informée, exposée d’une façon didactique, comporte également, au niveau du jugement général, les engagements idéologiques qui, dans de telles situations, se rapprochent de l’enfermement du jugement. Il s’agit de condamner aussi bien cette sorte de “nationalisme”, évidemment interprété comme une action des classes dominantes nationales, que la structure de libre-échange mise en cause, qui renvoie à la globalisation hyper-capitalistique. Contentons-nous du passage sur l’évolution de la situation US qui est, en l’occurrence, le point central de la question.
«The new Obama administration spurred on the rising tide of protectionism with the comments last week of Treasury Secretary nominee Tim Geithner accusing China of manipulating its currency to boost exports. Designating Beijing as a “currency manipulator” would allow the White House to invoke a broad range of punitive tariffs and other economic penalties against China under US trade legislation.
The Democrats in the House of Representatives went one step further by including a “Buy American” provision in Obama’s $825 billion stimulus package approved on Wednesday. The clause, which requires infrastructure projects funded by the package to use only US-made iron and steel, has provoked protests from European steelmakers. Democrat senator Byron Dorgan is proposing a broader measure to exclude most foreign-made manufactured goods when the package reaches the Senate.
»Such measures threaten to provoke escalating retaliation and a full-blown trade war. A comment in the US journal Foreign Policy warned that the “explicitly protectionist language” contained in the package would be “certainly be taken as a bad sign by the rest of the world. The world can deal with a protectionist India or Indonesia. The trading system will have much more trouble if the United States starts to renege on its traditional leadership rôle.»
Il y a un faux affrontement intéressant de mots par ailleurs presque synonymes. S’agit-il de “protectionnisme” ou s’agit-il de “déglobalisation”? C’est une question qui mérite qu’on s’y arrête pour ce qu’elle recouvre, – c’est même, en l’occurrence, la seule question qui vaille qu’on s’y arrête.
En général, le procès du protectionnisme est vite fait, d’autant qu’on retrouve dans le rôle du procureur aussi bien les hyper-libéraux à-la-Mandelson que les internationalistes trotskistes. Tout juste se demanderait-on si les jugements ne sont pas de circonstance; le Royaume-Uni (où se recrutent ces chevaliers du libre-échangisme) ne se priva jamais d’être protectionniste, y compris avec un “grand marché” étendu au Commonwealth, lorsqu’il avait quelque chose à “protéger”; aujourd’hui, on connaît sa situation… Par conséquent, on réservera une certaine méfiance vis-à-vis des sorties anti-protectionnistes de Mandelson et de Brown, – dont, par ailleurs, l’intégrisme capitaliste n’est pas en cause, et pour le plus convaincant des propos (pour rappel, Brown, et non Blair, est désigné parmi les 25 coupables de la crises actuelle par le Guardian).
On notera également qu’on ferait bien de relire quelques classiques, pour rappeler, comme l’avait déterminé l’historien Lucien Romier en 1925 (Qui sera le maître, Europe ou Amérique?), que le protectionnisme n’est pas un concept qui s’expédie par quelques vitupérations. Romier distinguait le protectionnisme autarcique, établi par une nation pour développer d’une façon jugée en général déloyale sa puissance et prospérer sans interférences, ses caractéristiques la faisant se suffire à elle-même. L’exemple historique est celui des USA durant le Gilded Age (1865 jusqu’à la fin du XIXème siècle), époque paradoxalement du capitalisme le plus sauvage de l’histoire économique, des grandes fortunes, d’un développement industriel tonitruant faisant accéder les USA au rang de grande puissance au début du XXème siècle. L’autre protectionnisme est le “protectionnisme défensif”, établi pour protéger l’économie et la nation affaiblies pour telle ou telle cause (crise, défaite militaire, etc.), parce que l’urgence ne laisse souvent guère de choix. C’est le cas aujourd’hui, et c’est un cas bien plus difficile à trancher qu’il n’y paraît, dans les circonstances actuelles. Le problème est en effet que le protectionnisme est vigoureusement condamné au nom de la survivance, – ne parlons pas de “renaissance”, – d’un système dont il est avéré par ailleurs qu’il a provoqué la crise où nous nous trouvons, par conséquent cause indirecte mais avéré de cette poussée protectionniste...
C’est à ce point où nous passons à la problématique des “deux mots”. S’agit-il aujourd’hui de “protectionnisme” ou de “déglobalisation”? “Les deux, mon colonel”, répond l’expert, finaud. Ce n’est pas faux, on l’a vu, et c’est un dilemme, qui se reflète d’ailleurs dans l’embarras de certains critiques du protectionnisme qui admettent par ailleurs “comprendre” le mouvement de déglobalisation. C’est le cas lorsque Pascal Lamy, qui dirige l’OMC, dit à Davos: «Il est naturel qu’il y ait dans une telle crise une grande demande de protection. Mais cela ne signifie pas qu’il devrait y avoir du protectionnisme» («It is natural in such a crisis that there is a big call for protection. But that does not mean there should be protectionism»). Traduisons, mais traduisons vraiment, en fonction de la tournure un peu alambiquée, c’est-à-dire gênée aux entournures, des deux phrases: “un peu de protection c’est naturel, le protectionnisme ce n’est pas bien”. On se demande qui fera la différence entre “protection” et “protectionnisme”, à part le “isme” qui permet aux éditoriaux du Financial Times de paraître vertueux.
Il est vrai que la globalisation est ce mouvement déstructurant, prédateur des identités et des souverainetés, qui a très largement contribué à massacrer les particularismes économiques, les équilibres des nations et des régions, l’équilibre universel de l’environnement; qui a très largement contribué à massacrer les cultures (dans les deux sens, après tout), les sociétés, etc.; et ainsi de suite. De ce point de vue, qui est fondamental pour définir la crise, la déglobalisation, dans tous les cas un peu ou pas mal de déglobalisation, se justifie, sinon s’impose, notamment pour lutter contre la crise. Mais la globalisation ne “marche” qu’appuyée sur le libre-échange avec le moins de restriction possible, et pas de restriction si possible, et, par conséquent, le protectionnisme est son grand ennemi; dito, le protectionnisme, c’est par conséquent aussi la déglobalisation, – et le tout, si l’on accepte aussi que le protectionnisme est effectivement une menace d’aggravation de la crise, forme un dilemme entre deux appréciations et deux politiques éventuelles, entre lesquelles il est bien difficile de trancher puisqu'il se pourrait bien qu'elles soient semblables.
…Au reste, personne ne tranchera. Les directions politiques sont aujourd’hui trop faibles, trop pressées par des menaces terribles, dont celle de troubles politiques devant la catastrophe sociale, pour pouvoir réagir comme il convient aux consignes du système. Le protectionnisme, dans cette atmosphère générale de déglobalisation, est quelque chose dont on voit mal comment il pourra ne pas se développer, d’une façon ou l’autre, notamment sous le nom de déglobalisation. Les USA mènent la charge, eux qui sont spécialisés dans le domaine de la tromperie à cet égard, grands donneurs de leçons et dénonciateurs du protectionnisme, et mainteneur du protectionnisme chez eux par des moyens variés; mais, cette fois, bien peu préoccupés du qu’en dira-t-on, ne dissimulant pas leurs intentions, parce que la maison brûle. Dira-t-on (les puristes de la logique) qu’ils se tirent une balle dans le pied, eux qui ont lancé la globalisation, faux-nez pour l’américanisation? Qui a dit que la cohérence intellectuelle était la caractéristique du monde civilisé dans les heures que nous traversons, alors que ce ne fut même pas le cas lorsque tout allait bien?
Encore une fois, la grande force des choses parlera pour nos élites, empêtrées dans leurs belles idées ornées de fortes pensées conformistes, leurs vanités diverses et leur inclination à prendre leurs intérêts pour le bien public. Nous dépendons d’une mécanique historique qui, elle, ne dépend pas de nous. Il est possible que cette mécanique, qui en a plus qu’assez de nos balourdises, ait choisi la déglobalisation, quitte à passer pour protectionnistes.
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