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13962 mai 2012 – La semaine dernière, la nouvelle filtrait discrètement, mais avec une discrétion suffisamment ostentatoire pour qu’on en soit informé : l’USAF a déployé quelques exemplaires de son F-22 Raptor sur une base des Emirats Arabes Unis (EAU). (En général, la presse-Système décrit le F-22 comme le “super-jet” indétectable, sinon invisible, de l’USAF, et comme l’avion de combat le plus puissant du monde ; ainsi tout est-il dit et sommes-nous rassurés sur la pérennité de cette puissance qui veille sur notre précieuse civilisation.) … C’est-à-dire que les F-22 sont à distance acceptable de l’Iran, pour figurer un renforcement hautement sophistiqué des forces US assemblées dans la région, face à et autour de l’Iran.
C’est le 26 avril 2012 qu’Amy Butler, d’Aviation Week & Space Technology, avait annoncé la nouvelle du déploiement. Les termes étaient mesurés et sans surprise. «As tensions between Iran and the U.S. and Israel continue to mount over the former’s pursuit of nuclear weapons technologies, the U.S. has quietly begun a deployment of its premier stealthy fighter, the twin-engine F-22, to the nearby United Arab Emirates.»
Le 28 avril 2012, Russia Today reprenait l’information, en insistant sur son aspect opérationnel par rapport à la situation de la crise. RT s’adressait au commentateur US Jason Ditz, de Antiwar.com. « “If anything, it’s going to increase tensions in the region, convince the Iranian government that next month’s talks in Baghdad are not serious, and that the US is simply negotiating in bad faith once again,” Ditz told RT. He noted that while the US and Israel were unlikely to launch an attack on Iran in the coming months, the move was nonetheless meant to be a provocation. “The fact that they’re rumored to be organizing a simulated attack on Iran, with the cooperation of Israel, would certainly be a strong symbolic move – particularly since it’s supposed to come just two months ahead of the Baghdad talks,” Ditz added.»
De son côté, DEBKAFiles ne manquait pas de commenter la nouvelle, d’abord dans une analyse du 28 avril 2012, où la chose était présentée comme un renforcement décisif des forces US dans le Golfe, et donc un signe important de la détermination US sur le plan militaire, face à l’Iran. Plus encore, des détails étaient donnés sur la mission des F-22, en même temps que ces appareils se trouvaient placés dans la perspective du renforcement US général. (C’est une habitude du site, en général assez [très] critique de la “mollesse“, sinon de la “trahison” US par rapport aux intentions d’attaque de l’Iran. Lorsque la détermination israélienne se trouve confrontée à de graves problèmes intérieurs, – et ils ne l’ont jamais été autant à cet égard, – elle reporte son affection sur l’affirmation d’une soudaine et miraculeuse résurgence de la détermination US.)
«[The F-22’s mission] will be to destroy the Iranian air force and air defense batteries so as to clear the way for US and Israeli bombers to go into action against Iran’s nuclear sites and the strategic infrastructure of its army and Revolutionary Guards Corps.
»This unprecedented US buildup of air might - supplementing the aircraft on the decks of the USS Abraham Lincoln and USS Enterprise, to be joined by a third carrier as soon as the offensive gets underway – shows Tehran that the Obama administration is serious about using military means as extra pressure on Iran to give way in diplomatic negotiations – both with the six powers and with the US through clandestine channels.»
Le 1er mai 2012, à nouveau DEBKAFiles, à nouveau dans sa démarche de présenter la miraculeuse renaissance de la détermination US, cette fois étendue à des nouvelles triomphales concernant le réseau antimissiles BMDE, tout cela puisque, comme on l’a vu, les choses ne s’arrangent toujours pas en Israël. On y ajoutera quelques considérations iraniennes sur le F-22, quelque peu conflictuelles, et dont on va s’apercevoir qu’il s’agit d’une incertitude qui affecte l’avion lui-même, et, par conséquent, la valeur opérationnelle de son déploiement.
«…There was also an outpouring of comment from Tehran about last week’s deployment of US F-22 Raptors in the UAE’s Al Dhafra Air Base opposite Iran’s southern shores. One spokesman said they posed no danger to Iran and had been moved in for “psychological warfare;” another that they “threatened regional security” and Gulf nations should not allow foreign armies to take up position on their shores.
»A week after the F-22 squadron was deployed in the Gulf, Elizabeth Sherwood-Randall, special assistant to President Obama and senior director for European affairs at the National Security Council, disclosed Monday that the completion of the initial phase of the US-backed missile network in Europe would be announced at the NATO summit meeting in Chicago on May 20. She added that additional work is underway in the next phase of the network, designed for protecting Europe and the Middle East from Iranian ballistic missile attack.»
…Mais voici soudain une intrusion du dehors, nous voulons dire, du dehors de la narrative de la crise iranienne. Elle vient du blog de Stephen Trimble, DEW Line, de FlightGlobal.com, sous la plume de Dave Majumdar, correspondant aux USA (le 1er mai 2012). La nouvelle concerne le F-22, sa “vérité opérationnelle” disons, et une humeur sans précédent des pilotes de l’USAF. Ce que nous conte Majumbar, sans dire un mot de commentaire sur ce constat, c’est une situation sans précédent dans l’USAF, et dans aucune force aérienne sérieuse. (Et nous prions nos lecteurs de noter les différentes formulations employées, entre “demandant de…” [ne pas piloter le F-22], et “refusant de…” [piloter le F-22], que nous soulignons en gras…) (Russia Today signale également cet incident, avec un texte daté du 1er mai 2012.)
«Some F-22 pilots asking
»While I was unable to attend this (30 April) morning's briefing at Joint Base Langley-Eustis down in Hampton, Virginia, press reports from the event indicate that the US Air Force is admitting that a “small number” of Lockheed Martin F-22 Raptor pilots are refusing to fly the jet. “Obviously it's a very sensitive thing because we are trying to ensure that the community fully understands all that we're doing to try to get to a solution,” says Air Combat Command chief Gen Mike Hostage as quoted by the Associated Press.
»The USAF has not found the root cause of 11 hypoxia-like cases since the Raptor fleet returned to flight in September after a near five-month stand-down. The F-22 fleet has flown about 12,000 times since then. Incidentally, I had known that several pilots were planning on asking not to fly the Raptor for weeks, but could not report it because it might compromise the sources. I had asked USAF PA to confirm on the record--this appears to be it.
»Hostage told the assembled reporters at Langley that he would get himself checked out in the Raptor and fly the jet until the cause of the F-22's oxygen woes are discovered and fixed. “I'm going to check out and fly the airplane so I can understand exactly what it is they're dealing with. The day we figure out what the problem is I will stop flying because we don't have enough sorties for all of our combat aviators to get as much training as they need,” Hostage says – via AP.»
Ces nouvelles sont ironiques et pleines de contradictions charmantes qui siéent à notre époque, mais aussi notablement alarmantes et significatives de l’effondrement du Système, – dans ce cas, un signe d’autant plus intéressant qu’il paraîtrait mineur, mais qu’il est en vérité, confronté avec les grandes tendances qui vont dans le même sens, une illustration puissante, parce que concrète et immédiatement accessible à l’entendement, de la vérité des choses, hors des narratives convenues. Cette attitude des pilotes de l’USAF est tout simplement sans précédent ; en temps normal, elle relèverait de l’insubordination grave, et devrait être traitée comme telle. Mais les temps ne sont pas normaux du tout, et, derrière le cas, il y a une position extraordinairement fautive et faite d’une volonté échevelée de l’USAF de maintenir, au risque des plus graves déboires, l’apparence de la puissance malgré qu’elle soit soumise à une mise en cause radicale ; derrière le cas, il y a une situation de décadence non moins extraordinaire de l’USAF, cette puissance accoutumée à être l’incontestée maîtresse des cieux du monde ; et une décadence autant quantitative que qualitative, selon ses normes qualitatives de fonctionnement.
Développons notre commentaire en plusieurs points, en partant des derniers faits que nous avons cités, en apparence assez éloignés de la situation de la crise iranienne. L’on verra que nous retrouverons évidemment, au terme du commentaire, cette situation de la crise iranienne puis, au-delà, une situation générale illustrative de la crise du Système.
• Le premier fait, fondamental, est que “le ‘super-jet’ indétectable, sinon invisible, de l’USAF, et […] l’avion de combat le plus puissant du monde” ne marche pas, tout simplement. Outre divers problèmes de fonctionnement généraux, il est confronté à un problème spécifique que l’USAF ne parvient pas à résoudre, malgré deux interdictions de vol et les examens intensifs qui l’accompagnent. Ce problème concerne le système en alimentation en oxygène des pilotes, qui est en service sur d’autres avions des forces armées US (USAF et Navy) et n’interdit pas à ces avions de voler, ni n’invite leurs pilotes à refuser de les piloter. Sur le F-22, dans cette monstruosité informatique faites de millions de lignes code où l’un ou l’autre buzz s’est glissé, on ne parvient pas à résoudre ce problème qui, en d’autres temps, ne serait qu’un problème mécanique de fonctionnement. Pourtant l’USAF a mis à nouveau sa flotte de F-22 en service, ce qui est incontestablement une audacieuse et coupable prise de risque puisque cette question de l’alimentation en oxygène affecterait gravement la santé des pilotes et aurait même couté la vie à l’un d’eux (cette panne serait la cause de la perte d’un F-22, avec mort du pilote, en Alaska il y a plus d’un an).
• Bien… Si l’USAF a pris ce risque, comme on l’a suggéré plus haut, c’est parce qu’elle veut maintenir l’apparence de la puissance sans exemple des avions de combat modernes (dit de “cinquième génération”), ces usines à gaz d’informatique, sur lesquels elle a fondé toute son existence et, surtout, son avenir et sa pérennité. Si le F-22 ne marche pas (ce qui est le cas), que reste-t-il de la puissance à venir de l’USAF ? L’on sait que le programme F-35 (JSF), la super “usine à gaz d’informatique” bien pire que le F-22, est en chute libre, sans le moindre contrôle, en attendant le crash final. L’on sait que les conditions budgétaires sont ce qu’on en connaît et qu’il faut faire avec ce qui est cours ; d’ici à ce qu’on force l’USAF à racheter des F-16 d’occasion à la Hollande ou à la Pologne pour boucher les trous... Il faut donc que le F-22 vole, ou donne l’impression de voler, par ailleurs bourré de restrictions diverses qui font du “plus puissant avion de combat du monde” un handicapé profond aux réactions erratiques et au fonctionnement poussif. On en est à un tel degré de rocambolesque que le général Hostage, chef de l’Air Combat Command, annonce qu’il va voler lui-même sur le F-22 pour comprendre le problème qu’affrontent ses pilotes… Comprendre, késako ? Qu’y a-t-il à comprendre lorsqu’il s’agit simplement de réaliser que le système d’alimentation en oxygène fonctionne mal et vous intoxique, ou vous conduit à une syncope en pleine mission de combat ? Pauvre général Hostage, le bien nommé, otage du F-22 et de ses pilotes récalcitrants.
• Car les pilotes ne sont plus preneurs… Situation sans précédent à tous égards, dans un milieu où c’est un privilège formidable de pouvoir voler à bord des avions les plus avancés de la flotte. Mais non, les pilotes refusent, et on ne leur dit rien. Il y a une bonne raison à cette acceptation sans pli d’une situation qui ressemble à une révolte dans “la communauté” (des pilotes de combat US), comme dit le général Hostage, avec un langage très tendance. L’USAF sait parfaitement qu’elle fait voler les F-22 dans des conditions très périlleuses, et que le moindre incident peut avoir des conséquences graves, et même des conséquences juridiques. Ainsi en est-il pour le pilote tué lors de l’accident en Alaska. Après les révélations concernant le malfonctionnement du système d’alimentation en oxygène, la femme du pilote a décidé de porter plainte contre l’USAF. Horrible perspective, si l’USAF était condamnée, si d’autres accidents du même genre survenaient… Ainsi en arrive-t-on à la situation de facto, rocambolesque et absurde pour une force aérienne, où ne volent à bord des F-22 que des volontaires (leur fait-on signer un engagement à ne pas engager de poursuites en cas d’incident à bord du F-22 ou bien choisit-on des orphelins-célibataires ?). On comprend ce qu’il peut rester de discipline au sein de la “communauté” des pilotes de combat qui se voient reconnaître le droit de refuser de voler à bord des avions qui leur sont affectés, portant ainsi un jugement souverain sur les biens choisit par l'autorité suprême pour la défense nationale
• …Ainsi en revient-on à la situation iranienne. L’incursion du F-22 vers l’Iran est une vieille histoire. L’USAF y a beaucoup pensé, comme un facteur permettant de mettre en évidence les capacités “extraordinaires” de l’avion, et ainsi assurer ou relancer une série plus longue que les 186 exemplaires finalement produits. (Voir notamment nos textes du 14 avril 2006 et du 7 juillet 2008.) Très récemment sont apparues des interrogations à propos de la possibilité d’une présence des F-22 dans la mobilisation générale des moyens US autour de l’Iran depuis le début de l’année (voir à nouveau le texte cité du 1er mars 2012). Finalement, la décision a été prise d’un déploiement du F-22, qui est désigné avec précaution comme “temporaire“, “de routine”, “sans rapport avec la mobilisation autour de l’Iran”, etc. On comprend, à la lumière de tout ce qui précède, que ce déploiement n’a effectivement rien d’opérationnel, et que les “plans de guerre” tels que DEBKAFiles les détaille pour nous rassurer sur les intentions belliqueuses des USA ne sont qu’une simple narrative théorique et de type DisneyWorld, courante chez les experts sensibles à l’idéologie plus qu’à la technique opérationnelle. Dans les conditions actuelles et avec ces révélations extraordinaires sur le comportement des pilotes, le déploiement des quelques F-22 aux EAU n’est même pas un épisode de la “psychological warfare”, tout juste une piètre action ratée de relations publiques (RP), tant il est évident que ces avions ne s’aventureront jamais dans une offensive aérienne où leur présence accompagnée de multiples mesures de protection serait un bien pénible handicap pour l’offensive aérienne. On se demande effectivement quelle coordination de RP a fait que le général Hostage ait donné toutes ces précisions sur le comportement des pilotes de l’Air Combat Command au moment du déploiement des F-22, sinon l’effet de l’habituel cloisonnement des esprits bureaucratiques alimentés par l’aveuglement de la psychologie américaniste.
Il n’empêche, ce “dossier du jour” permet de mesurer à quelle vitesse l’USAF approche d’une situation de complet blocage qui signale sa complète décadence. Elle se trouve aujourd’hui totalement prisonnière de ses choix d’avancement technologique maximal, alors qu’il se confirme que la technologie, arrivée à l’actuel point de complexité où elle se trouve, bascule dans le domaine de l’inefficacité et même de la production d’impuissance active comme résultat d’une dynamique antagoniste de l’efficacité, tendant à rendre impuissants des processus qui fonctionnent bien eux-mêmes. Le cas actuel du F-22 (l’alimentation en oxygène), sur lequel travaillent les ingénieurs depuis l’entrée en service opérationnel complet du F-22 il y a 4-5 ans, n’a absolument progressé en rien sur la voie de sa résolution. Le problème remarquable est qu’il affecte une fonction vitale mais aussi fort simple du système, et que le malfonctionnement de cette fonction n’est pas la conséquence d’un vice interne mais de la dépendance où on l’a mise de l’architecture informatique générale du système : ainsi la technologie avancée tend-elle désormais, en plus de se détruire elle-même, de produire des effets collatéraux dévastateurs en détruisant des processus annexes qui fonctionnent bien. Cette logique qui illustre parfaitement le passage de la surpuissance à l’autodestruction montre la dépendance absolue où tend à se mettre l’essentiel de nos activités techniques d’un système du technologisme désormais vicié et prédateur de lui-même comme de tout son environnement.
A côté de cette situation dramatique, les capacités de réaction de l’USAF sont réduites au minimum minimorum, de par les obligations qu’elle doit au système de communication : d'abord, la nécessité de se conformer au légalisme, qui l’a déjà très fortement affectée. La crainte de plaintes possibles de proches de pilotes de F-22 qui seraient affectés par des accidents éventuels rappelle les embarras de l’USAF vis-à-vis de ses contractants allant en justice dans l’affaire du ravitailleur en vol KC-X (KC-45). La réaction de l’USAF est, devant ces possibilités, de céder autant que faire se peut, au risque d’installer dans ses rangs un laxisme qui mine évidemment l’autorité et la hiérarchie nécessaires dans cette sorte d’organisation. A côté de cela, les règles de la RP imposent à l’USAF de continuer à soutenir des programmes qu’elle a laissés dériver sans réagir et dont elle commence à réaliser qu’ils sont irrémédiablement pourris (cas du JSF) ; cette attitude rigide est pour l’essentiel explicable par l’affirmation implicite qu’il est inconcevable que cette force aérienne ne développe pas pour son avenir les systèmes nécessairement et prétendument présentés comme les plus avancés, – et présentés comme tels à cause des impératifs de promotion du système de la communication, - nous sommes dans un parfait cercle vicieux et bouclé… Tous ces éléments de communication renvoient au rôle antiSystème indirect du système de la communication, dans son emploi de Janus.
C’est à cette lumière qu’il faut considérer l’avenir de l’USAF, qui a déjà largement entamé sa chute spécifique. L’USAF est donc un cas d’espèce et un cas démonstratif absolument remarquables. De ses déboires technologiques qui expérimentent la chute terminale du système du technologisme, de ses déroutes juridiques et de communication, à ses manifestations pitoyables de démonstration de puissance relevant de la bande dessinée, à ses balades impromptus dans la région u Golfe, l’USAF peut être définie comme l’application et l’illustration les plus remarquables de l’évolution accélérée du Système, de sa surpuissance passée à son autodestruction présente.
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