Le Greenwald’s band s’étoffe

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Le Greenwald’s band s’étoffe

En à peu près un mois, depuis l’annonce du départ de Greenwald du Guardian pour un projet de média global avec le milliardaire Pierre Omidyar (voir le 17 octobre 2013), le groupe Greenwald se trouve fixé déjà à six personnes (dont Greenwald). Cela forme un noyau rédactionnel déjà remarquable, tant par le nombre que par la qualité des éléments engagés. Le dernier en date, et le premier du rang de rédacteur-en-chef (editor), est Eric Bates, qui vient de Rolling Stone et qui est un ancien de Mother Jones. (Actuellement, le projet Greenwald-Omidyar est “hébergé” sur le site du groupe Omidyar, sous le sigle temporaire de NewCo. Voir notamment le 29 octobre 2013, avec l’annonce de l’engagement de deux journalistes, Dan Fromkin et Liliana Segura.)

Michael Calderone, sur HuffingtonPost, a présenté l’engagement de Bates dans l’équipe Greenwald, le 13 novembre 2013 : «Bates, the former executive editor of Rolling Stone, is joining the new media organization being launched by eBay founder Pierre Omidyar and journalist Glenn Greenwald. According to a post from Omidyar about NewCo – what the project is currently being called – Bates “will be instrumental in helping us define our editorial strategy for a general-interest audience as well as the editing infrastructure we will need to support our independent journalists.”

»Bates worked at Rolling Stone for nearly a decade, editing top stories on politics and national security. He was the editor of “The Runaway General,” the award-winning 2010 feature on Gen. Stanley McChrystal by the late Michael Hastings. Bates also participated in four interviews with President Obama while at the magazine. Rolling Stone laid off a couple high-ranking staffers earlier this year, including Bates. [...]

»When news broke last month that Omidyar was working on a new venture with journalists Greenwald, Laura Poitras and Jeremy Scahill, little had yet been determined about the media outlet's structure. Omidyar told HuffPost that the media outlet will hire experienced editors, along with high-profile writers dedicated to their specific beats. [...] A couple weeks ago, two more journalists – Dan Froomkin and Liliana Segura – came aboard. But Bates will be the first editor to join the venture, which helps add more structure to the growing newsroom.»

On rappellera ici les aspects les plus remarquables de cette initiative, en renvoyant notamment à l’article de Brian Chittum, de la prestigieuse Columbia Journalist Review, le 17 octobre 2013. Chittum mettait en évidence le caractère sensationnel de cette initiative dans le monde du journalisme, avec, notamment l’implication d’une fortune comme celle de Omidyar mettant $250 millions à la disposition du projet. (Omidyar prévoyait cette somme pour le rachat du Washington Post, mais il a renoncé au projet estimant les “différences culturelles” trop fortes pour qu’il puisse imprimer sa marque sur le quotidien de Washington ; pour “différences culturelles”, lire évidemment les oppositions entre la rédaction du journal et lui-même sur la question des rapports avec le Système.)

«Make no mistake, news that Glenn Greenwald is leaving The Guardian to start a new publication funded by eBay billionaire Pierre Omidyar is giant news—a bigger deal, in my book, than Jeff Bezos buying the Washington Post. [...] This is the best news journalism has seen in a long, long time. Here’s hoping this remarkable pairing realizes its full potential. [...]

»What makes this extraordinary is the combination of muckraking—and, dare I say, dissident—journalists Glenn Greenwald, Laura Poitras, and Jeremy Scahill with the gargantuan fortune of one of the first internet billionaires. The problem with the Billionaire Savior phase of the newspaper collapse has always been that billionaires don’t tend to like the kind of authority-questioning journalism that upsets the status quo. Billionaires tend to have a finger in every pie: powerful friends they don’t want annoyed and business interests they don’t want looked at. The Way Things Are may not work for most of us, but it ain’t bad if you’re an American billionaire. By hiring Greenwald & Co., Omidyar is making a clear statement that he’s the billionaire exception. A little more than a year ago, Greenwald was writing for Salon.com, which (somehow) has a market cap of $3.5 million. Six years ago he was still typing away on his own blog. It’s like Izzy Stone running into a civic-minded plastics billionaire determined to take I.F. Stone’s Weekly large back in the day...»

Ces dernières semaines, depuis son association avec Greenwald, le crédit de Omidyar n’a cessé d’augmenter, à la mesure inverse des accusations et des insultes lancées contre lui par divers centres-Système. Cela est apparu clairement, surtout avec sa prise de position officielle en faveur de Snowden, désigné par lui (Omidyar) comme un héros. Un exemple de ces attaques vient sous la plume de Cliff Kincaid, un relais canadien des neocons américanistes, dans un article de Canada Free Press le 12 novembre 2013. Kincaid développe la thèse, relayé de milieux dits “universitaires” liés au complexe militaro-industriel, selon laquelle Snowden est une “opération” des services de renseignement russe relayant dans le temps les grands objectifs du KGB. Le discours est une extraordinaire réminiscence des moments les plus hystériques de la Guerre froide, notamment dans le chef des “spécialistes” de la subversion et de la désinformation.

«It has become painfully obvious that Snowden’s disclosures have been timed to do maximum damage to the United States and its allies. John R. Schindler, professor of national security affairs at the U.S. Naval War College, writes, “To anyone versed in counterintelligence, specifically the modus operandi of Russian security services, the Snowden Operation is a classic case of Active Measures, in other words a secret propaganda job.” He adds, “Relying on fronts, cut-outs, ‘independent’ journalists, plus platoons of what Lenin memorably termed Useful Idiots, is just what the Kremlin’s intelligence services do when they want to engage in Active Measures.” The purpose, he says, is to “fractur[e] the Western security and intelligence alliance,” a long-time objective of the old Soviet Union, and now Russia.»

Le même discours conduit Kincaid à réclamer l’arrestation de Greenwald si celui-ci regagne le territoire des USA, en le mettant sur le même pied que Snowden dans son interprétation, c’est-à-dire un pion des services de renseignement soviéto-russes. Le point intéressant à signaler ici est que Omidyar est intégré à cette logique, ce qui semble indiquer clairement que le milliardaire irano-franco-américain doit être considéré, comme le couple Snowden-Greenwald, dans le même domaine de l’épouvantable subversion de la civilisation occidentale, – il faut dire que la devise de Canadian Free Press est «Because without America There Is No Free World».

«Omidyar is described as a French-born Iranian American entrepreneur. But now that he has decided to sponsor Greenwald’s brand of “journalism,” shouldn’t he be under scrutiny as well? Turning his back on the country that made him a billionaire, he has just posted a “Time to Thank Edward Snowden” message on his Twitter account.»

Ces diverses indications signalent, à notre point de vue, plusieurs points qui font que le projet Greenwald-Omidyar doit être confirmé comme d’une importance fondamentale, et d’une importance fondamentalement antiSystème. Il s’agit d’une structuration et de la pérennisation, au niveau de la communication, de la crise Snowden/NSA, c’est-à-dire d’une complète intégration de cette crise dans ce que nous désignons comme l’infrastructure crisique. Il est en effet évident que le projet Greenwald-Omidyar progressera et s’affirmera sous la bannière Greenwald-Snowden, c’est-à-dire selon une spécialisation du journalisme dans une optique absolument antiSystème, et basée sur une attitude antagoniste du Système essentiellement par le moyen des “fuites”, de la collaboration de whistleblower, etc., tout cela avec des moyens de diffusion et une notoriété de dimension globale. Selon ce rangement qui nous paraît inéluctable (et bienvenu, certes), l’antagonisme avec les centres-Système les plus radicaux, comme celui qui anime un robot type-Kincaid, ne pourra que s’exacerber, c’est-à-dire avec l’effet et la conséquence d’une radicalisation du côté Greenwald-Omidyar. Il s’agit d’une entreprise de “journalisme de combat”, et plus encore de “journalisme de résistance”, mais d’un type tout à fait nouveau, avec une équipe rédactionnelle “de base” répartie d’ores et déjà entre Berlin (Poitras), Rio de Janeiro (Greenwald) et les USA (les quatre nouveaux venus). On pourrait avancer l'idée que ce nouveau média global pourrait jouer un rôle déstabilisateur dans le système de la communication semblable à celui que joua Al Jezeera, essentiellement dans les années 2001-2005 (temps où Rumsfeld, au Pentagone, envisageait des attaques aériennes contre les studios et la direction de la chaîne), et jusqu'à 2010 à peu près, lorsque la direction politique du Qatar décida de récupérer l'instrument à l'avantage de sa politique extérieure, démolissant d'autant tout le crédit et l'influence dont disposait cette chaîne. (Cette analogie purement opérationnelle fait par ailleurs spéculer sur l'hypothèse d'un projet NewCo multimédia, c'est-à-dire comprenant également une chaîne de télévision à orientation globale et antiSystème.)

Ce qui est également inédit dans le cas de ce projet Greenwald-Omidyar, ce sont les rapports professionnels qui vont s’établir entre la presse-Système et la nouvelle entité antiSystème. D’une part cette presse-Système est hostile par sa nature à un tel projet, avec les chiens de garde type-robot, comme Kincaid, avec leur phraséologie vieille d’un demi-siècle. D’autre part, et notamment par le biais des (vrais) journalistes, et à cause du prestige professionnel d’un Greenwald dans les milieux journalistiques en général (antiSystème et Système), il existe et existera des liens d’affinité inévitables. On le voit, notamment par l’importance des commentaires des milieux-Système accompagnant l’élaboration du projet. Cet aspect crée une zone d’ambiguïté extrêmement intéressante, parfaitement illustrative par ailleurs des situations que nous vivons au cœur des pays du bloc BAO.


Mis en ligne le 14 novembre 2013 à 12H58

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