Le Japon et le nucléaire US, formule La Boétie…

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Depuis trois jours, le Japon est informé d'une façon fort officielle que l’interdit politico-militaire le plus important et le plus consensuel de sa vie politique est violé par un traité secret de janvier 1960 – avec les USA, évidemment. Il s’agit de la présence, même épisodique et temporaire, d’armes nucléaires (US dans ce cas, bien entendu) sur son sol et dans son espace souverain. Le traité a été signé le 6 janvier 1960, du côté US par le secrétaire d’Etat Christian Herter, et il portait notamment sur le stationnement temporaire ou le transit d’armes nucléaires à bord d’avions ou de navires de guerre US. Le 23 novembre 2009, Antiwar.com a donné une recension de quelques articles parus sur le sujet.

«As the only nation to ever suffer an attack from nuclear weapons, Japan’s public is understandably phobic about having nuclear weapons, even in transit, on their soil. Yet Japan’s former government apparently didn’t see things that way.

»Japan’s recently elected government says it has found documents that prove that the nation indeed signed a secret 1960 pact with the United States allowing it to transport nuclear weapons through Japanese territory.»

Le même 23 novembre 2009, Japan Times retranscrivait une dépêche de l’agence Kyodo News. Des personnalités politiques japonaises y parlent de cette trouvaille d’un accord secret, notamment un haut fonctionnaire ayant servi dans plusieurs ministères-clef, dans les gouvernements successifs de ce parti libéral démocrate qui a exercé une mainmise quasiment totalitaire sur le pouvoir au Japon depuis que ce pays a retrouvé un statut de “souveraineté” extrêmement contrôlée et limitée à mesure. Le haut-fonctionnaire a parlé sous la condition de l’anonymat.

«“I saw them. I have memories that we looked into them after something happened,” the former top ministry official said on condition of anonymity. The official, who served in key ministry posts in the 1980s and 1990s, said he can't remember the circumstances under which he read the Jan. 6, 1960, minutes.

»The comment comes amid news that the Foreign Ministry, which has conducted a probe into four purported secret pacts, has decided to confirm the existence of the nuclear arms pact. “The probe is now in the final stage, and we will announce the outcome in January,” Foreign Minister Katsuya Okada said Saturday, although he declined to reveal any details. A third-party committee consisting of experts will be set up this week and will analyze the probe findings, according to the ministry.»

Notre commentaire

@PAYANT Malgré les affirmations convenues, largement répandues dans la presse US, selon lesquelles le voyage d’Obama en Asie, avec première étape au Japon, a quelque peu apaisé le différend entre les deux pays après l’arrivée du nouveau gouvernement japonais – ce qui nous semble une conclusion plutôt hâtive – il existe un nombre prodigieux de cadavres dans les placards des relations USA-Japon, qui, s’ils en sont extraits, rendront au contraire spectaculaires la poursuite et l’accentuation de la dégradation de ces relations en cours depuis septembre. Un cadavre de dimension, retiré d’un placard du ministère des affaires étrangères du gouvernement précédent qui était simplement le bout extrême de la dictature du parti libéral démocrate, c’est cette révélation qu’un accord secret USA-Japon de janvier 1960 implique l’autorisation donnée aux USA de faire transférer des armes nucléaires par le Japon. Cet accord porte notamment sur “des navires de guerre US” (de surface), sans autre précision semble-t-il, ce qui impliquerait éventuellement une contradiction très probable avec le mot “transiter” (“autorisation de transiter”). Un des porte-avions affectés par rotation à la VIIème Flotte US (Pacifique occidental) a son port d’attache à Yokohama, et les “navires de guerre US” susceptibles de transporter des armes nucléaires désignent essentiellement les porte-avions, puisque ces armes nucléaires sont destinées à l’emport sur des avions de combat. Le traité ayant été signé spécifiquement pour contenir la “menace nord-coréenne”, l’évidence stratégique est que le premier porte-avions à disposer d’armes nucléaires devait et devrait évidemment être celui qui est basé à Yokohama, donc constamment le plus proche de la Corée. (De toutes les façons, tous les porte-avions d’attaque US emportent des armes nucléaires pour leur flotte aéronavale.) Le traité violerait donc l’une des dispositions les plus importantes de la vie “démocratique” japonaise, qui est le refus d’accueillir des porte-avions disposant à leur bord d’armes nucléaires à la suite d’un formidable mouvement populaire dans ce sens, dans les années 1950. Cette position avait été entérinée par une déclaration de principe du Japon en 1967; c’est appuyé sur cette déclaration de principe (“pas d’armes nucléaires chez nous, en quelque circonstance que ce soit”) que le Japon argumente auprès de la Corée du Nord pour que ce pays abandonne le nucléaire. Fâcheuse trouvaille que celle de ce traité, dans les circonstances actuelles. Une question à poser immédiatement est de savoir si le Japon va dénoncer ce traité qui n’existe pas officiellement, et dans quelles conditions vis-à-vis des USA.

Le traité secret entre le Japon et les USA, dont on avait affirmé l’existence aux USA à partir de documents déclassifiés mais qui était officiellement ignoré au Japon, représente une pratique typique des USA durant la Guerre froide, auprès de ses “pays-satellites”. Cette pratique s’apparente, dans la forme et dans le fond, aux accords, également secrets, qui liaient (et lient encore?) les pays de l’OTAN aux USA à propos des réseaux Stay Behind (dit réseau Gladio). Il met en lumière l’existence de deux types de relations avec les USA dans le chef de cette sorte de pays annexés au nom de la défense de la liberté du monde, selon une démarche marquée par l’habituel paradoxe américaniste; un type de relations officielles bien sûr, qu’on connaît et qui n’est pas exaltant à force de conformisme étouffant, et l’autre, l’officieux, qui permet tous les débordements, toutes les manipulations, qui sert les intérêts privés et les actions de centres de pouvoir incontrôlés, et qui interdit tout espoir de relations internationales pacifiées. De ce point de vue, la mise à jour de ce type d’accords secrets – il y en a d’autres entre les USA et le Japon et nous ne sommes pas au bout de nos fausses surprises si la démarche actuelle du nouveau gouvernement japonais se poursuit – constitue un élément extrêmement important d’une éventuelle évolution des relations internationales. Le passé peut être extrêmement utile pour transformer le présent, surtout lorsqu’il est de cette sorte.

Jusqu’ici, les différentes vagues de révélations n’ont servi à rien. La mise à jour en 1989-1990 de l’existence de Gladio, et de son rôle réel de subversion US en Europe occidentale à partir des années 1960, n’a nullement interrompu cette sorte d’activité; au contraire, même… Les révélations sur le réseau d’écoute anglo-saxon Echelon, dans les années 1996-1998, n’ont également servi à rien. On connaît l’invasion de la subversion US du même type, en Europe de l’Est, à partir du milieu des années 1990, et ainsi de suite. Rien de fondamental n’a été fait, encore aujourd’hui, contre le réseau subversif US dans le monde, qui dépasse très largement en quantité et en profondeur les réseaux communistes du Kominterm dans les années de la splendeur stalinienne des années 1930. Il faut dire que l'invasion en question a été constamment aidée par un appareil politique occidentaliste (au sens de l’esprit, donc Japon compris), caractérisé certes par les délices des diverses corruptions, mais également par un goût si prononcé pour la “servilité volontaire” (La Boétie) qu’on croirait avoir affaire à une pathologie. Mais l’affaire japonaise, dans le cadre plus large de l’arrivée du nouveau gouvernement, s’inscrit dans un contexte nouveau, bien préparé depuis 2005-2006 et nettement ouvert depuis la crise du 15 septembre 2008, qui est celui de l’effondrement de la puissance US. Dans ces circonstances soudain devenues fluides, la “servilité volontaire” qui s’exprime alors pour un énorme bateau en train de couler, bouffé par des termites de toutes sortes, apparaît pour le coup comme une pathologie nouvelle à l’intérieur de la pathologie; on est certes malades d’avoir été volontairement aussi serviles à l’égard de cette puissance, mais on devient insensé de continuer à l’être pour cette puissance qui s’effondre.

Les révélations de cette sorte du traité secret USA-Japon, même si elles ne “révèlent” rien de bien nouveau, font partie d’une stratégie de déstructuration d’une situation elle-même déstructurante dans sa perversité, dont la source et l’inspirateur ne peut être que l’Histoire en marche elle-même. Elles contribuent à mettre en évidence le déséquilibre destructeur, l’infamie devenue insupportable, que constituent ces attitudes de nations bafouant depuis des décennies leurs propres souverainetés et leurs propres légitimités. En un sens, si l’on peut dire, elles vont dans le bon sens, dans une situation désespérante, et encore plus désespérante à chaque constat supplémentaire de l’infamie généralisée à laquelle cette situation a nourri et nourrit encore sa substance.


Mis en ligne le 25 novembre 2009 à 09H32