Le JSF ? “Aucun intérêt”, nous dit l’Inde…

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La réponse est venue aussi vite que le parcours d’un boomerang, après l’annonce quasiment émerveillée que les USA consentait à accepter de vendre le JSF à l’Inde, dans des conditions décrites comme exceptionnelles.

Defense News écrivait, le 26 janvier 2011… «Pentagon acquisitions Chief Ashton Carter said “[t]here is nothing on our side, no principle which bars that on our side, Indian participation in the Joint Strike Fighter. Right now, they're focused on these aircraft which are top-of-the-line fourth-gen fighters”» L’article ajoute aussitôt, avec une délicatesse bien caractéristique du domaine, du Pentagone et de l’américanisme : «However, the decision to pursue the F-35 is India’s alone.» (La chose est confirmée par un courriel de la porte-parole du Pentagone Cheryl Irwin, qui précise bien que la décision d’achat du JSF revient, oui oui, à l’Inde elle-même… «If, at some point down the road, India were interested in purchasing JSF from us, then we would engage the Indians in an open, transparent manner at that time. But this would obviously be something that the Indian government would have to decide it wanted or needed.»)

Eh bien, du côté indien, c’est non, tout simplement, – “aucun intérêt de l’Inde pour le JSF”, selon Times of India du 29 janvier 2011. Quelques extraits de l’article…

«India has no plans as of now to either join the US-led joint strike fighter (JSF) programme or buy the F-35 Lightning-II fifth-generation fighter aircraft (FGFA) when it finally becomes operational. “We cannot have two types of FGFA. We have already launched preliminary work for our FGFA after inking the $295 million preliminary design contract (PDC) with Russia last month,” said a top defence ministry official on Friday.

»This comes in the wake of comments made by a top Pentagon official, undersecretary of defence for acquisition, technology and logistics Ashton Carter, in Washington that the US was open to Indian participation in its JSF project. […]

»In the decades ahead, the advanced stealth FGFA to be developed with Russia will be the mainstay of India's combat fleet. “Our FGFA will be cheaper than the F-35. Moreover, the intellectual property rights of the FGFA will equally and jointly vest on both India and Russia, with full access to the source code and the like,” said another senior official. […]

»The Indian FGFA will primarily be based on the single-seater Sukhoi T-50, the prototype of which is already flying in Russia, but will include a twin-seater version and a more powerful engine with greater thrust. “Its complete design will be frozen by the end of the 18-month PDC. Six to seven of its prototypes should be flying by 2017. After that, there will be 2,500 hours of flight-testing over 25 months before the series production begins in 2019,” he said.»

Notre commentaire

@PAYANT L’Inde, dans son immense sagesse de très vieille civilisation du monde, est ainsi entrée, de plain-pied, sans trop de complexe, sur la voie du lèse-Majesté en repoussant sans la moindre précaution l’offre impérative du Pentagone. L’approche américaniste du problème indien était, comme à l’habitude, effectivement impératif et normalement sans réplique autorisée. On promettait des aménagements spéciaux pour l’Inde, notamment on niveau du transfert des technologies dont on sait que les bureaucraties américanistes sont les plus habiles dans le fonctionnement. On indiquait même que c’était au gouvernement indien de décider de son propre achat (décidément, nous arrêtons pas de répéter cette remarque, tant elle nous laisse pantois, compte tenu de l’état où sont les USA et le JSF respectivement aujourd’hui). Absolument aucun compte n’était tenu de la programmation indienne, notamment l’interférence grossière, qui ressemblerait presque à une agression commerciale et technologique, de l'offre JSF dans l’énorme programme de coopération avec la Russie sur l’avion de combat T-50, équivalent du F-22 et largement supérieur au JSF, qui sera sans doute en service avant le JSF (si le JSF entre en service), alors que son développement a démarré 10 ans plus tard. Pour le Pentagone, la perspective de cette “offre privilégiée” d’acheter de JSF devait immédiatement réduire le programme de coopération T-50 au rang d’une entreprise d’amateurs, et amener l’Inde à réagir en conséquence.

Cette attitude américaniste constante devient aujourd’hui de plus en plus grossière, ridicule et insupportable, alors que le monde résonne des bruits de l’effondrement américaniste et des catastrophes en série du programme JSF. Il s’agit d’un aspect caractéristique de la psychologie de l’américanisme, que nous avons placé à côté de l’“inculpabilité” ; il s’agit de l’“indéfectibilité” (du mot “indéfectible”: «Qui ne peut défaillir, être pris en défaut»). La psychologie de l’américanisme, qui s’est formée à la lumière de l’affirmation et de la conviction de la puissance sans limite ni concurrente et du caractère exceptionnel des USA, ne peut rendre compte des USA que dans ces termes, quoi qu’il en soit de la réalité. Dans la situation présente, cela devient un grave handicap, les fonctionnaires américanistes continuant à négocier, à exiger, à vouloir imposer, etc., come s’ils étaient toujours l’“hyperpuissance” que décrivait Hubert Védrine en 1998. Comme l’on sait, ce n’est plus le cas du tout, et le JSF est un signe important que cette affirmation d’exceptionnalisme est complètement dépassée jusqu’à en devenir caricaturale, pour finalement suggérer l’exceptionnalisme de l’échec et de l’effondrement.

Sur cet arrière plan psychologique extrêmement pesant, les relations avec l’Inde, depuis 2006-2007, – malgré le programme soi-disant alléchant de coopération, notamment sur le nucléaire mais avec un démarrage qui annonçait la suite, – se sont révélées assez rapidement comme marquées par une incompréhension et un quiproquo entre les deux puissances. Les USA voient dans l’Inde, en même temps que la possibilité exprimée sans complexe d'un “marché captif” pour leur industrie d'armement, un pion stratégique à jouer dans une des innombrables combinaisons théoriques d’alliance et de partenariat que les stratèges US affectionnent et qui, en général, ne dépassent guère les bureaux où ils sont élaborés ; l’Inde voyait dans un “partenariat stratégique” avec les USA une entente à puissances égales dont l’Inde tirerait un profit considérable pour s’affirmer vis-à-vis de ses concurrents régionaux comme le Pakistan et la Chine. Nous employons le passé pour l’Inde, au contraire des illusions sur l’Inde qui continuent à être cultivées du côté US, car l’appréciation qu’on peut offrir de la position de cette puissance est que, depuis un à deux ans, elle a commencé à déchanter pour ce qui concerne l’“alliance” avec les USA. L’Inde a réactivé des liens un peu délaissés avec la Russie, notamment dans le domaine de la coopération des armements et le programme commun d’origine russe de l’avion de combat T-50 est un formidable produit de cette nouvelle dynamique. La réaction indienne vis-à-vis de l’“offre” américaniste sur le JSF, extrêmement rapide, tranchante et qui ne ménage guère de possibilité d’appel, semble-t-il, nous paraît être une indication acceptable de cet état d’esprit des Indiens, notamment des militaires indiens, qui n’aiment guère voir leur souveraineté pressée par des interventions éventuellement intempestives. Pour le JSF (et pour les USA), c’est un rappel brutale d’une réalité qui n’a plus rien de commun avec la narrative complaisante que l’on continue à débiter comme à la façon d’un robot dont la programmation n’a pas été mise à jour.


Mis en ligne le 31 janvier 2011 à 05H44