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1584Simultanément sont parues des indications qui, pour n’être pas simultanées dans le temps réel, le sont ainsi dans le temps de la communication, et sans doute l’une liées à l’autre. Il s’agit de deux informations directement antagonistes concernant le JSF.
• La première est publiée le 24 août 2011, notamment sur AOL.Defense.com sous la plume de Colin Clark. (D’autres sites, comme DodBuzz.com, ont également mis en ligne l’information.) Il s’agit du rapport concernant une lettre que vient d’envoyer le sénateur John Cornyn du Texas (Clark précise aussitôt : «…where the F-35 is assembled»). La lettre est adressé à Ashton Carter, qui va devoir passer une audition au Sénat pour que soit confirmée sa nomination de n°2 (comme adjoint au secrétaire à la défense) du département de la défense (à partir de sa position actuelle de n°3, comme chef des acquisitions). Cette lettre est extrêmement ferme et met en cause la sincérité du Pentagone dans le soutien du programme JSF (F-35). Clark ne prend guère de gants pour présenter la réalité de la chose, – l’expression non pas de la sincérité d'une éventuelle inquiétude pour ce programme d’avion de combat, mais le résultat direct de l’effort de lobbying intense, actuellement mené par Lockheed Martin, – y compris avec la question de la conditionnalité éventuelle de l’acceptation de la nomination de Carter avec l’engagement de ce même Carter de soutenir le programme JSF, contre vents et marées, ou contre la tornade Irene s’il le faut…
«Cornyn is clearly part of a greatly stepped up lobbying effort by Lockheed Martin to save the F-35 from major cuts as the Pentagon budget comes under rising pressure as the administration's strategic review progresses. Although the letter might seem a veiled threat, a source familiar with Lockheed's efforts said Cornyn was not likely to try and put a hold on Carter's nomination.»
La lettre de Cornyn, qui est écrite en termes extrêmement rudes («Carter's “apparent lack of commitment to the success” of the largest “defense acquisition program in our nation's history.” […] “DoD's failure to sufficiently defend and advocate” for the F-35 program.»), ressemble effectivement à une sorte de chantage ; c’est le cas lorsqu’on fait dire par une source de seconde main, manifestement connectée à LM, qu’il n’y a pas chantage («…Cornyn was not likely to try and put a hold on Carter's nomination»), ce qui est la méthode courante pour signaler qu'il y a effectivement chantage. Un point particulier soulevé par Cornyn relève de la pure stratégie de concurrence de LM, qui est de demander des garanties à Carter que l’U.S. Navy ne fait rien pour substituer d’une façon ou l’autre le F/A-18 au JSF («Can Carter “assure” him that the Pentagon will not again take money from the F-35 and buy F/A-18 Super Hornets») Les mœurs que révèle cette lettre, et certaines en préparation, par d’autres parlementaires liés à LM, relèvent de la corruption affichée désormais sans la moindre réserve ni pudeur déplacée : le sénateur Cornyn parle quasiment comme le porte-parole de LM. C’est notamment de ce point de vue que le document est remarquable.
• Le lendemain, le 25 août 2011, Bill Sweetman publie sur le site d’Aviation Week des indications précises sur une action conduite par le sous-secrétaire à l’U.S. Navy Robert Work. La mémorandum de Work cité demande à ses services d’étudier des options de réduction de production, voire d’abandon de l’une ou l’autre version destinées à la Navy et au Corps des Marines (F-35C et F-35B)
«[T]he consequences of terminating either the F-35B short-takeoff/vertical-landing version of the Joint Strike Fighter or the carrier-compatible F-35C. […] [W]hether the Navy and Marines could operate fewer than the 40 squadrons of JSFs currently planned. [….] Canceling both the F-35B and F-35C was not identified as an option. […]
» “This relook must consider every plan and program,” Work wrote. “Even cuts to long-planned buys of JSF must be on the table.” The team also was specifically charged with defining “the key performance differences between the Block 2 F/A-18E/F with all planned upgrades, F-35B and F-35C.”»
Sweetman a obtenu une copie du mémo le 25 août alors que ce mémo date du début juillet (le 7) et que les résultats de ces demandes du sous-secrétaire devaient être rassemblées pour la fin juillet. Sweetman ne connaît pas ces résultats. Par rapport à notre démarche comparative et à la mise en perspective que nous proposons, les résultats de l’évaluation interne importent peu. Nous importe beaucoup plus la quasi simultanéité des “fuites” et leur chronologie : tout se passe comme si la révélation de la lettre de Cornyn et de leur contenu (dont Sweetman s’abstient de dire un seul mot) avait déclenché la révélation du mémo du sous-secrétaire Work. Une sorte de “réponse du berger à la bergère” (du Pentagone au[x] sénateur[s] appointés par LM, donc à LM), – par personnes interposées pour ne pas impliquer Carter directement. C’est une passe d’armes qui en dit long, à la fois sur le climat, et sur les événements à venir à l’automne.
On sait par ailleurs que tous les sénateurs (ceux de la commission des forces armées, notamment) ne sont pas des appointés de LM. Certains n’ont pas reçu leurs émoluments depuis un certain temps, et ils en conçoivent quelque compréhensible rancœur. Il y a aussi les entêtements, voire les fixations psychologiques et emportées, – et l’on sait que John McCain est le candidat numéro un à cette sorte de diagnostic ; il est ainsi devenu le nouvel “ennemi impitoyable” du JSF, et cela complique considérablement la répartition des effectifs du point de vue de LM. C’est pour cette raison, notamment, que le DoD a “fuité” le documents dont Sweetman fait un article, parce que “la réponse du berger à la bergère” se renforce d’un appel discret mais insistant à la fraction hostile au JSF du Sénat, et même de la commission des forces armées, et même des républicains dans cette commission (Cornyn et McCain sont tout cela à la fois, tous les deux, – républicains de la commission des forces armées, – mais bien sûr avec des positions antagonistes vis-à-vis du JSF).
Nous nous trouvons alors dans une situation-Système typique, avec les deux composants dynamiques contradictoires du Système (Système-crise, dans ce cas) en action ; avec la dynamique de surpuissance (le programme JSF) achevant le processus d’inversion et devenant l’aliment de la dynamique d’autodestruction en suscitant une bataille fratricide entre deux acteurs essentiels du Système (le Pentagone et le Congrès) ; avec la complication, fratricide et autodestructrice certes, de voir ces deux acteurs eux-mêmes divisés à l’intérieur d’eux-mêmes entre partisans et adversaires du JSF, cette position déterminée notamment par l’action de corruption de LM, elle-même contenue dans des limites (la corruption-LM se heurte à des obstacles fratricides infranchissables du Système, d’autres corruptions concurrentes, d’autres logiques de pouvoir qui lui sont hostiles comme le processus de restriction budgétaire). La cerise sur le gâteau est de voir se nouer cette bataille entre ces deux énormes puissances-Système qui, au départ, sont toutes deux favorables au JSF, qui se sont divisées en raison des problèmes du JSF, de l’antagonisme d’intérêts, de la nouvelle pression des réductions budgétaires. Cela conduit à prévoir que la bataille Congrès-Pentagone à propos du JSF va être terrible, notamment parce que l’objet de la bataille (le JSF) est porteur d’autres enjeux bien plus considérables que le JSF : la bataille pour les réductions budgétaires, la bataille pour la prépondérance de deux (trois) énormes centres de pouvoir, le Congrès et le Pentagone (et LM, représentant théorique de l’industrie d’armement, mais celle-ci également divisée avec des acteurs, comme Boeing, de plus en plus hostiles au JSF).
Le facteur chronologique impératif qu’est la nécessaire décision sur les réductions budgétaires de décembre est évidemment en place pour rendre cette bataille pressante et inévitable. L’un des processus favoris du Système pour éviter les déchirements fratricides internes a toujours été le temps, – le temps qu’il faut avoir à profusion, disponible pour l’“encommisionnement”, pour la progression de la corruption, pour l’élaboration de compromis, etc. Le délai automatique imposé écarte cette tactique dilatoire courante, rend l’enjeu bien plus dramatique, impose une pression sur tous les acteurs, organise une véritable situation dramatique au sens théâtral du terme, avec tout ce qui s’ensuit au niveau des pressions psychologiques, des pressions structurelles, etc. Sans même nous référer aux interférences de certains impondérables (évolution technique et surtout des coûts du JSF), notre pronostic n’est pas une résolution de l’affaire du programme JSF (abandon ou décision de production maximale, sans restriction), – mais une sorte de faux compromis explosif, aboutissant à des décisions contradictoires “satisfaisant” sur l’instant les deux camps, mais promises par leur caractère complètement antagoniste à prolonger la bataille en la rendant plus dramatique, plus explosive encore, jusqu’à ce que, très rapidement, le sort du JSF qui sera complètement en question, dupliquera complètement la question fondamentale de l’équilibre du Pentagone. C’est la meilleure issue qu’on puisse espérer parce qu’elle conserve le JSF, comme vu ci-dessus, comme facteur de dissolution extrêmement actif des centres de puissance du Système impliqués.
Mis en ligne le 26 août 2011 à 08H56